Les femmes et l’intégration économique

La série commence par une contribution de femmes de trois continents. Mariela Barbosa (Uruguay), Heather Dashner (Mexique), Penny Duggan (France), Carol McAllister (U.S.A.), Joanna Misnik (U.S.A.) et Eva Nikell (Suède) décrivent quelques caractéristiques générales de l’impact de la restructuration capitaliste sur la vie des femmes. Elles montrent aussi comment l’oppression selon le sexe a été pour les capitalistes un outil essentiel leur permettant de justifier leur politique et de déplacer la responsabilité du bien-être social de l’Etat et des institutions collectives vers “l’intimité” de la famille.

Introduction: Les femmes et l’intégration économique

La restructuration et l’intégration de l’économie capitaliste mondiale — y compris la récente obligation de la politique d’ajustement structurel englobant des mesures d’austérité, la privatisation de l’économie et la déréglementation du marché — et les avancées actuelles vers l’établissement de regroupements commerciaux officiels par l’intermédiaire de l’ALENA, de l’Union européenne et de MERCOSUR, ont un impact particulier sur les femmes dans les pays capitalistes avancés et dans les pays dépendants. Ce qui est également important, c’est que ces transformations économiques et leur rôle de sape de la force politique de la classe ouvrière internationale dépendent précisément du maintien de l’oppression et de l’exploitation des femmes. Ce dernier point doit être bien saisi pour comprendre la dynamique fondamentale en cause.

En résumé, les regroupements commerciaux officiels, avec leurs buts d’“harmonisation” vers le bas des politiques sociales et économiques pour supprimer les barrières à la libre circulation du capital, la recherche du travail bon marché et du profit maximum, codifient et approfondissent simplement des tendances existantes.

Malgré qu’il y ait des variations régionales, nous pouvons dégager des implications générales pour les femmes et des aspects des discriminations par sexe de l’intégration économique.

Le travail des femmes. En général, les implications de l’intégration économique pour les femmes ont été l’encouragement à la prolétarisation des femmes à l’échelle mondiale, en les forçant à travailler et en utilisant en même temps leur rôle dans la famille et la société pour justifier insécurité et discrimination et le retour de beaucoup de services à la sphère “privée” de la famille, sur les épaules des femmes.

La restructuration capitaliste internationale implique aujourd’hui le développement de l’industrie d’exportation par des multinationales alors que des parties du processus de production (généralement celles qui demandent beaucoup de travail non qualifié) sont localisées dans des zones libres à travers le tiers monde. Ces zones représentent des modèles locaux de ce que les nouveaux blocs commerciaux vont créer sur une base régionale plus large. Des industries dans des zones libres dépendent de l’exploitation de la main-d’oeuvre féminine pour procurer l’augmentation de plus value et de profits qui est le but de la restructuration globale. De ce fait, une couche significative des femmes du tiers monde est intégrée dans la production industrielle dans les secteurs les plus modernes de l’économie, mais dans des conditions d’exploitation maximale. Cependant, ce développement s’est aussi accompagné par une énorme expansion du secteur informel dans lequel travaillent la plupart des femmes, y compris celles qui ont été licenciées par les industries multinationales à cause de leur âge ou de grossesses. En fait, le travail des femmes dans le secteur informel est utilisé pour garantir le “bas prix” et la “flexibilité” du travail masculin et féminin dans le secteur industriel et de procurer une soupape de sécurité pour des ajustements périodiques dans ce secteur. Cette tendance vers le travail dans le secteur informel est accélérée par la commercialisation croissante et l’orientation vers l’exportation de l’agriculture locale, un changement qui sape fréquemment le rôle des femmes dans l’économie fermière plus traditionnelle.

Dans les centres capitalistes avancés, il y a eu un déplacement du marché du travail du secteur industriel vers le secteur des services, poussant un grand nombre de femmes dans le “ghetto” sous-payé “des cols blancs”. Ce glissement s’est accompli sans ruptures importantes par l’instauration de la division du travail par sexe dans la famille. C’était donc les femmes qui jouèrent le rôle clé en maintenant les liens familiaux pendant les périodes de chômage et de stress économique, et aussi se montrèrent prêtes à accepter les travaux sous-payés pour la survie de la famille. Cette expansion du secteur de services s’est combinée avec une nouvelle phase du développement industriel aux Etats-Unis, au Canada et en Europe occidentale, largement dépendante du travail de femmes immigrées. Ces femmes, vulnérables à cause de facteurs combinés de sexe, race et de leur statut d’immigrées, travaillent souvent dans de petites entreprises ou à la maison. Une telle fragmentation et le caractère occasionnel du travail industriel des femmes, qui s’accompagne à la tendance au travail temporaire et à temps partiel dans le secteur des services, est un élément central dans la stratégie du capital de création d’une force de travail “aléatoire” ou “flexible”.

Les politiques d’ajustement structurel, et l’augmentation du chômage qui en résulte, ont conduit à exclure les femmes de l’économie officielles d’une façon disproportionnée, tout en augmentant leur besoin de trouver un quelconque travail rémunéré. Elles se sont donc tournées vers le secteur non-officiel où les femmes sont de plus en plus forcées d’accepter des travaux de journaliers, vendeur de rues ou prostituées. Dans certains pays du tiers monde, le chômage a atteint de telles proportions que les hommes et les femmes sont maintenant en compétition pour les emplois non-officiels, supprimant de ce fait ce filet de sécurité pour les femmes.

Les accords de commerce vont presque certainement accélérer ces développements, conduisant à une “maquiladorisation” du travail féminin aussi bien dans les sociétés des pays capitalistes avancés que dans celles du tiers monde. Un de leurs buts principaux — en dehors d’assurer des règles pour le flux des capitaux et l’investissement, en réglementant fortement d’autres choses comme les brevets — est de généraliser l’élimination de règles sur les conditions de travail et des relations de travail, en utilisant l’argument que leur maintien constituerait des “pratiques commerciales inélégantes”. On verra sûrement alors des attaques contre des droits tels que:

• le droit à des conditions de travail sûres et décentes. Des circonstances dangereuses dans les industries et services où sont concentrées les femmes existent déjà — par exemple, le danger dû aux produits toxiques dans les firmes d’électronique, le feu dans des ateliers de confection, et l’augmentation du stress chez les employés utilisant les ordinateurs.

• l’âge de la retraite peut être “harmonisé”, comme cela a déjà été prévu en Uruguay, où MERCOSUR  a augmenté l’âge de la retraite des femmes de sept à neuf ans, pour s’aligner sur le Brésil.

• les congés de maternité avec salaire, de même que les garderies, des droits légaux au Mexique, pourraient être supprimés par ALENA.

• des programmes d’action positive, un droit durement acquis pour les gens de couleur et les femmes aux USA et au Canada, pourraient être supprimés comme une charge inacceptable pour les capitalistes de ces deux pays, “affectant” leur compétitivité.

Dans le secteur agricole, ALENA et l’Union européenne encourageront la domination de l’“agrobusiness”, conduisant à des pertes de leur base économique pour les femmes de paysans.

Santé et bien-être.  Ces changements dans les conditions de travail et la sécurité au travail affectent la santé des femmes et le bien-être général des membres de la famille (et spécialement les jeunes et les personnes âgées) pour lesquels les femmes ont une responsabilité particulière. L’augmentation des prix et le chômage affectent la capacité des femmes à satisfaire les besoins essentiels, alors que des restrictions dans les dépenses publiques et le démantèlement des services sociaux diminuent l’aide à l’éducation, les soins de santé et les garderies. Ces développements sont particulièrement néfastes aux femmes à cause de leur rôle conscient dans la reproduction sociale et biologique. En même temps, l’Etat demande aux femmes de “reprendre le flambeau” et de procurer sur une base privée des services qui étaient antérieurement fournis par le gouvernement, et en cela faisant avancer le projet d’ajustement structurel.

ALENA en particulier conduit à provoquer de nouveaux problèmes de santé chez les femmes étant donnés qu’il ouvre la voie à la suppression de lois existantes sur l’environnement comme “pratiques commerciales inacceptables”. Par exemple, dans certaines communautés près de la frontière mexicaine, le problème des déchets toxiques est lié à des cancers de l’appareil génital de la femme et à de sérieux problèmes foetaux comme les enfants encéphaliques. Avec l’affaiblissement général des réglementations sur l’environnement, ces problèmes pourraient se répandre dans toute l’Amérique du Nord. Simultanément, ALENA va poser un problème aux programmes nationaux de santé du Canada et du Mexique et rendre plus difficile l’établissement d’un tel programme aux USA. Etant donné que ceci affecte l’ensemble de la classe ouvrière, les femmes, principales utilisatrices du système de santé et responsables de la santé familiale, seront particulièrement touchées. Dans l’Union européenne aussi, les soins de santé et d’autres aspects de l’État-providence pourraient disparaître graduellement.

Avantages sociaux et droits fondamentaux.  En étroite relation avec la santé et le bien-être, il y a les effets de la restructuration économique et des nouvelles politiques commerciales sur les avantages sociaux que les femmes ont obtenus de haute lutte ce dernier quart de siècle, au moins partiellement. Ceci inclut le droit à une conception libre (y compris le droit à l’avortement), le droit à un salaire égal, et le droit d’être à l’abri de violences et harcèlements sexuels.

Alors que la crise économique générale a déjà affecté sérieusement les droits des femmes, les accords commerciaux sapent potentiellement ces droits d’une façon progressive. Ceci est largement de résultat des structures de décision dominées par les multinationales proposées par ces accords, qui se superposeront aux organes législatifs et exécutifs légaux. Ceci combiné avec l’accent mis sur les “pratiques commerciales inacceptables” crée une situation favorable à la suppression des mesures en faveur de l’égalité des femmes dans l’économie. Alors que les raisons pour attaquer ces droits peuvent avoir une base économique, il faut remarquer que ces droits renforcent la position des femmes dans plusieurs secteurs de la société. Leur affaiblissement pourrait remettre en question le statut des femmes comme citoyennes. Les possibilités pour un tel développement sont particulièrement claires en Amérique du Nord où ALENA n’offre aucune garantie au sujet de ces droits. En Europe la situation est plus contrastée du fait que la Charte Sociale qui accompagne les propositions de l’Union européenne met en avant des principes européens communs dans ces matières, proposant des mesures plus fortes dans certains cas (par exemple l’Irlande et le Portugal) ou l’affaiblissement des lois existantes dans d’autres (par exemple la Suède).

Sexualité.  La manipulation de la sexualité des femmes est un des moyens que la restructuration capitaliste utilise pour l’oppression des femmes. Ceci arrive de diverses façons. D’abord, les attaques contre les droits sexuels et de maternité comme discuté plus haut. En ce sens, de telles attaques peuvent être considérées non seulement comme un effet du changement économique mais préparent aussi la voie à d’autres restructurations en rendant les femmes plus vulnérables en termes sociaux et économiques. Deuxièmement, on peut trouver de nombreuses situations où l’entrée et le départ des femmes du marché du travail, comme les conditions de leur surexploitation, sont justifiées par l’image de leur sexualité. Ceci est, par exemple, très fréquent dans les usines où les femmes sont considérer comme “sans sexualité” et par conséquent “libres” d’être exploitées, ou au contraire demandent à être contrôlées strictement — y compris par l’organisation physique du lieu de travail utilisant la peur de violences sexuelles — pour garantir leur pureté sexuelle, et donc limitant leur autonomie et leur mobilité. Finalement, il y a des circonstances particulières — comme le développement du commerce sexuel en Europe, en Asie et en Amérique Latine, l’augmentation de la mortalité due à la dot en Inde, et des politiques de population discriminatoires comme à Singapour — dans lesquelles où la sexualité des femmes est contrôlée de façon à favoriser la stratégie économique d’hommes individuels ou du capital dans son ensemble.

Idéologie.  Les transformations idéologiques qui accompagnent l’intégration globale ont également un impact sur les femmes. Ceci présente aussi différents aspects. Il y par exemple, la manipulation des images et des normes sexuelles discutées ci-dessus. Est important aussi la valorisation idéologique de l’individualisme et de la privatisation qui accompagne les changements récents dans les relations économiques. À cause du rôle traditionnel des femmes dans la famille, un tel développement idéologique les affecte différemment — et dépend aussi de leur collaboration souvent inconsciente aux changements culturels. Enfin, il y la possibilité que ALENA et l’Union européenne joueront un rôle de sape des aspirations à une lutte nationale progressive. Ceci à son tour pourrait avoir des implications spéciales pour les femmes, car c’est par de telles luttes que les revendications des femmes sont souvent émises et satisfaites. Par exemple, pour préparer l’implantation de ALENA, il y a déjà des pressions pour réviser l’histoire officielle de la Révolution mexicaine. De telles révisions serviraient à affaiblir la mémoire collective des acquis de cette révolution, y compris ceux d’une importance particulière pour les femmes comme les droits aux congés de maternité et soins de santé. La lutte en Irlande fournit un autre exemple, car l’affaiblissement de sa vigueur à cause de la nouvelle idéologie européenne peut aussi affaiblir la lutte pour l’émancipation féminine liée aux buts de la libération nationale.