Projet de texte sur le Venezuela

 

Les victoires électorales des 15 août (confirmation du mandat de Chavez par 60 % des électeurs) et du 31 octobre (élections régionales) ont écarté l'opposition à Chavez de nombreux postes de pouvoir au Vénézuéla. Même si l'opposition possède encore pas loin de la moitié des sièges de l'assemblée nationale, elle est en déroute électorale. Cela a permis à Chavez de décréter la phase de la « révolution dans la révolution », phase d'approfondissement et de radicalisation du processus politique en cours au Vénézuéla depuis le début 1989 (date du Caracazo, premières grandes émeutes de la faim pour protester contre les mesures d'austérité budgétaires décrétées par le gouvernement du « social-démocrate » Carlos Andres Perez), renforcé par l'accession au pouvoir de Chavez en 1998.

Néanmoins, la tendance dominante du moment au Vénézuéla, après trois ans d'apres batailles politiques et d'une série de tentatives de renversement des institutions légitimes de la République Bolivarienne du Vénézuéla est la tranquillité politique. L'année qui vient sera-t-elle celle de l'offensive contre la bureaucratie, la corruption et le latifundio comme l'a annoncé Chavez ? En tous, cas, le momement est propice propice à la réflexion sur les potentialités, les limites ou handicaps du processus révolutionnaire ainsi que des taches des révolutionnaires à l'égard de ce processus.

Notre organisation a été absorbée, en Amérique latine, par la construction du Parti des Travailleurs au Brésil, puis par les débats qui ont suivi l'élection de Lula et notre entrée au gouvernement. Indépendamment de la position assumée par les camarades de DS et du P-Sol, la perception dominante dans les réseaux révolutionnaires latino-américains est plutôt au désenchantement et à la conviction que le gouvernement de Lula a tourné le dos aux intérêts des classes dominées du Brésil, et même au programme du Parti des Travailleurs. Cette situation nous place dans une situation délicate au moment de discuter avec la gauche latino-américaine (à l'exception, il faut le souligner, du gouvernement vénézuélien qui maintient une ligne unitaire avec le gouvernement Lula).

Peu après l'accession au pouvoir de Chavez eu lieu la victoire électorale en Equateur de Lucio Gutierrez. Les quelques camarades investis sur place ont pris leur place dans la victoire, mais ont rapidement été confrontés au retournement politique de Gutierrez qui a préféré s'aligner sur la politique des Etats-Unis et protéger la bourgeoisie équatorienne plutôt que de mettre en œuvre quelques programmes sociaux ou réformes de nature à améliorer les conditions de vie des équatoriens, notamment de la grande minorité des peuples originels.

En Argentine, le soulèvement populaire de 2001 n'a pas donné les résultats escomptés et les partis révolutionnaires de ce pays n'ont pu mettre à profit la situation pour modifier substantiellement le rapport des forces. Seule l'arrivée au pouvoir de Kirchner a donné un petit peu d'air, notamment du côté politique, aux forces de la gauche argentine.

La Bolivie semble aujourd'hui être un point chaud pour la gauche latino-américaine, mais les hésitations du MAS et les conflits entre celui-ci et la gauche syndicale semble compromettre des avancées substantielles dans ce pays le plus pauvre du sous-continent.

Le Vénézuéla est donc l'expérience la plus solide du sous-continent, ce qui doit constituer un point d'appui à notre politique.

Afin de provoquer la discussion dans nos rangs, nous avons choisi d'aborder quelques aspects de la « révolution bolivarienne » : la politique internationale de la révolution bolivarienne, la démocratie comme moyen de mener la révolution, la question du parti révolutionnaire. Une chronologie sommaire en annexe permettra aux camarades de saisir l'ensemble du processus depuis la chute de la dictature en 1958.

 

 

Une politique internationale ouvertement anti-impérialiste qui cherche la conformation d'un monde « multipolaire ».

 

La composante internationale de la politique de la « révolution bolivarienne » doit être comprise comme partie intégrante de sa stratégie et de ses objectifs et non pas comme annexe de sa politique intérieure.

Chavez, dirigeant incontestable du processus politique est conscient de la nécéssité d'une alternative internationale anti-capitaliste, ou anti-néolibérale, sans laquelle il n'est pas possible de changer la nature des choses au Vénézuéla. C'est entre autres ainsi qu'il faut comprendre ses références récentes à Trotski[1] et l'activité internationale intense de Chavez depuis son accession au pouvoir.

Le projet politique de Chavez dépasse incontestablement les frontières, comme l'indique la « constitution bolivarienne » qui poursuit l'objectif de l'intégration politique et sociale latino-américaine, l'autodétermination des peuples et l'amitié entre eux.

Les premières mesures prises par le gouvernement sont à cet égard significatives.

Le rapprochement avec Cuba, qui devient le principal allié du Vénézuéla en Amérique latine et Caraïbe, a été un défi aux Etats-Unis. De fait, le régime vénézuélien est devenu, avec le régime cubain, la cible permanente de la diplomatie étasunienne en Amérique Latine.

Refus du Plan Colombie et reconnaissance du caractère de belligérant des FARC. Le gouvernement vénézuélien a immédiatement interdit le survol de son territoire aux avions US participant à la « surveillance » du territoire colombien. Parallèlement, les conseillers militaires US présents au Vénézuéla ont été expulsés.

Refus de la Zone de Libre Echange des Amériques (ALCA). Jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Chavez, le seul pays non membre des discussions visant à la constitution de cette zone était Cuba, exclu d'office par les Etats-Unis. Le gouvernement vénézuélien, sans se retirer des négociations a clairement indiqué le refus de cette Zone, en étant notamment le seul pays à émettre des réserves lors du sommet de Québec en 2000 ( ?). Depuis que le Vénézuéla est dirigé par Chavez, la ZLEA est en crise et l'objectif de la mettre en œuvre sur l'ensemble du continent en 2005 a raté. Les accords de libre-échange se font désormais de façon bilatérale et le Vénézuéla ne le signera pas. Pour contrer la proposition des Etats-Unis, le Vénézuéla a promu l'idée de l'Alternative Bolivarienne Latino-Américaine (ALBA) qui poursuit comme objectif l'intégration politique et sociale du sous-continent dans l'intérêt exclusif de ses populations. Ainsi, dans le cadre de ce projet, le Vénézuéla promeut l'intégration partielle des compagnies publiques de pétrole, la mise en place d'une CNN latino-américaine publique et contrôlée par les gouvernements de gauche, et plus récemment a défendu la convergence politique des acords existants sur le sous-continent (Mercosur et Communauté Andine essentiellement). L'idée défendue aussi par Cuba est de promouvoir une intégration latino-américaine capable de négocier d'un seul bloc avec les Etats-Unis.

Dans le domaine dépassant le sous-continent, la diplomatie du vénézuéla a relancé l'OPEP dès 1999. Jusqu'alors, le Vénézuéla était, à l'image de l'Arabie Saoudite, l'allié des Etats-Unis dans l'accord des pays exportateurs de pétrole, il est devenu depuis le moteur de la nouvelle OPEP, défendant une politique de prix hauts. Comme cette politique a des conséquences pour les petits pays importateurs, le Vénézuéla a signé une quinzaine d'accords dans la zone latino-américaine et caraïbe pour fournir des conditions avantageuses d'accès à l'énergie fossile pour ces pays (accord de Caracas, 1999).

Le Vénézuéla s'est opposé à l'embargo contre l'Irak, et aux guerres qui ont agité le moyen-orient (Afghanistan et Irak). Chavez fut le seul chef d'Etat à rendre visite à Saddam Hussein lorsque le pays était sous embargo. De même, le Vénézuéla entretient d'excellentes relations avec la Lybie, l'Iran, la Chine, autant de pays qui sont en conflit plus ou moins ouverts avec les Etats-Unis et lui contestent le rôle de leadership international.

Le Vénézuéla a adopté comme Nord politique dans le concert international des Nations l'affrontement avec la politique des Etats-Unis afin d'affaiblir l'influence que ce dernier possède encore au Vénézuéla soit par les liens existant entre Washington et l'oligarchie déplacée du pouvoir, soit par les alliances existant avec les pays latino-américains (Colombie notamment, mais aussi Equateur, Chili,…).

Parallèlement à cet affrontement avec les Etats-Unis, le Vénézuéla tente au niveau politique de faire converger tout ce que le sous-continent compte de gauche nationaliste, social-démocrate ou révolutionnaire. C'est le cas par exemple avec la réunion à deux reprises déjà du Congrès Bolivarien des Peuples à Caracas. Lors de ces congrès se réunirent les forces regroupées dans le forum de Sao Paulo, mais aussi toute une série de forces politiques issue du nationalisme latino-américain. Les déclarations issues de ce congrès ne laissent aucun doute sur l'aspiration anti-impérialiste  et de justice sociale de ces réunions. Par contre, il n'est jamais fait référence aux processus des forums sociaux malgré le fait que Chavez ait été présent en 2003 à celui de Porto Alegre.

On peut dire que la politique extérieure vénézuélienne comporte clairement deux aspects qui peuvent apparaître contradictoire lorsque l'on se situe dans l'opposition, mais qui deviennent inévitablement complémentaire lorsqu'on gouverne un pays isolé comme l'est le Vénézuéla au niveau politique : une politique d'Etat qui oblige à entretenir des relations avec les Etats et une politique extérieure de projection d'un projet politique qui peut s'appuyer sur des Etats comme c'est le cas avec Cuba, mais qui consiste fondamentalement en une agrégation de forces politiques aujourd'hui minoritaires mais ayant toute une aspiration à gouverner les pays avec un objectif de transformation sociale.

 

La démocratie

Un des aspects les plus déroutants du processus à l'œuvre est celui de la démocratie. Le processus révolutionnaire a utilisé les canaux de la démocratie bourgeoise, parlementaire, pour installer un processus révolutionnaire qui contient en lui même la contestation de la démocratie représentative. La direction incite donc la population à mettre sur pied des organes de démocratie directe et de « double pouvoir » pour que finisse de mourir le vieux et naisse définitivement le neuf. Mais ces institutions de démocratie directe sont de nature éphémères et n'ont pas encore réussi à se transformer en structures pérennes capables de prendre le dessus sur les institutions de l'ancien régime.

La démocratie représentative a été le moyen d'accéder au pouvoir, aussi bien par l'élection de Chavez en 1998, que par l'ensemble des processus électoraux qui ont eu lieu depuis (neuf à ce jour) : élection de l'assemblée constituante, vote de la constitution par réfernedum, élection des pouvoirs locaux ou référendume révocatoire par ex… A chaque fois le camp chaviste en est sorti vainqueur.

L'utilisation de ces mécanismes a permis en premier lieu d'éviter toute condamnation internationale pour rupture de l'ordre constitutionnel, bien qu'à l'origine le mouvement bolivarien se proposait d'accéder au pouvoir par destruction de la démocratie représentative.

Mais son utilisation a aussi ralentit considérablement la nécéssaire destruction de l'appareil d'Etat de l'ancien régime, gangréné par plusieurs décennies de pratiques clientélistes et de corruption. L'appareil d'Etat actuel au Vénézuéla n'est pas issu du processus révolutionnaire, il est au contraire à l'image du régime politique antérieur, et ne répond que très partiellement aux instructions gouvernementales.

Pour contourner ce problème, pour subvertir cet état de fait, la révolution bolivarienne a parié sur les structures de participation directe de la population, en déclarant le nouveau régime de « démocratie participative ». Le degré de participation populaire au processus politique est probablement une des clés de la victoire ou de la défaite de la révolution, il est aussi un des aspects les plus difficiles à évaluer.

Depuis 1999, de nombreuses organisations ont vu le jour : les cercles bolivariens furent les premières, suivies ensuite par toute une série d'organisation thématiques qui appuient les réformes structurelles gouvernementales rarement mises en œuvre par les administrations officielles. Ainsi, les comités de l'eau pour rationnaliser l'utilisation de cette ressource dans les campagnes, les comités pour les terres urbaines pour mettre en œuvre la réforme visant à attribuer des titres de propriété aux habitants des quartiers populaires (les barrios, version vénézuélienne des favellas brésiliennes), les comités de santé qui appuient le travail des médecins cubains venus en masse dispenser les soins de bases à une population qui ne dispose pas de service de santé publique… Pour le référendum, la population s'est organisée en Unités de Bataille Electorale qui ont quadrillé le territoire…

Un peu différentes sont les organisations de participation directe défensives comme c'est le cas des paysans sans-terre qui ont du s'organiser pour faire appliquer la loi de réforme agraire face aux milices des grands propriétaires terriens qui n'hésitent pas à assassiner les leaders paysans ; ou les expériences d'occupation d'usines arrêtées par les patrons au moment du grand lock-out pétrolier de décembre 2002 et janvier 2003. Ces expériences défensives permettent une accélération de la conscientisation des participants, mais n'ont pas dépassé le cadre défensif.

Chaque organisation dépend à la fois de l'incitation de la direction de la révolution et de questions ponctuelles. Un des défis qui ne s'est pas encore réalisé est celui de la pérennisation de ces organisations pour en faire un embryon de pouvoir populaire capable de disputer aux structures représentatives la légitimité démocratique, comme ce pourrait être le cas avec le MST brésilien. Ce n'est pas l'absence d'incitation de Chavez lui-même qui est en cause, mais bien la persistance de réflexes de partis et de bureaucraties qui ont mis beaucoup d'énergie à affaiblir les potentialités de la démocratie directe.

Un exemple de cela est l'absence aujourd'hui au Vénézuéla de structure de type de celle de Porto Alegre (budget participatif) qui, malgré toutes ces limites, était un pas en avant dans l'institutionnalisation de la participation populaire à la prise de décision. Néanmoins, Marta Harnecker est intervenu lors du séminaire gouvernemental de novembre 2004 pour présenter cette expérience (sans faire référence à notre participation) et la proposer à l'ensemble des gouverneurs et Maires du pays. La constitution du Vénézuéla prévoit ce type de strucure appelées Conseils Locaux de Planification Populaire, mais qui ont été confrontés à la volonté des mairies de réduire leur capacité d'influence en plaçant en son sein des membres des conseils municipaux.

On est donc confronté au Vénézuéla a une soif importante de participation directe de la population mais qui ne débouche pas concrètement à cause en partie des affrontements avec les partis politiques qui sont perçus encore au Vénézuéla comme des organes plus prompts à défendre leurs intérets que ceux du processus politique dans son ensemble. Tant que le centre du pouvoir politique (le gouvernement, les maires et les gouverneurs) n'aura pas décidé de déléguer du pouvoir réel et des budget à ces expériences, elles sont vouées à la marginalité dans le cadre de la démocratie représentative.

 

 Le rôle des Missions sociales

Avec la reprise en main de l'industrie pétrolière au lendemain de la grande grève patronale de l'hiver 2002-2003, le gouvernement a pu mettre la main sur les ressources principales du pays qui ont immédiatement servi au développement de plusieurs grandes missions sociales. Leur ingéniérie est en rapport avec les débats qui traversent le camp de la révolution bolivarienne. Elles peuvent être comprise comme un réformisme conséquent, mais aussi comme un des moyens de la radicalisation politique. Elles se sont développées en marge de et en concurrence avec l'appareil d'Etat, grace à une forte participation populaire. Elles concernent les nécéssités de bases de la population.

Dans la santé, la Mission Barrio Adentro est un embryon de service de santé public. Appuyés par les Comités de Santé, des milliers de médecins cubains (une dizaine de milliers) sont installées dans tout le pays. Médecine de famille, médecine spécialisée, laboratoires d'analyses, ce maillage du territoire répond aux besoins de la population que le système public de santé désastreux du Vénézuéla en proie aux mêmes problèmes que le pays (sous-dotation et corruption étant les principaux facteurs de décrépitude) ne peut résoudre. Parallèlement, des médecins vénézuéliens sont formés à Cuba dans l'Ecole Latino-Américaine de Santé (qui dispensent une formation gratuite pour les pays du Sud) à un rythme de 600 par an, la formation durant 6 années.

Dans l'éducation, les différentes missions ont assuré depuis l'alphabétisation jusqu'à l'ouverture de nouvelles universités en passante par la formation professionnelle. Des centaines de milliers de volontaires ont pu mener à bien ces objectifs.

Dans le domaine alimentaire, le gouvernement a ouvert des milliers de boutiques aux prix populaires dispensant les principaux aliments de base à la population, sans passer par le système de rationnement à la cubaine. A cela s'ajoute des « méga-marchés » organisés par l'armée.

Ce sont les grandes réussites sociales de la révolution bolivarienne, mais elles ont toutes été construites en marge des ministères avec la participation de centaines de milliers de volontaires.

En plus de constituer des initiatives réformistes conséquentes, elles sont aussi vecteur d'une politique révolutionnaire :  elles mettent en évidence que les vieilles strucures de l'Etat n'ont pas été dessinées pour résoudre les problèmes de la société mais pour assurer la domination sur elle. Au niveau moral, elles mettent l'être humain dans son intégralité au centre des préoccupations, contrairement aux valeurs du capitalisme qui ne s'intéresse qu'au producteur. Elles sont des outils de transformation de l'appareil d'Etat, puisqu'il est question dorénavant d'en faire de fait les nouvelles institutions, elles permettent enfin d'entamer la formation de l'homme nouveau cher à Che Guevara, concept souvent utilisé par Chavez. Leurs valeurs éthiques sont toutes aussi importantes que les résultats qu'elles apporttent aux populations.

 

Le modèle économique

C'est évidemment le centre de la discussion concernant la révolution bolivarienne. La lutte contre le capitalisme, au moins dans sa version actuelle néolibérale est assumée par la direction révolutionnaire y compris par Chavez (« il n'est pas possible de construire le bonheur des peuples sans dépasser le capitalisme », Chavez novembre 2004).

En attendant que de grands changements dans le rapport de force internationale ait lieu, et auquel le Vénézuéla dédie une grande part de son énergie, il n'est pas possible d'envisager le socialisme au Vénézuéla. Pour autant, il est urgent de transformer le modèle économique vénézuélien.

Le projet économique actuel de la révolution bolivarienne est avant tout guidé par le souci de diversification. Jusqu'à présent, c'est le pétrole qui a écrasé tout autre développement (80 % des exportations, 50 % des recettes fiscales, avec une nette tendance à l'augmentation des recettes fiscales pétrolières). En vendant son pétrole, le Vénézuéla importe 70 % de sa consommation. L'industrie est sous-développée alors qu'existent des possibilités énormes tant dans les domaines de la transformation du pétrole que d'autres ressources minières.

Comment obtenir cet objectif de diversification et de substitution d'importation. Le gouvernement a parié sur le développement de « l'économie endogène », concept aussi flou qu'inutile pour comprendre les grands enjeux économiques mais qui possède une grande vertu, l'aspiration a ce que des milliers de coopératives productives prennent en charge des taches de production de tout ce dont le pays a besoin, tout en poursuivant l'objectif de s'attaquer en priorité aux besoins des populations les plus proches des unités économiques. On a vu naître 50 000 coopératives dans le pays, mais le fonctionnement de ces unités reproduisent trop souvent le modèle de la petite entreprise privée plutôt que celui de la coopérative qui implique l'égalité entre les membres, la répartition des bénéfices… Cette politique de développement des coopératives est encouragée par le gouvernement par des crédits. Elles sont censées couvrir tous les domaines de l'économie.

Pour autant, pour intéressante que soit l'idée d'une économie coopérative massive (dont le ministre chargé de sa coordination, Elias Jaua, avoue lui-même qu'il ne sait où tout cela mènera), le pays ne saurait se passer de développer des industries qui ne peuvent être des coopératives et qui doivent s'insérer sur le marché national et interational. Le débat n'a pas vraiment lieu publiquement sur cette question.

Reste que « tel qu'il s'exprime aujourd'hui, le projet affiché de Chavez est de construire une forte indépendance nationale politique et économique. Un projet nationaliste qui s'articule avec une vision internationaliste, celle d'une intégration latino-américaine capable de contre-balancer l'hégémonie de l'impérialisme yankee. Si un tel projet s'accompagne d'une politique de redistribution plus équitable des richesses et par le développement d'une économie sociale et coopérative, il admet tout autant la propriété privé des moyens de production et vise tout aussi consciemment à la création d'une industrie nationale aux mains d'une bourgeoisie nationale, c'est à dire qui serve les intérêts de la nation. C'est cette dernière caractéristique du projet de Chavez qui permet d'accepter le terme une peu barbare et péjoratif de "révolution nationale démocratique-bourgeoise" car il correspond au projet historique de la bourgeoisie lorsqu'elle a renversé la domination de l'aristocratie afin d'unifier les marchés et les économies morcelées par le féodalisme et cela au de l'Etat-nation; une structure politique nouvelle capable de garantir le développement du capitalisme naissant.» (Ataulfo)

 

Le ou les partis révolutionnaires

Sans prétendre conclure avec la ce dernier paragraphe, il est nécéssaire d'aborder la question du parti ou des partis révolutionnaires.

Le développement du « chavisme »pour l'appeler d'une certaine façon se fait partiellement sur le rejet extrêmement massif de l'ancien régime issu du pacte de Punto Fijo qui faisait des partis politiques les acteurs exclusifs de la vie politique vénézuélienne. Ce rejet du régime s'étend de façon presque encore plus fort au rejet des partis politiques, que la population perçoit comme les facteurs les plus propices au développement de la corruption et du clientélisme. Aborder la discussion de la nécéssité d'un parti dirigeant le processus révolutionnaire avec le vénézuélien « de la rue », c'est s'assurer d'apparaître comme un dinosaure ou pire comme un partisan du régime des partis.

Pourtant, il aparaît nécéssaire qu'émerge un parti révolutionnaire capable de diriger et centraliser le processus révolutionnaire, de lui fournir une idéologie dominante, de placer ces cadres à tous les échelons de l'administration avec un objectif centralisé démocratiquement.

 

« Les différenciations se produisent (et se produiront de plus en plus) entre ceux qui veulent limiter les réformes à de strictes changements démocratiques, sans toucher au mode de production dominant, et ceux qui posent, ou commencent à poser, la question de la nature sociale et économique (et de classe) de la nouvelle société à construire - sans pour autant qu'ils se qualifient tous de marxistes ou socialistes.

Ces divergences s'expriment souvent dans les critiques populaires contre les faiblesses ou les incohérences de l'Etat à mettre en œuvre, à défendre et à étendre les conquêtes bolivariennes; car il ne s'agit pas toujours d'actes de sabotage de la part de fonctionnaires de l'ancien régime, mais bien de limitations et de coups de freins provenant de représentants du camp chaviste lui-même. Elles s'expriment également lorsque certains secteurs chavistes critiquent les "extrémistes" et appellent à la modération (parfois avec raison, souvent moins) car il y a également ceux qui sont conscients de la nécessité de changer la nature sociale de la société, mais qui estiment qu'il ne "faut pas brûler les étapes", qu'il faut respecter certains rythmes, ne pas "effrayer" la petite-bourgeoisie par des mesures ou des discours trops radicaux, etc…

Ceux et celles qui veulent remettre en question la nature sociale du système lui-même ne sont pour l'instant pas hégémoniques dans le mouvement bolivarien, même s'ils gagnent de plus en plus d'influence, notamment dans le syndicat UNT qui se proclame officiellement anticapitaliste. Il n'existe aucun parti ni une organisation révolutionnaire à l'échelle nationale à la hauteur des défis.

Parmi les partis " traditionnels " les plus à gauche qui composent ou soutiennent le gouvernement, le PPT (Patria para todos) est une sorte de parti "social-démocrate post-moderne" extrêmement modéré, tout comme le modeste Parti Communiste Vénézuélien. L'extrême-gauche, essentiellement trotskyste ou d'origine trotskyste, n'a pas d'implantation de masse même si elle jouit d'une certaine influence dans certains milieux (via le site internet Apporrea.org par exemple), comme le syndicat UNT dont plusieurs représentants sont membres de sa direction nationale. Traditionnellement très morcelée, un début de regroupement s'est opéré entre plusieurs petits groupe au sein d'une nouvelle formation ; l'OIR, Opcion de Izquierda Revolucionaria. » (Ataulfo)

 

Le MVR quant à lui est avant tout un montage électoral permettant aux chavistes de gagner les élections. On ne peut le définir idéologiquement et cohabitent en son sein des options qui vont de la perspective socialisante à des secteurs militaires qui ne sont pastoujours « de gauche ». Il est le parti du Président avant tout, ce qui n'est pas le cas du PPT, qui possède une histoire antérieure au chavisme le raccrochant à l'histoire de la gauche vénézuélienne, tout comme Podemos (deuxième parti de la coalition) qui est une scission pro-chavez de l'ancien MAS, d'origine social-démocrate influencé par l'euro-communisme.

 

« Pendant longtemps, la majeure partie de la gauche radicale vénézuélienne a eu une attitude très hostile envers le gouvernement Chavez. Ce n'est qu'après le coup d'Etat d'avril 2002 que la plupart des groupes se sont pleinement engagés dans le processus tout en gardant d'importantes (et justifiées souvent) critiques envers la direction chaviste. Cette arrivée tardive, la méfiance instinctive des masses envers les " partis ", ainsi que sa présence fort inégale dans le pays, des discours et des prises de positions parfois trop avance par rapport aux niveaux de conscience et des pratiques parfois sectaires sont autant d'obstacle à sa croissance.

Pourtant, le "potentiel humain" pour construire une organisation révolutionnaire anticapitaliste de masse est bel et bien présent. Il existe ainsi des milliers de militant-e-s clairement anticapitalistes mais "sans parti"; des activistes de toutes sortes qui animent les luttes paysannnes, de quartier, des médias communautaires, des syndicats, etc. Le plus souvent ce sont d'ailleurs des anciens membres d'organisations d'extrême gauche, dont la plus importante fut Bandera Roja, aujourd'hui dans le camp... de l'opposition oligarchique ! Rassembler ces milliers de cadres au sein d'une organisation qui puisse accueillir des dizaines de milliers de travailleurs, de paysans et d'étudiants au sein d'une même structure militante clairement anticapitaliste capable de convaincre les masses et surtout capable d'être reconnue comme légitime et nécessaire par elles, tel est le principal défi. » (Ataulfo)

 

Ce potentiel humain s'exprime aussi de façon spontannée dans une série de revendications : « De telles perspectives s'inscrivent d'ores et déjà dans une série de revendications transitoires avancées non seulement par la gauche radicale, mais par certains secteurs syndicaux et des activistes sociaux ; non-payement de la dette extérieure qui engloutit d'importantes ressources, armement du peuple contre toute ingérence impérialiste, nationalisation du secteur bancaire, réquisition des entreprises dont les patrons pratiquent le lock-out et leur auto-gestion par les travailleurs, contrôle ouvrier généralisé et avant tout dans l'entreprise pétrolière nationale, la mise sous contrôle populaire et démocratique des médias, etc. » (Ataulfo).

 

Le trotskisme au Vénézuéla

Les organisations trotskistes au Vénézuéla aujourd'hui sont essentiellement au nombre de deux : la Corriente Marxista Revolucionaria et Opcion de Izquierda Revolucionaria.

La CMR est le groupe lié à Alan Woods, monté presque de toutes pièces par des militants espagnols appuyés par la logistique de son courant international en lien avec un groupe vénézuélien appelé « El Topo Obrero », il publie un petit journal (El Topo Obrero) et se montre présent à l'université et dans l'appui à la lutte de Venepal (entreprise occupée par les ouvriers). Son analyse de la « révolution bolivarienne » consiste en la reconnaissance d'une révolution authentique et adopte vis-à-vis de Chavez une attitude suiviste.

Opcion de Izquierda Revolucionaria, est l'organisation regroupant les restes du PST Moréniste auxquels se sont ajoutés des individus prenant conscience dans le cadre du processus actuel ou des mouvements politico-syndicaux classistes tel que « La Jornada », implantée dans l'indutrie pétrolière.

Ils adoptent une propagande pouvant se résumer en « l'approfondissement de la révolution », mais qui semble essentiellement tactique si on en croit les discussions avec ses principaux membres, certains allant même jusqu'à considérer que Chavez est avant-tout un élément contre-révolutionnaire faisant obstacle au développement de la révolution socialiste au Vénézuéla. Les débats les plus importants entre eux portent sur l'analyse qu'ils font du « chavisme » : est-ce un projet politique alternatif au capitalisme, ou s'agit-il uniquement d'un discours visant à empêcher la révolution ? La réponse à cette question, si se maintiennent les divergences, semble rendre impossible la cohabitation dans une même organisation politique.

Officiellement une sorte de front, le seul courant organisé en son sein est l'UIT (le parti dont est membre le MST argentin), mais cette affiliation ne semble pas être adoptée par tous ses membres.

Leur implantation est essentiellement syndicale, dans l'Etat industriel de Carabobo ou ils contrôlent ouvertement une union régionale. Mais ses militants ont une participation importante dans aporrea.org, sorte d'agence de presse autonome de la gauche de la révolution bolivarienne, ils participent à la lutte contre la dette ainsi que dans de multiples tentatives de regroupement unitaires, par exemple contre la guerre en Irak.

Ils représentent un tiers de la direction de la nouvelle centrale syndicale dans laquelle ils cherchent à mettre en œuvre un processus électoral à la base permettant de légitimer une nouvelle direction syndicale. Ils sont confrontés dans cette bataille à d'autres courants qui préfèreraient un accord entre courants politiques.

La confusion politique/syndicats est de mise puisque OIR se comporte autant comme un mini-parti que comme une fraction syndicale publique. Par exemple au moment du référendum du 15 août, l'UNT a fait un appel en faveur du NON signé par les membres « UNT-OIR… ».

Néanmoins, on ne peut parler d'une surface de masse dans la mesure où la connaissance de l'existence de OIR se réduit à une toute petite avant-garde, bien en deça par exemple de la popularité de la LCR en France.

Enfin, ertains courants issus de l'explosion du PST ont rejoint les structures « chavistes » dès 1998 et ils sont un certain nombre à tenter d'infléchir telle ou telle politique depuis les institutions « bourgeoises ».

 

 

« En guise de conclusion

 

La révolution bolivarienne est sans nul le processus de changement social progressiste le plus avancé dans le monde d'aujourd'hui. Un monde où les forces progressistes et les révolutionnaires ne peuvent s'appuyer que sur un nombre infime d'expérience positives. Mais malgré cela, le peuple vénézuélien ne jouit pourtant pas de toute l'attention et de toute la solidarité nécessaires. S'il faut être prudent au regard des expériences dévoyées, trahies ou mal interprétées du passé, rester de glace ou passif devant un tel processus constitue une erreur profonde et une entorse grave aux principes de l'internationalisme. Que l'on soit simplement opposé au néolibéralisme ou farouchement opposé au capitalisme, soutenir la révolution bolivarienne est une priorité absolue car elle est la seule tentative actuelle de concrétiser réellement un " autre monde possible ". Un développement de ce processus en révolution permanente qui gagnerait inévitablement le reste du continent latino-américain est un scénario qui peut paraître surréaliste aujourd'hui, mais qui l'est moins si l'on a en tête que ce processus sera de longue durée et qu'il a déjà accompli une évolution prodigieuse depuis quelques années à peine. » (Ataulfo)

 

 

Quelques propositions de taches politiques.

Intégrer dans notre propagande que le processus révolutionnaire au Vénézuéla est l'expérience actuelle la plus avancée et sur laquelle la gauche révolutionnaire doit s'appuyer.

Mettre en place des activités de solidarité internationale avec le Vénézuéla, tout en soulignant l'aspect non déterminé ou encore en jeu du processus révolutionnaire.

Développer des relations de solidarité avec le mouvement de masse vénézuélien, notamment par le biais du syndicalisme en cherchant à faire pénétrer notre stratégie de la nécéssité de construire des organisations anti-capitalistes larges. Etre un point d'appui pour des tournées internationales.

Entretenir des liens fraternels avec OIR, les inviter à nos réunions internationales, aux réunions des partis radicaux au moment des forums sociaux. Débattre avec eux de notre conception de la construction du parti et du rôle d'une internationale. Mais ne pas nous limiter à des relations entre trotskistes.

 

Sébastien

LCR



[1] Chavez a fait l'éloge de Trotski, de la nécessité de repenser le socialisme, et fait état de sa lecture de « La Révolution permanente », soulignant qu'il n'y a pas de solution nationale à la sortie du capitalisme. Cela a eu lieu au moment de deux rencontres importantes à Caracas : la rencontre des intellectuels pour l'humanité et du Congrès Bolivarien des Peuples. Plusieurs camarades membres ou proches de la 4 étaient présents, ce qui a permis un échange de vue rapide sur la portée du processus vénézuélien.