Rapport du séminaire des associés de l’Institut (  « Les éducateurs s’éduquent »)

 

12-13 juillet 2003

 

Les discussions entre dix associés de l’Institut en date du 12-13 juillet 2003 étaient, nous en convenons, beaucoup trop sommaires, nous y avons à peine entamé les discussions nécessaires pour renouveler et améliorer le programme de l’école. Néanmoins, elles étaient trop riches pour les résumer dans un bref rapport. Ce rapport ne prétend pas être (comprehensive), elle a trois objectifs principaux :

Ce document a été rédigé en anglais, comme c’est la langue que Susan et Peter maîtrisent le mieux à l’écrit. Par contre, une bonne partie de la discussion avant et au cours du séminaire s’est déroulée en français, et la discussion devrait se poursuivre dans les deux langues. N’hésitez pas à soumettre une intervention approfondie en français ou en anglais ? Veuillez communiquer celle-ci à l’ensemble de la liste de ce document.

Les questions proposées à la fin du mois de mars n’étaient pas toujours étroitement en rapport avec les discussions qui ont eu lieu. Ce rapport résume les débats qui ont eu lieu à Amsterdam sous sept rubriques  (sans forcément suivre l’ordre des interventions) :

A. Économie de la mondialisation

1. Limites à la mondialisation ?

2. Stratégies anti-néolibérales

3. Mondialisation et recomposition sociale

B. La politique à l’époque de la mondialisation

4. Une autre conception de la démocratie ?

5. Au-delà de l’État-nation

6. Redéfinir notre identité politique

C. La pédagogie

7. Transformer l’école

1. Limites à la mondialisation ?

Bruno a présenté le thème de l’économie de la mondialisation, à partir d’un survol des tendances les plus saillantes :  la croissance rapide du commerce mondial, l’internationalisation de la finance et des investissements (dont la plupart demeurent au sein des pays capitalistes centraux), le rôle croissant et la concentration des transnationales, la domination du secteur financier (bien que l’ensemble de nos camarades s’entendent quant aux limites de l’autonomie de la finance). Il a mis l’accent sur la nature hétérogène de ce processus, et a cité l’Italie et l’Autriche comme deux pays qui demeurent très fermés aux investissements étrangers. Il a soulevé la question à savoir si ce processus d’internationalisation et de concentration du capital se poursuivra jusqu’à ce que 1, 2 ou 3 grandes sociétés aient la mainmise sur chaque secteur de l’économie (comme les Etats-Unis, l’UE et le Japon insisteraient sur leur “propre” transnationale dans les marchés stratégiques). L’ensemble des camarades semble convenir d’une position mitoyenne sur la portée de la mondialisation actuelle ; personne ne prétend que rien n’a changé par rapport aux périodes antérieures d’internationalisation (ex. : 1896-1914) ; personne ne perçoit la mondialisation comme un processus achevé qui a marginalisé les marchés et États nationaux .

De toute manière, comme Bruno a suggéré, il y a une limite à l’unification internationale des marchés en fonction des variations nationales des préférences des consommateurs. Tout le monde est d’accord qu’aucune transnationale actuelle est vraiment “ délocalisée ”, véritablement autonome par rapport à tout marché national. Les recherches de Bruno, qui portent sur l’industrie automobile, démontre qu’une seule transnationale (Honda) vend moins de 50 % de sa production dans sa région d’origine, qu’au moins les deux tiers de la production des transnationales US comme GM et Ford est toujours situé aux Etats-Unis, etc. avec les implications par rapport à la mondialisation du travail. D’autres avaient des interrogations sur les limites strictement économiques à la mondialisation (en opposition aux limites établies par les luttes sociales et politiques). Claude (Gabriel) a argumenté que la plupart des marchés majeurs des pays impérialistes sont saturés, ainsi, la seule façon d’accroître la rentabilité est de réduire les coûts, en particulier par les économies d’échelle internationales, ainsi que la recherche de nouveaux marchés.

2.Les stratégies antinéolibérales

Bruno a lancé un débat que nous engageons avec des sommités du mouvement altermondialiste tels que Walden Bello et Martin Knorr, qui prônent des stratégies de “démondialisation”. Ils prétendent que l’État-nation demeure le lieu privilégié de la démocratie, ainsi, toute stratégie qui vise la démocratie économique doit se situer au niveau national et exige un grand degré d’autosuffisance économique nationale. Par ailleurs, la diversité est bonne en soi ; ainsi, une plus grande uniformité de par le monde est néfaste. Bruno a critiqué l’aveuglement de ces arguments quant à la dynamique de classe et de genre, par ailleurs, ils voient les “communautés” nationales comme monolithes, et exagèrent la nature progressiste de l’État-nation. L’ensemble des participants au séminaire semblait en convenir. Mais les arguments de Bruno contre la revendication d’ouvrir les marchés des pays impérialistes aux produits, notamment agricoles, des pays dépendants ont soulevé quelques doutes. Peter s’est demandé si l’on pouvait rejeter l’orientation de “tout pour l’exportation” tout en défendant la perspective de Michel Husson, entre autres, de “protectionnisme asymétrique”, c’est-à-dire défendre les mesures protectionnistes des pays dépendants tout en rejetant le protectionnisme des pays impérialistes.

On peut mettre ce débat en rapport avec d’autres désaccords stratégiques qui ont émergé au séminaire. Par exemple, Buster a rejeté un retour de la petite production agricole comme carrément réactionnaire ; Pierre a souligné son désaccord. Livio a prétendu que la perspective d’une sortie néo-keynesienne de la crise était exclue, ce n’est pas clair que tout le monde soit d’accord.

3. La mondialisation et la recomposition sociale

Claude a présenté une discussion sur l’impact dramatique des transformations de la production capitaliste et la restructuration des sociétés sur le visage de la classe ouvrière. La restructuration des sociétés a apporté un processus de déconcentration industrielle et de segmentation du prolétariat, où les travailleurs et travailleuses de différentes catégories et régions vivent des situations de plus en plus différenciées et ont même des intérêts divergents dans une certaine mesure. De nouvelles formes de bureaucratie jouent un rôle crucial dans l’organisation des sociétés actuelles. Ce qui a soulevé des interrogations chez certains participants – au-delà de notre consensus existant (formulé par Stephanie Coontz) à savoir que la classe n’est pas l’unique contradiction motrice dans le capitalisme patriarcal – jusqu’à quel point on peut considérer la classe ouvrière comme le sujet central de la transformation social de nos jours (cette discussion était surtout par voie de courriel, avant le séminaire). Penny a dressé la distinction qu’ont toujours exprimée les féministes socialistes : que l’autonomie du mouvement des femmes, entre autres, par rapport aux organisations classistes et politiques ne signifie pas son autonomie par rapport à la lutte des classes. Susan a souligné l’importance de percevoir la nature sexuée du travail et de la classe ; par exemple, les femmes qui intègrent le travail salarié ont un impact différent sur les ménages et la consommation que l’intégration masculine. Les travailleuses jouent un rôle distinct dans la mondialisation néolibérale. Penny a souligné que la précarisation du travail est commencée chez les travailleuses. Susan a également mis l’accent sur l’importance de la violence faite aux femmes et du commerce sexuel.

Il est clair qu’il n’y a pas d’identité unificatrice commune à l’ensemble des sujets qui participent au “mouvement des mouvements” actuel. Pierre a tiré la conclusion qu’il est plus sensé maintenant de parler de “luttes citoyennes” et “le peuple rassemblé” que des seules contradictions de classe ou de genre. D’autres ont demandé si une nouvelle identité unificatrice pourrait toujours émerger, et comment et sous quelle forme, le cas échéant. Par exemple, Livio a cité l’appel de Rifondazione pour un “nouveau mouvement ouvrier”.

4. Une autre conception de la démocratie pour l’organisation des mouvements ?

Pierre a défendu le mouvement altermondialiste contre les accusations d’absence de démocratie. Il a dit que notre conception de la démocratie se fonde trop sur l’ancienne “pyramide représentative”, comme il a dit, ou en greffant cette pyramide représentative à un vieux modèle de démocratie directe. Le réseautage correspond à l’un des besoins des mouvements bourgeonnants actuels, que la pyramide représentative ou la simple participation directe ne saurait pas combler. L’efficacité n’est pas l’enjeu central ici ; l’inclusion est essentielle pour soutenir la dynamique du mouvement. Même le “réseau” n’est pas un concept adéquat, car les réseaux sont composés d’égaux, tandis que le mouvement altremondialiste comprend des composantes radicalement divergentes, d’individus aux organisations de masse.

Alors, comme Pierre le demande, où se situe le rôle du parti dans tout cela ? Nos organisations ont eu tendance à constituer des réseaux invisibles, sauf au moment des élections (un problème particulier pour les sections qui ne briguent plus les suffrages) ; nous devons faire en sorte que les organisations politiques incarnent les choix que les mouvements doivent faire. Ce qui ne signifie pas que le parti soit le seul lieu privilégié pour développer un programme (pour ceux et celles d’entre nous qui ont milité dans les mouvements féministes ou lesbiens et gais, c’est évident depuis toujours). Penny a dit qu’il n’y a pas de rapport hiérarchique entre le parti et les mouvements sociaux, mais le parti œuvre consciemment pour développer un programme de défense des intérêts de la majorité de la société. Peter a dit que tout parti existant est au mieux une approximation de l’avant-garde des mouvements ; c’est l’avant-garde plus large qui doit fournir des réponses programmatiques à chaque moment avant, pendant et après une crise révolutionnaire. En ce sens il a rejeté l’ancienne optique citée par Claude, le parti comme “clé de voûte de la prise de pouvoir”. Livio a souligné l’importance de la leçon qu’a apprise Rifondazione, que le parti ne doit pas tenter de manipuler les mouvements. Vincent a demandé comment nous définissons l’utilité d’un parti ; il y a une tension entre la simple propagande d’une part et la dégénération au rôle de bureaucrates plus ou moins gauchisants des mouvements, d’autre part. Josep Maria s’est demandé comment nos débats les plus profonds (comme celui-ci) sont souvent externes aux mouvements, et comment nous pouvons modifier cela. Pierre a soulevé le problème de l’absence d’horizon stratégique chez les nouveaux mouvements.

5. Au-delà de l’État-nation ?

Buster a étayé le programme conscient défini au Forum économique mondial (Davos) et poursuivi depuis des années pour que la nature de l’État passe de redistributive à néolibérale. La bureaucratie d’État joue un rôle clé dans le projet néolibéral et pour contourner la démocratie représentative ; or, l’État-nation se forme dans le contexte international des autres États-nation (après 1945, l’ONU et les institutions de Bretton Woods). Maintenant, il évolue dans le nouveau contexte international des blocs régionaux, les nouvelles institutions internationales (comme l’OMC) et l’hégémonie unilatérale des Etats-Unis. Par exemple, l’Union européenne inscrit la nature néolibérale de l’État à sa constitution. En réponse, selon Buster, nous devons former notre propre conception du rôle de l’État, notamment en défendant une conception de citoyenneté multiculturelle et favorable aux femmes. Nous avons besoin d’une conception de “gouvernance socialiste internationale”, notamment les priorités de redistribution, démocratisation et protection de l’environnement et notre propre perspective sur des problèmes comme les (failed states). Certains participants n’étaient pas enthousiastes quant à l’expression “gouvernance” ; sans légitimité selon Pierre. Claude a dit que l’auto-organisation doit constituer un aspect central de notre alternative ; c’est l’unique réponse à la “société de risques” néolibérale. Bruno a répondu que l’auto-organisation n’est jamais permanente et qu’un ensemble de règles, de processus et de sanctions est également nécessaire. Susan a souligné l’importance d’expériences “préfiguratives”.

6. Redéfinir notre identité politique

Peter a dressé une série de défis devant nous comme marxistes révolutionnaires, surtout à la lumière d’expériences comme l’argentinazo et la présidence de Lula ; rendre l’idée de la politique crédible aux gens, foncièrement autre que la politique inadéquate ou les échecs du réformisme, de l’avant-gardisme ou de l’anti-politique (les Zapatistes) et ainsi, rendre la légitimité de la politique de gauche aux yeux de masses de militants sceptiques ou désabusés. En réponse a l’argument de Pierre que la capacité de composer avec les mouvements de résistance fait défaut à l’ordre étatique néolibéral, qui ne pourra donc pas survivre, Peter a cité un ensemble de mécanismes à la disposition de l’état néolibéral pour désamorcer la résistance, telle que décrit par Claudio Katz en Argentine au cours des deux dernières années : la récupération par octroi de subventions, les techniques de marketing, la polarisation de la population selon l’ethnie, la communauté ou les traditions politiques, la manipulation des règles du jeu politique, et la corruption ouverte. Selon Peter, pour répondre aux anarchistes et aux zapatistes, nous devons souligner la nécessité toujours actuelle de développer des alternatives politiques à moyen terme et de ne pas abandonner le terrain politique.  En même temps, il est nécessaire de distinguer notre type de politique de manière plus explicite de l’échec du réformisme que représente Lula (et éventuellement, d’autres larges regroupements dont nous faisons partie ?) et les avant-gardes autoproclamatoires comme les organisations trotskystes sectaires en Argentine, le SWP britannique et LO – toutefois, Penny a mis en garde contre les caricatures du SWP et de LO comme uniquement des propagandistes ou des “opérations de marketing”. Peter a cité la campagne de Besancenot en France comme un exemple de l’importance de notre profil public dans la définition de notre politique et notre orientation à la construction des mouvements plus larges, mais a dit qu’il faudrait faire beaucoup plus en ce qui touche à la présence des femmes, des minorités ethniques, etc.

L’évolution du PT brésilien ne devrait pas nous surprendre, selon Claude ; il y a dix ans, l’ANC sud-africaine a également été récupérée par l’état néolibéral dans un espace de six mois. Et il ne faut pas sous-estimer la crise de la politique : par exemple, citons les immigrés de la banlieue parisienne qui n’ont tout simplement rien à dire sur quelque question que ce soit. Penny a noté que l’intégrisme est parfois la seule alternative viable dans ces communautés, comme les anciens “lieutenants du travail au service du capital” ne jouent plus l’ombre de leur ancien rôle dans nos sociétés. Pierre a dit qu’en France, notamment, il y a une véritable crise de régime, sinon de l’État comme tel, ce qui indique la profondeur de la crise sociale. Il a suggéré que le PT état plus vulnérable aux pressions que tout autre parti où nous oeuvrons, tout simplement à cause de l’échelle du Brésil et de ce parti ; et nos propres organisations soient protégées de toute manière par nos règles très strictes sur le salaire des permanents etc. Peter a souligné qu’il ne parlait pas de trahisons ni de corruption individuelle de nos camarades, et ne voulait pas non plus caricaturer les autres courants d’extrême-gauche. Mais la profondeur de la crise sociale peut rendre la politique extrêmement volatile, selon lui, avec la possibilité de gains rapides chez l’extrême-droite et l’extrême-gauche. Ce qui nous consacre une responsabilité particulièrement importante d’être préparé au mieux et d’anticiper les dangers.

7. Transformer l’école

La discussion sur l’objectif de l’école s’est soldée par la conclusion que son but premier est de former les directions nationales pour constituer une direction internationale. Un objectif connexe est de développer une analyse politique par ce processus qui nous permettra d’intervenir dans le débat politique mondial

 

Le fonctionnement : L’IIRF assume la formation sur le plan international. La formation doit également se poursuivre sur le plan national ; certaines questions sont mieux abordées dans un contexte national plutôt qu’international. Il nous faut une coordination plus large entre la formation nationale et l’IIRF, surtout chez les sections européennes qui sont les plus suscceptibles de pouvoir envoyer des camarades aux séances de l’IIRF. Ainsi, il faut intégrer des membres des directions nationales européennes à l’équipe de l’IIRF.

Des questions : comment mieux utiliser notre site web, et l’Internet en général, pour améliorer le fonctionnement des séances et de la coordination ? Comment améliorer le recrutement pour les séances, avec quel type de publicité ?

Le programme d’études : deux aspects : le contenu et le processus. Le rôle de l’école est de poser des questions, fournir des réponses provisoires (c’est-à-dire des réponses à vérifier en pratique, de nature intermédiaire, etc.), fondées sur notre matrice historique de concepts dont notre courant historique dispose pour le débat et l’analyse politique.

Comment faut-il structurer ce contenu ? Est-ce qu’il faut privilégier les débats au sein du mouvement altermondialiste ou partir de notre propre cadre et de là, aborder les débats au sein des mouvements ? Quelle est l’importance des “modèles historiques” (les Révolutions russe, chinoise, etc.) ? Nous avons tiré la conclusion que les limites de temps des séances actuelles nous laissaient peu de place pour approfondir les modèles historiques mais il faudrait y faire référence. Quels sont les concepts et les valeurs fondamentaux à aborder, notamment la théorie de la valeur, le concept de période historiques (non-révolutionnaire, pré-révolutionnaire, révolutionnaire) et le matérialisme historique ? Enseignera-t-on la méthodologie? Une réponse est que le matérialisme historique est un empirisme conscient, c’est-à-dire, tenter de comprendre les nouvelles tendances à partir de ce que se passe plutôt que de prognotiquer à partir d’une théorie sur ce qui DEVRAIT arriver.

Sur la question du processus, la question clé est comment intégrer les rapports et les rapporteurs à une discussion continue, où l’accent est mis sur la cohésion du plan de cours d’une séance et les liens conscients entre les rapports.

À partir de nos discussions, Susan et Peter ont rédigé ce “programme idéal” pour l’École de Justice globale 2003. (Bien entendu, le programme effectif dépendra de la disponibilité des rapporteurs).