Extraits de Penny Duggan et autres (dir.), Les Femmes dans la nouvelle économie globale. Amsterdam, IIRF, 1995.

 

Trupti Shah et Bina Srinivasan

 

Inde: Les effets de développement capitaliste sur la violence sexuelle: la dot et l'avortement de fœtus féminins

 

L'Inde, avec sa diversité tumultueuse et sa culture aux multiples facettes, a eu sa propre histoire d'oppression féminine. Les valeurs féodales et patriarcales se sont conjuguées avec le capitalisme (d'abord importé par la colonisation et actuellement imposé à la fois par les élites indiennes et le capital occidental, représenté par le FMI et la Banque mondiale) pour continuer et renforcer de diverses façons l'oppression des femmes. Il en résulte que la violence vis à vis des femmes a augmenté.

 

Des formes pré-capitalistes de violence sont parfois présentées comme des survivances du passé qui seront abolies avec le développement du capitalisme, la modernisation ou simplement l'éducation. Des visiteurs européens ou d'Amérique du Nord en attribuent la responsabilité au caractère arriéré de la culture indienne. Le gouvernement national dit la même chose. Mais malgré que beaucoup de la violence contre les femmes provient du passé, son contenu a changé. Elle résulte du type de développement capitaliste qui existe dans cette contrée particulière.

 

Deux formes, interconnectées, de violence envers les femmes en Inde sont la mort due à la dot ("dowry death" ou "bride-burning", la mort par le feu des épouses) et l'avortement des foetus féminins. Nous allons essayer d'expliquer l'intensité et la fonction de ces deux formes de violence dans l'Inde actuelle. Le but de cet article n'est pas d'analyser tous les aspects de la dot, mais plutôt d'expliquer les changements qui ont affecté cette coutume sociale avec le développement du capitalisme. (1)

 

Origine de la dot

 

La violence contre les femmes en Inde est une partie de la violence contre les opprimés, c-à-d.dalits ("basses" castes), ouvriers et indigènes (adivasis). La violence sexuelle a lieu aussi chez les opprimés: les femmes ont de ce fait un fardeau supplémentaire à porter. Une interaction complexe entre classe, caste, sexe et culture influe sur les formes de violence perpétrées sur les femmes en Inde.

 

Parmi d'autres formes de violence contre les femmes, la pratique de la dot — une importante coutume — a conduit au meurtre d'un grand nombre de femmes. C'est une des formes de violence les plus significatives infligées aux femmes aujourd'hui et qui a pris dernièrement des aspects horribles. Un ensemble complexe de facteurs a fait des morts dues à la dot ("dowry death") un phénomène presque courant. Nous devons examiner plusieurs processus pour commencer à comprendre comment et pourquoi les femmes ont été confrontées à la violence en liaison avec la dot, et comment la dot elle-même a changé au cours du temps.

 

La dot est de l'argent ou des biens, ou les deux, donnés à la famille de l'époux  par la famille de la mariée pour rendre le mariage effectif et secondairement en d'autres occasions après le mariage. Plus haute est la situation du marié, plus haute est la dot demandée.

Il serait difficile d'affirmer quand et exactement comment cette coutume a débuté et quels sont précisément les facteurs historiques qui ont conduit à la dot dans la société des castes en Inde, étant donné qu'il y a peu de données disponibles. Mais d'une façon générale, plusieurs processus ont convergé pour donner la dot dans sa forme actuelle.

 

Dans l'Inde pré-capitaliste, la dot était liée au caractère hiérarchique du système des castes. Elle était pratiquée surtout par les castes supérieures et les castes possédant du sol. La terre et la caste étaient tous les deux les paramètres du pouvoir dans l'Inde féodale. Le mariage d'une fille dans une famille de caste supérieure ("hypergamie") était un moyen de s'allier avec des familles puissantes. La dot était donnée pour compenser la différence de situation entre les deux familles. Elle servait à compenser pour l'amélioration de la situation de la famille de la mariée et était une forme de reconnaissance de la supériorité de la famille du marié.

 

Un autre facteur qui entra dans la coutume de la dot était le concept de la chasteté et de la pureté de la femme. L'Hindouïsme a fixé des prescriptions pour un comportement convenable de la femme, qui ont toutes pour but de contrôler la sexualité et la fertilité de la femme. Les femmes de l'Inde pré-coloniale étaient considérées comme la propriété de leurs pères, maris et fils, et devaient être protégées dans l'enfance, l'âge adulte et la vieillesse. Comme beaucoup de religions organisées, l'Hindouïsme, ne donne pas l'égalité à la femme, malgré qu'il ait changé au cours des années et comprend plusieurs courants libéraux. La femme doit porter un enfant mâle, être une épouse obéissante et une fille soumise. Dans l'Inde pré-capitaliste, le père avait l'obligation de marier sa fille à un âge convenable avec une famille convenable.

 

Même lorsque le mariage se faisait entre familles de statut comparable, une dot était donnée, dans certaines castes supérieures et moyennes. C'était en relation avec le fait que les femmes des castes supérieures n'étaient pas autoriser à travailler. Les femmes étaient considérées comme des charges non désirées après un certain âge. La dot était donc le prix payé à la famille de l'époux pour accepter une fille, pour qu'elle la protège et subvienne à ses besoins.

 

Du prix de l'épouse à la dot

 

Le versement de la dot n'était pratiqué que par les castes supérieures et moyennes. Les castes inférieures donnaient rarement une dot; à la place, il y avait une coutume de prix de la mariée ou d'un échange de cadeaux. Dans ces castes, le travail des femmes était utilisé intensivement à travailler la terre. Les femmes étaient supposées actives dans des tâches "productives". Elle n'étaient pas considérées comme des charges d'un point de vue économique. Le prix de la mariée était une reconnaissance de la valeur du travail de la femme et une compensation à sa famille pour la perte de son travail. La société indoue des castes inférieures concevait donc les femmes comme contribuant d'une façon significative à l'économie. Ceci ne signifie pas qu'elle n'était pas oppressive vis à vis des femmes; seulement, la dot ne se manifestait pas exactement dans les mêmes formes. Le contexte socio-économique dans lequel on passa du prix de la mariée à la dot donnerait une indication sur le changement de statut de la femme au cours du temps.

 

La dot, limitée aux castes supérieures et moyennes dans l'Inde pré-capitaliste, s'étend maintenant rapidement aux autres castes et communautés qui la pratiquaient rarement dans le passé. Les pratiques actuelles de la dot sont qualitativement et quantitativement différentes des modèles antérieurs. Alors que la dot a toujours été un moyen du dominer les femmes, elle prend maintenant des formes cruelles et violentes. Des femmes sont torturées par leur belle famille dans le but d'obtenir un supplément de dot, à un point tel qu'il conduit souvent au suicide. Dans certains cas les femmes sont brûlées vives par leur belle famille pour avoir une nouvelle femme et une dot en plus.

 

Certaines des caractéristiques importantes de la dot aujourd'hui sont:

 

a) Elle se répand dans toutes les castes, classes et communautés religieuses. Malgré que c'était à l'origine une coutume hindoue, certains groupes musulmans ou chrétiens la pratiquent aussi.

 

b) Le montant de la dot actuellement échangée croît. Beaucoup de mariages se font uniquement pour la dot.

 

c) En plus de la caste et de la fortune, une éducation supérieure, un travail dans le secteur public ou des services administratifs, une profession indépendante (par exemple comme médecin, avocat ou ingénieur) et la citoyenneté d'un pays occidental sont quelques-uns des facteurs qui peuvent contribuer à demander une dot.

 

d) La violence associée à la dot prend des formes brutales. Elle existe maintenant dans presque tous les Etats de l'Inde. Dans l'Inde pré-coloniale, la dot, quoique étant une forme d'oppression des femmes, n'était pas accompagnée par une telle violence brutale sur une si large échelle.

 

La modernisation et le développement capitaliste ne semblent pas avoir affecté la pratique de la dot. Une des raisons pour cela est que la coutume de la dot, comme pratiquée dans l'Inde actuelle, est le produit de l'interaction entre des formes anciennes de domination des femmes et des changements socio-économiques qui ont résulté de la colonisation et du développement du capitalisme.

 

La colonisation et la marginalisation économique des femmes

 

Dans l'Inde pré-coloniale, le système de castes était essentiellement une division économique et sociale des composantes variées de la société Hindoue. Chaque caste et sous-caste avait une situation spécifique dans la hiérarchie des castes et une occupation correspondante. Le rang social provenant de chaque division en castes était aussi dépendante du pouvoir économique, qui était décidé par le succès que chaque groupe avait acquis historiquement en manipulant et contraignant les différents élements de la matrice sociale. Le système des castes avait des règlees strictes pour ses membres, qui devaient être suivies complètement pour que la pureté de caste et son statut puissent être conservées. Le mariage, les règles de souillure, les codes et les normes sociales variaient à l'intérieur et parmi les groupes de castes.

 

La colonisation introduisit le mode production capitaliste en Inde, en conformité avec les besoins de l'impérialisme britannique. Ceci apporta plusieurs changements complexes et contradictoires dans l'économie et la société. La division en castes ne reste plus la forme prédominante de la division sociale du travail, en affaiblissant le lien entre caste et occupation. Le capitalisme à brouillé les distinctions de caste, car il a importé un type différent de système d'éducation et d'industries, apportant de nouvelles voies pour la mobilité sociale et économique des différents groupes de castes.

 

La colonisation a affecté les relations féodales et la société Hindoue de castes d'une façon qui a aggravé la situation des femmes. Par exemple, le système colonial d'attribution de titre de propriété de la terre au nom du chef de ménage, c-à-d l'homme, conduisit à déshériter les femmes, alors que le droit coutumier permettait souvent aux femmes d'être propriétaires. L'économie pré-capitaliste en Inde était largement basée sur la terre, le ménage et la communauté. Les femmes jouaient une rôle important dans chacune de ces sphères. La production basée sur le ménage faisait du travail des femmes une composante importante de l'économie pré-capitaliste.

Avec l'introduction du capitalisme, le contrôle économique quitta le ménage et les centres de "production" se trouvèrent hors du ménage. La mécanisation fut introduite sélectivement, déplaçant les femmes des zones de travail traditionelles et rendant leur travail inutile. La privatisation de la terre possédée par les familles et les communautés comme les pâtures et forêts eut un effet en général négatif sur les capacités productives des femmes. Le contrôle des femmes sur les ressources naturelles déclina. L'industrie artisanale et l'industrie domestique furent détruites par la politique britannique, Par exemple, la filature et le tissage étaient parmi les occupations principales des femmes dans l'Inde pré-coloniale. Il y avait des spécialisations régionales dans l'habilité des femmes, par exemple, la manufacture de la soie en Assam, la fabrication de couvertures dans le nord, "chikan" en Uttar Pradesh, des edredons dans le Bengale, teinture dans le Rajastan et des carpettes dans le Sindh et le Belouchistan. Avec la colonisation, la plupart des femmes furent éliminées de leurs lieux traditionnels de production, alors que les nouvelles opportunités économique leur étaient en général fermées.

 

Le vannage du riz en est un autre exemple. Le concassage du riz était une des occupations principales des femmes dans certaines des régions de production du riz. En 1901, le nombre des femmes engagées dans le concassage du riz était de 2,5 millions. En 1931, avec l'introduction de la farine de riz, le nombre de femmes occupées tomba à 131.000.

 

Indépendance et développement capitaliste

 

L'indépendance a vu la continuation de ces processus de développement capitaliste, avec un effet dévastateur pour les femmes. Le "Socialisme" était la dénomination de l'ère post-coloniale dont les principales figures politiques étaient influencées par une utopie Fabienne, mais étaient guidés par les intérêts de paysans aisés et des principales compagnies industrielles. L'élite dirigeante continua à consister en propriétaires fonciers, capitalistes, Hindous des castes supérieures et bureaucrates. Tout en faisant une tentative d'imiter la planification de style soviétique, l'Etat subsidia le secteur privé avec de l'infrastructure et une aide financière pour que l'industrie privée puisse se défendre contre le capital occidental et prendre pied fermement dans l'industrie lourde.

 

Bien qu'il y ait eu un courant pour des réformes libérales qui désirait que l'Etat joue un rôle de bienfaiteur et "élève" les masses, il y a eu peu de succès dans l'allègement de la pauvreté, l'organisation de soins de santé et la création d'emplois. La société indienne continua à être guidée par les relations de classes d'avant l'indépendance, déterminées aussi largement par les castes.

 

Les besoins du capital conduisirent à des contradictions entre le protectionnisme et la libéralisation, avec un glisement progressif du premier vers le second. Le processus de libéralisation économique commença déjà en 1960, mais le rythme était lent et progressait par bonds suivant les exigences du capital. D'autre part, l'Etat indien était obligé de maintenir sa facade socialiste, en partie à cause des mouvements des masses, de la dynamique politique de l'Asie du Sud et du patronage de l'ancienne Union Soviétique. En 1969, les banques furent nationalisées, alors que dans les années 80 la libéralisation économique fit un bond en avant. Depuis 1990, le pays fut témoin d'un démantèlement presque complet du contrôle gouvernemental. Le capital national et occidental est candidat à la reprise, avec derrière lui la puissance de l'Etat indien.

 

Pendant les années de "développement" après l'indépendance, un grand nombre de femmes n'ont eu qu'un travail inofficiel, mal payé, aux pièces, qui n'était pas soumis à la législation du travail et ne garantissait aucun type de protection de l'Etat. Même lorsque les femmes travaillèrent en nombre croissant, elles ont été poussées à la périphérie du marché du travail. Le charge du travail sur les femmes a augmenté, mais pas les salaires.

 

Dans les dernières années, l'introduction de techniques nouvelles en agriculture réduit beaucoup de femmes au chômage. La rationalisation et la modernisation des usines textiles a éliminé les femmes de tâches qu'elles assumaient traditionnellement en grand nombre. Par le fait de l'accroisement du chômage et la déterioriation de la situation économique, le pourcentage de femmes engagée dans une activité rémunératrice a décliné. Seules les femmes de la classe moyenne ont bénéficié d'un effet positif, qui ont amélioré leur formation et elles sont entrées en grand nombre dans le secteur des services.

 

"Sanscritisation"

 

Le capitalisme a aussi apporté des changements dans la société Hindoue, en particulier en réduisant quelque peu la correspondance entre caste et occupation. Alors que la caste détermine toujours la vie sociale, les relations de parenté et les alliances par mariage, il y a eu une sorte de sécularisation, au moins dans les villes, malgré que le processus ne soit ni complet ni stable. D'autre part, un processus de "sanscritisation" a été entamé.

 

La sanscritisation implique l'hégémonie sociale et culturelle des castes supérieures. C'est une tentative d'atténuer les limites entre les castes supérieures et inférieures au prix de la perte d'identité des castes inférieures; elle tend à absorber les coutumes, styles de vie et l'héritage culturel des castes inférieures dans le "courant dominant" de l'Hindouïsme des castes supérieures. C'est aussi une imitation des normes de comportement et des coutumes des castes supérieures par les castes inférieures pour obtenir une mobilité vers le haut sur l'échelle des castes. (C'est à peu près le même processus par lequel la "civilisation" blanche est imposée ou acceptée par par les peuples noirs et indigènes.)

 

L'interaction des coutumes de dot préexistantes parmi les Hindous des castes supérieures, du processus de "sanscritisation" et du processus économique entamé par le capitalisme a conduit à une situation complètement différente pour les femmes. Cette situation nouvelle a conduit à l'idée que les femmes sont improductives économiquement, ce qui est la prémisse de la pratique contemporaine de la dot. L'apologie de la consommation et la commercialisation de tous les aspects de la vie sont deux facteurs additionnels. C'est la concordance de tous ces facteurs qui explique le nouveau phénomène de la mort due à la dot ou "bride-burning".

 

Donc la mort due à la dot n'est pas une forme de violence continue provenant du passé, malgré sa forme féodale. Son contenu est fortement ancré dans la nouvelle réalité économique.

 

Les femmes s'organisent contre la dot

 

Le mouvement des femmes s'est passionné pour le problème de la dot à la fin des années 70. Une augmentation subite des morts "accidentelles" de femmes attira l'attention de groupes de femmes dans les villes. Beaucoup de ces morts étaient des suicides; les autres cas étaient ceux de femmes mortes de brûlures. Des recherches par les groupes de femmes révélèrent l'affreuse et sordide réalité de ces morts.

 

Un regard sur des statistiques montre à quel point les femmes sont vulnérables à la mort due à la dot en Inde. A Delhi, deux femmes décèdent de brûlures chaque jour. Dans un hopital municipal de Bombay, ily avait 157 cas en six mois (1987-1988). Au Bengale, les suicides et morts par la dot doublèrent en 1984. Karnataka enregistra 9 cas en 1982, 31 en 1983 et 48 en 1984. Andhra Pradesh enregistra 14 morts en 1983, 27 en 1984 et 38 en 1985. Uttar Pradesh connu 182 morts en 1984 et 323 en 1985. Madhya Pradesh enregistra 42 cas en six mois de juin à octobre 1985. Dans le Maharashtra il y eut 129 cas en 1984, et le double en 1985. D'après les statistiques criminelles officielles enregistrées dans les postes de police, 6 femmes sont brûlées vives chaque jour dans l'Etat de Gujarat seulement, qui a le nombre le plus élevées de morts dus à la dot. Il y a probablement autant de cas non enregistrés.(2)

 

Même pour ceux qui n'aiment pas les statistiques, il ne peut y avoir de doute sur le fait que la dot ne peut pas être considérée comme un rite social inoffensif qui a pour but de réguler et distribuer des ressources économiques. Les morts dues à la dot sont une indication cruelle de la fragilité de la vie des femmes dans un entourage patriarcal guidé par les intérêts de la modernisation capitaliste. Ceci est la réalité de la vie des femmes qui sont continuellement exposées aux dangers que ces deux forces générent quand elles se combinent.

 

Les groupes de femmes s'élevèrent contre cette menace sociale dans les années 70. La campagne contre la dot provoqua des interventions combatives devant les tribunaux; l'organisation de manifestations et le boycott des familles donnant ou recevant des dots; des batailles avec la police et des pressions sur les media pour qu'elles considèrent les morts dues à la dot comme des meurtres. Bombay, Calcutta, Delhi, Pune et Nagpur virent des femmes de tous âges venir dans les rues, faire des piquets autour de résidences, distribuer des tracts, envoyer des notes aux agences gouvernementales, discuter dans les postes de police et engager des débats sur l'opportunité de la loi.

 

Une vague de conscientisation fut générée par la campagne anti-dot, ce qui força l'Etat à répondre et a au moins discrédité cette coutune à un niveau social. Il y a encore beaucoup à faire, des femmes sont toujours assassinées au nom de la dot, mais c'est un début.

 

Débats dans le mouvement

 

Au cours de la campagne anti-dot, différents niveaux d'opinions se firent jour à l'intérieur et à l'extérieur du mouvement des femmes au sujet de ce que la dot est réellement et quels buts elle sert. Ici un résumé de ces opinions:

 

a) La dot représente fondamentalement une valeur sociale intrinsèque aux familles Hindoues et la construction sociale Hindoue a été déformée par la modernisation. L'apologie de la consommation et des biens matériels a conduit à considérer les femmes comme une marchandise et à lié les relations sociales à la recherche du bien-être. Le besoin du moment est d'élever la conscience du peuple au sujet de cette commercialisation. Lorsque cela sera fait, la dot disparaitra.

 

b) Le passage du "prix de l'épouse" à la dot est du à la détériorisation du rôle du travail féminin dans la sphère économique et à la réduction de la contribution des femmes à la famille. Le coût de l'entretien d'une femme est de ce fait plus élevé que leur revenu. La dot a pour but de contrebalancer cette situation inégale.

 

c) La dot est une somme d'argent circulant du mariage d'un fils vers le mariage de ses filles. Les filles sont maintenant des charges économiques. Lorsqu'elles seront productives, la dot disparaitra.

 

d) La dot est une coutume arriérée, semi-féodale, qui agit dans un cadre capitaliste, dans une société de consommation. Elle sera éliminée avec le changement dans les relations économiques et de production.

 

e) La dot est un tribut des familles mariant leur filles aux familles les accueillant. C'est une "manifestation claire" d'une relation asymétrique, non-réciproque, intéressée entre 1) les familles, 2) entre hommes et femmes. (3)

 

f) La dot est un transfert de biens entre familles effectué par l'intermédiaire des femmes. C'est une reconnaissance du statut de l'homme qui est supposé être supérieur étant donné qu'il prend à sa charge une fille non désirée. La loi ne peut servir à éliminer la dot, elle continuera à être échangée sous le manteau. La réponse est la demande du droit d'héritage pour les femmes.

 

Avortement de foetus féminins

 

Le fait que les femmes soient considérées comme des charges, et le biais patriarcal généralisé dans la société Hindoue a conduit à une préférence grandissante pour les enfants mâles. La place de la femme est près de son époux et le mariage suppose que tous les liens famillaux avec la fille ont été rompus. Ceci conduit les enfants mâles à chercher des parents pour leur vieillesse et continuer la lignée familiale. Les écrits Hindous interdisent aussi aux filles de brûler les morts; le bûcher de la crémation est supposé être allumé par le fils aîné.

 

Pour ces raisons, la coutume de l'avortement du foetus féminin était répandue dans certaines castes de l'Inde pré-coloniale: le petit nombre de groupes de castes qui pratiquaient la dot. Dans la société actuelle, l'extension du système de la dot est combinée avec des progrès dans la technologie médicale et avec la modernisation capitaliste pour conduire à un autre crime odieux — l'avortement du foetus féminin.

 

Les tests médicaux qui étaient destinés en principe à détecter des anomalies génétiques sont utilisés maintenant en Inde principalement pour déterminer le sexe du foetus. La détection d'un foetus femelle conduit habituellement à l'avortement. La technologie médicale moderne est donc utilisée pour intensifier la discrimination envers les femmes.

 

L'avortement du foetus féminin a atteint aujourd'hui des proportions alarmantes et risque de ne pas diminuer. Au Gujarat seulement, suivant des estimations de conservateurs, 100.000 foetus féminins sont avortés chaque année. La détection prénatale du sexe est pratiquée par la plupart des cliniques d'avortement et les gynécologues, pas seulement dans les grandes cités mais aussi dans les petites villes.

 

Lorsqu'ils sont interrogés par des militantes, les médecins reconnaissent ouvertement que les tests prénataux ont des effets secondaires néfastes pour la santé des femmes. Malgré cela, en complet désaccord avec l'éthique médicale, les médecins font ouvertement des tests de sélection et effectuent l'avortement du foetus féminin. Lorsque ils étaient interrogés par des militantes, ils répondaient simplement "Nous fournissons un service qui est demendé par la société". Les médecins, considérés comme les plus éduqués, la "crème" de la société indienne, considèrent ceci comme un moyen de gagner facilement de l'argent.

 

Les gens du peuple, aussi bien les hommes que les femmes considèrent que au lieu d'élever une fille et payer une dot plus tard, lors de son mariage, il vaut mieux dépenser de l'argent aujourd'hui pour une détermination de sexe. Mais le test est aussi largement utilisé par des gens éduqués, de la classe moyenne, pour avoir une famille "équilibrée". La classe moyenne éduquée s'ajuste à la norme des petites familles, mais ne veut pas avoir une petite famille composée uniquement de filles. La détermination du sexe est donc devenue populaire dans toutes les castes, classes et groupes religieux en Inde.

 

Les économistes argumentent:"Pourquoi s'opposer à cela ? Si le nombre de femmes diminue, leur statut va automatiquement s'élever". Mais les lois de l'offre et de la demande ne jouent pas ici. Le rapport des sexes en Inde est négatif et en déclin. Il était de 972 femmes pour chaque millier d'hommes et a décliné continuellement. Il a atteint maintenant 927 femmes pour chaque millier d'hommes.

 

Dans les endroits où le rapport des sexes est extrèmement négatif, par exemple dans des zones du Rajastan et du Bihar, la polyandrie forcée est une forme grandissante d'oppression féminine. Les femmes sont forcées d'avoir des relations sexuelles avec tous les membres mâles de la famille. Avec un déclin grandissant du rapport des sexes, la violence envers les femmes — harcèlement, viol — ira en s'aggravant.

 

Ajoutant l'insulte à la blessure, l'avortement du foetus féminin est souvent cité comme une mesure de contrôle de la population. Le gouvernement indien subit de fortes pressions de la part du FMI et des pays occidentaux de l'aide desquels l'Inde est dépendante. Les arguments en faveur de la tolérance vis à vis de l'avortement du foetus féminin gagnent en force, étant donné que l'avortement du foetus féminin décroit la croissance de la population de deux façons: le nombre d'enfants est plus faible, et aussi le nombre de futures mères.

 

Le gouvernement indien met donc de côté le problème principal de la distribution de ressources, et est plus concerné par la diminution de la croissance de la population que par la lutte contre le chômage, pour les soins de santé et la réforme agraire. Les pays occidentaux ont leurs propres raisons pour fermer les yeux sur le problème des normes de comsommation qui s'approfondit entre les pays pauvres et les pays riches.

 

Pour rectifier ces tendances, pour améliorer la réalité de la vie des femmes, pour assurer aux femmes une vie digne avec la satisfaction des besoins essentiels, notre lutte ne peut pas rester locale. Les forces avec lesquelles nous sommes confrontées sont globales. Le "nouvel ordre mondial" demande de nouvelles réponses et une action politique plus créative des femmes de tous les coins du monde.

 

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(1) Les sources de cet article sont: V.I. Pavlov, Historical Premises for India's Transition to Capitalism (1973); André Béteille, Caste, Class and Power (1971); C.J. Fuller, The Camphor Flame (1992); Amiya Kumar Bagchi, The Political Economy of Underdevelopment (1982); Romilla Thapar, The History of India, tome 1 (1966); Veena Pooncha (red.), Understanding Violence (Bombay: Research Centre for Women's Studies, 1992); Govind Kelkar, "Violence against Women" in Niroj Sinha (red.), Women and Violence (New Delhi: Vikas, 1989); Vibhuti Patel, "Towards a Feminist Critique of Theories of Violence" (Jan. 1985); Neera Desai et Maitheyi Krishnaraj, Women and Society (New Delhi: Ajanta, 1987); et Madhu Kishwar, "Dowry Calculations", Manushi nº 78 (New Delhi, 1993). Nous voudrions aussi remercier Moly Jacob.

(2) Nandhi Gandhi et Nandita Shah, The Issues at Stake (1992).

(3) Maria Mies, Patriarchy and Accumulation on a World Scale (London: Zed, 1981).

 

 

Malaisie: tradition, changement et résistance quotidienne

 

Carol McAllister

 

Lorsque je présente à mes étudiants de l'université de Pittsburgh la situation des femmes en Malaisie, je commence souvent par une diapositivie représentant une femme (que j'appellerai Asmah), debout dans une rizière, tenant une houe faite à la main qu'elle utilise pour réparer les digues avant de planter le riz qui fournira l'essentiel de l'alimentation de base à sa famille pendant l'année à venir. Dans un coin de la diapositive, les étudiants peuvent voir des lignes électriques qui fournissent l'électricité au village d'Asmah et qui la poussent de plus en plus, elle et d'autres agriculteurs pratiquant l'économie de subsistance vers l'économie de rente. A côté d'Asmah se tient son jeune garçon qui ne porte qu'un T-shirt puisqu'on lui apprend petit à petit à utiliser des toilettes. Un gros plan sur le T-shirt montre une reproduction de Donnie et Marie Osmond, personnages de la culture populaire malaise vers la fin des années 70.

 

Cette photographie ne fait qu'évoquer la complexité sociale et culturelle de la vie des femmes en Malaisie, par exemple la coexistence d'une économie de subsistance et d'une économie de rente, et celles d'images de la culture occidentale et indigène. En tant que femme du Negeri Sembilan, par exemple, Asmah contrôle réellement le champ dans lequel elle se tient et la récolte de son travail, alors que la propriété officielle de telles ressources, du point de vue formel, est collectivement partagée avec les autres femmes de son groupe de parenté. Cela découle des pratiques matrilinéaires traditionnelles de cette région de Malaisie. Pourtant, la fille aînée d'Asmah, Noriah, s'est retrouvée au chômage pendant un temps, après avoir exercé des métiers mal rémunérés, consistant entre autres à laver les cheveux dans un salon de beauté et à servir dans une pompe à essence voisine.

 

Tenter de parler de "la situation" des femmes en Malaisie dans un bref article présente de nombreux dangers, car leurs situations varient considérablement, ainsi que les perspectives et points de vue, selon le groupe ethnique et socio-culturel auquel elles appartiennent. Les Malais (55% de la population), considérés comme la population indigène, étaient un peuple presque exclusivement rural jusqu'à il y a une génération. Quoiqu'ils soient aspirés en grand nombre par le salariat industriel, il sont toujours concentrés dans les villages ruraux des régions rizicoles de la péninsule. Par contraste, la population chinoise est essentiellement urbaine, tandis que les Indiens sont fortement représentés chez les petits commerçants urbains et les fonctionnaires, et parmi les plus pauvres des travailleurs agricoles. Même chez les Malais indigènes, on trouve des variations dans les modèles culturels et le type d'économie pré-coloniale qui caractérisaient différentes régions.

 

On observe aujourd'hui un accroissement des différences de classe parmi les femmes des trois principaux groupes ethniques. Le développement capitaliste provoque des transformations fondamentales dans la vie des Malaises au fur et à mesure qu'elles sont absorbées dans une économie internationale de marché et de salariat. Mais, en même temps, les femmes maintiennent les pratiques économiques et sociales traditionnelles. Les formes et valeurs traditonnelles sont conservées, voire même renouvelées et raffinées par les Malaises elles-mêmes parce que cela leur fournit les moyens de faire face, de protester ou même de résister aux aspects les plus brutaux de l'exploitation qui résulte du développement dépendant. Mais ces traditions peuvent en même temps être ébranlées et déformées lorsqu'elles se heurtent au capitalisme, et manipulées par les employeurs à leurs propres fins.

 

Cette dynamique complexe et contradictoire détermine et reflète les choix des Malaises dans la période actuelle de changements socio-économiques rapides. La discussion ci-après porte sur certaines expériences des ouvrières et paysannes malaises au cours des 20-25 dernières années, période où leur société s'est incorporée dans l'économie capitaliste mondiale.1

 

Développement capitaliste et femmes malaises

 

L'Etat de Malaisie suit un modèle de développement capitaliste fondé sur une industrie de transformation pour l'exportation, tout en aspirant à devenir l'un des Nouveaux Pays Industrialisés actuellement représentés par les quatre "tigres asiatiques" (Singapour, Hongkong, la Corée du Sud et Taiwan). Après une grave crise économique au milieu des années 80, qui a provoqué le licenciement de dizaines de milliers de travailleurs, l'économie a connu une croissance rapide et régulière, et s'est reconvertie de la production de ressources primaires (surtout caoutchouc naturel, huile de palme et bois tropicaux) à la fabrication de composants et produits industriels. A la différence de pays comparables d'Afrique et d'Amérique latine, la Malaisie n'a presque pas de dette extérieure et ne souffre pas du genre de mesures d'austérité que le FMI impose ailleurs.

 

Si de nombreuses familles connaissent des difficultés économiques et l'insécurité, la pauvreté désespérée qui caractérise de plus en plus la plupart des pays du Tiers-Monde est clairement absente en Malaisie. Mais le modèle d'industrialisation adopté par ce Nouveau Pays Industrialisé potentiel se fonde sur la surexploitation et le contrôle de la force de travail, ainsi que sur le refus de considérer les graves problèmes pour l'environnement, la santé et la sécurité. Tous ces éléments constituent le cadre dans lequel les Malaises font l'expérience des changements.

 

Lorsque j'ai effectué ma recherche sur le terrain, dans la région Kuala Pilah du Negeri Sembilan, en 1978-79, les jeunes femmes étaient, pour la première fois dans l'histoire de leur communauté, attirées en grand nombre vers le salariat. Beaucoup de ces femmes, ainsi que les femmes d'autres régions de Malaisie, formaient la colonne vertébrale de la main-d'oeuvre des usines électroniques à capitaux japonais ou américains qui pullulent depuis le début des années 70 dans la nouvelle stratégie de transformation-exportation ou d'approvisionnement off-shore du capital international. D'autres jeunes femmes qui travaillaient également dans les zones franches étaient employées dans l'industrie textile plus ancienne mais en plein développement. Ce mouvement se poursuit de nos jours: "80% des 85.000 emplois créés dans l'électronique sont occupés par des femmes. Et 70% de ces femmes sont des Malaises."2

 

Certains de ces nouveaux emplois sont situés dans des zones rurales. D'autres impliquent que les Malaises se déplacent, au moins temporairement, de leurs villages ruraux à des lotissements urbains ou dans des zones industrielles. Dans les années 70 et la première moitié des années 80, l'ouvrier d'usine était typiquement une jeune femme, célibataire. Il semblerait pourtant que les femmes conservent plus longtemps ces emplois, après s'être mariées et avoir eu des enfants. C'est une évolution significative qui aura un impact sur le rôle des femmes, les modèles familiaux, et la structure de la société malaise tant à la campagne que dans les villes. Par exemple, "les travailleuses plus âgées ayant des enfants et vivant loin de leurs familles étendues doivent trouver d'autres moyens d'élever leurs enfants puisque ni le gouvernement ni les usines n'offrent de gardes d'enfants."3

 

Les multinationales sont surtout incitées à établir leurs usines en Malaisie parce qu'elles y trouvent une main-d'oeuvre bon marché mais assez éduquée. Un rapport de 1989, par exemple, signale que les ouvrières à la production dans les usines d'électronique étaient payées environ 4,20 $ US par jour. En 1992, les salaires dans les deux Etats les plus industrialisés, Selangor et Penang, s'élevaient en moyenne à seulement 2,40-4,00 $ par jour.4 Et pourtant, beaucoup des jeunes femmes qui travaillent dans l'électronique ou d'autres types d'usines sont des diplômées du secondaire.

 

Les multinationales trouvent également des avantages à un climat politique qui contre le militantisme ouvrier et opère un contrôle très strict sur l'organisation et les activités5 des syndicats. Investir dans une zone franche leur procure des bénéfices particuliers, comme des exonérations fiscales temporaires ou permanentes au niveau des droits d'import-export. L'absence de règlementation en matière de santé et sécurité représente un autre attrait pour les investisseurs, mais cela a des conséquences très nocives pour les ouvriers et les communautés locales. Parmi celles-ci, un certain nombre de décès chez les ouvrières d'usines électroniques qui seraient liées à leur exposition à des produits chimiques toxiques utilisés dans l'ensemble du secteur. Ces produits chimiques deviennent ensuite des déchets toxiques qui empoisonnent des communautés entières après leur utilisation dans l'industrie.6

 

Le développement capitaliste et la croissance des industries de transformation pour l'exportation a entraîné l'expansion et la transformation d'autres aspects de l'économie malaise. Les Malaises se rendent maintenant régulièrement de leurs villages ruraux aux villes proches ou à la capitale, Kuala Lumpur, à la recherche de travail dans les bureaux, dans le secteur de la vente ou celui des services. Elles s'engagent comme employées de bureau, dactylographes, standardistes, vendeuses dans les magasins chinois, esthéticiennes, ou dans le tourisme, entrant ainsi dans des emplois très féminisés tant dans les sociétés développées que dans les dépendantes. La tendance récente à la privatisation de l'essentiel du secteur public, y compris la poste, les télécommunications et les transports, va affecter nombre de ces emplois. Si l'on en croit l'évolution d'autres pays, les femmes employées dans les bureaux et les services vont connaître une chute de leurs salaires et une plus grande insécurité d'emploi.

 

Dans la région du Negeri Sembilan comme dans d'autres régions de Malaisie, d'autres femmes restent dans leur environnement rural, mais sont entraînées dans la production à petite échelle de caoutchouc. La récolte de caoutchouc par incision par les petits exploitants malais a commencé à l'époque coloniale, mais a connu une expansion après la période coloniale, provoquant l'entrée de davantage de femmes dans cette activité économique. Bien qu'elles demeurent en dehors du salariat contractuel, la participation de ces femmes à la production à petite échelle de caoutchouc lie davantage leur revenu aux fluctuations internationales de la demande en caoutchouc naturel et les rend plus vulnérables aux récessions de l'économie capitaliste mondiale. Quelle que soit leur type d'emploi, toutes ces femmes se trouvent de plus en plus dépendantes de produits de masse, fournis dans le cadre d'un marché concurrentiel, pour satisfaire leurs besoins essentiels en alimentation, vêtements et logement, ainsi que pour satisfaire de nouveaux besoins comme des télévisions, l'eau courante, des uniformes d'école et des motocyclettes.

 

La situation au Negeri Sembilan, où le système matrilinéaire traditionnel assurait l'accès des femmes aux ressources productives, encourageait leur participation active à la vie économique et communautaire, et valorisait fortement leur rôle, montre clairement comment le développement capitaliste sape leur statut. Si les femmes jeunes et plus âgées du Negeri Sembilan continuent à participer activement à une économie en plein changement, les rôles traditionnels des femmes sont en train d'être dévalués et l'on voit apparaître une situation d'inégalité entre hommes et femmes dans l'accès à d'importantes nouvelles ressources. Dans cette situation, l'aspect le plus positif de la participation croissante des Malaises dans le secteur capitaliste réside dans le développement de leur interaction avec les femmes d'autres groupes ethniques et d'autres régions du pays.

 

Les formes de résistance féminines au quotidien

 

La façon dont les Malaises affrontent et cherchent à résister à certains des aspects les plus durs de ce nouvel ordre économique ne passe cependant pas par des formes de travail ou de militantisme féminin familières en Occident. Au contraire, leurs stratégies de survie et de résistance dépendent dans une large mesure du maintien de pratiques traditionnelles de coopération qui appartenaient à leur culture d'origine, et de l'adaptation de ces traditions à la situation actuelle. Ceci est particulièrement clair dans le Negeri Semblan où le système matrilinéaire encourageait des formes d'organisation économique et sociale à la fois communautaires et centrées sur les femmes.

 

La persistance des formes traditionnelles de travail et de propriété est un bon exemple. Les femmes du Negeri Semblan continuent, malgré leur participation croissante au salariat, à cultiver le riz pour leur subsistance et à récolter le caoutchouc comme culture de rente. La production de riz se fait sur la terre héritée et la récolte est partagée entre membres du groupe de parenté, mais n'est jamais vendue sur le marché. Le caoutchouc requiert l'acquisition initiale de terres auprès du gouvernement national, et implique ensuite la vente du latex partiellement traité à un négociant en caoutchouc en ville. Les Malais du Negeri Sembilan possèdent leurs champs de riz et leurs arbres à caoutchouc selon un modèle beaucoup plus typique du système matrilinéaire que de la propriété foncière capitaliste. Ils refusent de traiter ce genre de propriété comme un bien qui puisse être acheté et vendu, et le considèrent comme une ressource dans laquelle tous les membres du groupe de parenté ont un intérêt collectif.

 

Les gens du Negeri Sembilan, et dans une certaine mesure, les Malais d'autres régions conservent ces formes de propriété et de travail traditionnelles comme complément à leur salaire généralement bas et comme recours pour les périodes fréquentes où ils cessent, volontairement ou non, leur travail rémunéré. Ceci est particulièrement important pour les femmes dont la position dans une économie de salariat reste aux niveaux les plus bas, et qui est plus précaire que celle des hommes. Au moins quelques multinationales préfèrent licencier des femmes après quelques années de travail ou lorsqu'elles atteignent environ 25 ans.

 

De plus, en combinant "le travail au village" avec l'emploi en usine, dans un bureau ou dans un magasin d'une ville proche, les femmes peuvent maintenir un plus grand contrôle sur leur travail et accomplir en même temps d'autres tâches valorisées, comme l'éducation des enfants ou l'organisation de rites. En tant que forme de résistance quotidienne, ces pratiques empêchent l'absorption totale par le salariat et diminue la dépendance des gens par rapport au marché. Elles limitent également le degré de despotisme que les employeurs peuvent imposer aux travailleuses, puisque les femmes peuvent toujours abandonner leur emploi et rentrer chez elles pour travailler à la production de produits de subsistance ou la production commerciale à petite échelle.

 

Un exemple extrêmement intéressant concerne l'application des principes du système matrilinéaire de propriété à la "nouvelle ressource" de l'éducation. Dans le Negeri Sembilan, l'éducation des filles est particulièrement soulignée et tend à être un effort collectif. L'étudiante est censée payer en retour en partageant les compétences et possibilités acquises par l'éducation avec sa famille maternelle étendue. Par la promotion de l'éducation des filles, faite selon la tradition de coopération, les femmes du Negeri Sembilan résistent dans une certaine mesure à la distorsion des systèmes d'éducation publics en faveur des hommes et aux valeurs de compétition encouragées par le processus même de scolarisation.

 

Si cette démarche concernant l'éducation est propre à la région du Negeri Sembilan, les Malaises de l'ensemble de la péninsule tentent de maintenir les réseaux de familles étendues. La structure familiale dans le Negeri Sembilan actuel est encore basée sur le modèle matrilinéaire traditionnel, la descendance passant par les femmes et les relations principales étant centrées sur les mères, filles et soeurs. Dans d'autres régions du pays, les familles sont davantage structurées à l'occidentale, avec des liens de parenté "des deux côtés". Alors que les membres de la famille ont maintenant tendance à vivre séparément et à être engagés dans différents types de travaux, le genre de ressources et les formes d'aide qui sont partagées entre femmes se diversifient et deviennent plus essentielles à leur survie.

 

La participation aux fêtes traditionnelles (kenduri) permet une extension et une ritualisation de telles formes de soutien collectif. Ces fêtes sont organisées à tous les moments de changement dans la vie, les plus grosses et les plus élaborées, qui peuvent inclure jusqu'à 500 ou 1.000 personnes, se produisant à l'occasion du mariage. En plus de leur signification religieuse, les fêtes fournissent un mécanisme important de redistribution économique et de discussion politique, fonctions qui deviennent fondamentales dans la période actuelle de stratification économique et de répression politique croissantes.

 

Dans toute la Malaisie, les femmes ont d'importantes responsabilités dans les fêtes. Au Negeri Sembilan, elles jouent LE rôle principal dans l'organisation des kenduri. Elles sont responsables de l'essentiel de l'organisation de l'événement, prennent des décisions à son sujet et gèrent la collecte des ressources nécessaires. Elles passent beaucoup plus de temps que les hommes à y travailler ensemble, et durant les préparatifs, discutent de questions locales, voire nationales ou internationales qui les touchent ainsi que leurs communautés. Il est significatif que, malgré d'énormes pressions de la part des élites nationales et des fondamentalistes islamiques qui les poussent à abandonner de telles pratiques, les Malais participent encore activement aux kenduri et dépendent des échanges qu'elles encouragent.7

 

La combinaison de ces formes traditionnelles d'économie, de famille et de rites avec les nouvelles relations économiques et sociales imposées par le capitalisme aide les Malaises à satisfaire certains de leurs besoins principaux et à résister à certaines formes nouvelles d'exploitation. Cependant, avec l'interpénétration des formes pré-capitalistes et capitalistes, de telles traditions peuvent également être déformées et sapées. Par exemple, sous la pression du marché, le kenduri  commence à prendre des allures d'étalage compétitif.

 

Les pratiques traditionnelles peuvent également être utilisées pour que des corporations exploitent davantage les femmes. Par exemple, la tradition de garde d'enfants collective, l'une des fonctions toujours accomplie par la famille étendue, est très importante pour le bien-être des enfants malais. Elle "libère" aussi les mères qui peuvent passer de longues heures dans des emplois rémunérés souvent situés loin de leurs villages, et supprime pour les entreprises employant ces femmes l'obligation de fournir elles-mêmes ce service.

 

La persistance de riziculture et de récolte de caoutchouc et celle des formes traditionnelles de propriété collective peut également être bénéfique pour les capitalistes locaux ou internationaux. Tout d'abord, parce qu'elle permet aux employeurs de verser des salaires qui n'assurent même pas la survie, puisqu'on suppose que les jeunes femmes (et même les jeunes hommes) continuent à être financés par leur groupe familial. La participation des Malaises dans les formes traditionnelles de soutien économique et social peut également atténuer certains types de militantisme politique et ouvrier, là encore, à l'avantage du capital.

 

Cette dynamique contradictoire est encore révélée par deux autres exemples du maintien et de l'adaptation des anciennes traditions pour faire face aux nouvelles formes d'exploitation. Ce sont les ouvrières qui sont possédées par un esprit, et les étudiantes et ouvrières qui s'engagent dans la renaissance islamique.

 

Possédées par un esprit

 

Le phénomène de la possession par un esprit ou l'attaque d'un revenant (kena hantu) est un bon exemple de l'utilisation d'idéologie traditonnelle par les Malaises pour faire face à la situation nouvelle créée par le capitalisme. Pour les indigènes, lekena hantu sert d'explication à diverses maladies, surtout à la détresse et aux dysfonctions psychologiques. Dans le temps, les maladies des paysannes d'un certain âge étaient généralement attribuées à la possession par un esprit, ce qui tendait à attirer l'attention sur les causes économiques et sociales autant que psychologiques de leur mauvaise santé. La guérison se produisait grâce à une série de rites spéciaux organisant le soutien à la malade, la réintégrant dans son milieu communautaire et aidant à des transformations dans sa situation économique et sociale.

 

Au cours des vingt dernières années, les attaques par des revenants se sont produites le plus fréquemment non pas chez les femmes plus âgées des villages, mais chez les jeunes femmes travaillant dans les ateliers de production des usines multinationales. Quand les attaques se produisent dans un atelier, elles prennent en général un caractère de masse, un hantu étant d'abord aperçu sur toute la chaîne de production avant que cet esprit maléfique ne fasse succomber plusieurs jeunes femmes. Les femmes possédées, (ou plus exactement, les esprits s'exprimant par leur intermédiaire) hurlent des plaintes précises sur leurs conditions de travail, et s'insurgent en particulier contre les abus des directeurs de l'usine ou des contremaîtres. De tels éclats peuvent révéler que la colère de l'esprit provient de la localisation même de l'usine multinationale sur un territoire sacré.

 

La direction essaie habituellement de contenir les attaques, quelquefois en renvoyant les femmes perçues comme leaders, surtout si elles "récidivent". Mais souvent, surtout si l'attaque est suffisamment importante, l'usine doit fermer pendant plusieurs jours ou même plusieurs semaines pendant que les guérisseurs traditionnels viennent accomplir les cérémonies de purification. Quelquefois, la répétition de kena hantu amène la direction à modifier les horaires, le rythme et les conditions de travail dans l'usine. Dans ces cas, la possession sert, dans une certaine mesure, à imposer une véritable restructuration du procédé de production industrielle.8

 

Renaissance islamique

 

Un autre phénomène récent qui contraste à bien des égards avec la possession par les esprits est celui de la participation des femmes à la renaissance islamique. Depuis le milieu des années 70, cette renaissance, connue en Malaisie sous le nom de dakwah, a beaucoup gagné en force et en ferveur, obtenant l'attention et la participation de beaucoup de membres de la communauté malaise. Tout en manifestant des caractéristiques locales, cette renaissance en Malaisie est liée, du point de vue conceptuel et dans une certaine mesure organisationnel, à la vague récente d'intégrisme et de militantisme islamiques qui a saisi d'autres sociétés musulmanes.

 

Le dakwah représente une tentative de réforme religieuse fondamentaliste, mais aussi l'expression d'une protestation sociale contre la politique actuelle de l'Etat. La renaissance présente une perspective ambivalente et quelque peu contradictoire sur des questions concernant les droits et rôles des femmes. Certains courants, par exemple, encouragent l'enseignement supérieur pour les femmes, mais critiquent leur participation aux types d'emplois qui en découlent souvent. Cette renaissance peut potentiellement introduire de graves restrictions dans la vie des femmes, qui vont de la réduction de leur accès traditionnel à la propriété à des campagnes imposant des codes sexuels plus stricts.

 

Pendant ma période de recherche sur le terrain au Negeri Sembilan, une forte proportion des participants au dakwah étaient de jeunes femmes, facilement identifiables par leurs robes longues et leurs voiles, symboles de leur nouvel engagement et qui ne sont pas habituels pour les Malaises. Dans l'ensemble de la Malaisie, les adhérents au mouvement sont surtout des jeunes, hommes et femmes, d'un niveau d'éducation supérieure à la normale. Beaucoup sont des étudiants d'université formés aux nouvelles classes professionnelles et techniques, même s'ils ne sont ensuite embauchés que dans des emplois de col-blanc ou de l'administration relativement mal payés. Le militantisme de la renaissance sur les campus universitaires et parmi les étudiants joue peut-être un rôle modérateur important. Il y avait cependant, au milieu des années 80 un intérêt croissant dans cette renaissance auprès des ouvriers de l'industrie et particulièrement des femmes travaillant dans les zones franches.9

 

Le dakwah peut être perçu essentiellement comme une réaction contre le stress socio-économique et la corrosion culturelle produite par le développement capitaliste. Il fournit également un axe nationaliste pour la communauté malaise en opposition à la domination culturelle et économique de l'Occident. En même temps, la renaissance souligne les distinctions entre Malais d'un côté, et Chinois et Indiens non musulmans de l'autre, approfondissant ainsi les divisions ethniques en Malaisie.

 

Au Negeri Sembilan, la participation de jeunes femmes éduquées à cette renaissance peut être comprise comme une réaction à leur sentiment d'exclusion du système matrilinéaire traditionnel et à leurs expériences moins que satisfaisantes de l'économie capitaliste en expansion. Quelque soit leur type d'emploi, les femmes trouvent peu de modèles culturels des rôles féminins dans cet environnement occidentalisé, florissant sur les magazines à l'eau de rose, les publicités à connotations sexuelles, les feuilletons et pop stars américains, pour remplacer les images plus positives des femmes dans leur culture traditionnelle. Leur sentiment de dislocation économique et culturelle peut être extrême et les entraîner à chercher une alternative radicale. Le dakwah, avec ses liens avec leurs propres racines cutlrelles et avec la montée du militantisme islamique au niveau mondial, fournit cette alternative à un nombre croissant de jeunes Malaises.

 

L'impact de ce mouvement sur ce qui reste de la culture malaise traditionnelle et sur les relations capitalistes naissantes est cependant complexe et contradictoire. Par exemple, le mouvement affirme et prône l'identité et la culture malaise musulmane par opposition à la culture de consommation étrangère. Certains dirigeants du mouvement critiquent fortement le rôle des corporations étrangères dans leur pays et la politique économique de leur propre gouvernement, ce qui inclut le traitement des femmes dans les usines des multinationales. En même temps, dans la vie des villages, la renaissance a souvent pour effet de promouvoir la transformation de formes de coopération à des formes capitalistes et de masquer certaines relations d'exploitation récentes. Au Negeri Sembilan, le mouvement menace de saper davantage certains aspects importants de la culture matrilinéaire, comme la propriété communautaire qui est essentielle à l'égalité et l'autonomie des femmes.

 

Pour ce qui est de la vie personnelle de la plupart des femmes adhérant au mouvement, je dirais que leur nouvelle foi leur fournit un soutien social, un modèle culturel et un certain degré d'auto-estime. Le mouvement de dakwah aide une minorité à mieux cerner et exprimer leurs critiques de l'évolution du pays vers le développement capitaliste dépendant, et de son impact sur leurs existences. Pour ces adhérentes, la résistance et la protestation conscientes font partie de leur engagement dans la renaissance islamiste. Cette résistance se caractérise aussi par le refus de certains aspects de leurs cultures traditionnelles qui garantissaient leurs droits et libertés en tant que femmes, et par l'acceptation de nouvelles formes d'oppression sociale et sexuelle imposées par le mouvement.

 

Perspectives

 

A la suite de critiques faites par des femmes du Tiers-Monde, les études récentes ne décrivent pas seulement la victimisation des femmes du Tiers-Monde mais notent également et souvent glorifient les formes de résistance des femmes contre leur propre exploitation et contre les injustices faites à leurs communautés. En Malaisie, beaucoup de ces formes de résistance s'inspirent de façon créative des cultures indigènes des Malaises pour leur fournir une certaine protection contre les inégalités résultant de la transformation capitaliste et pour protester contre elles. Cependant, nous ne devons pas avoir une vision romantique de l'utilisation des pratiques traditonnelles comme véhicules de la résistance en omettant la façon dont ces pratiques peuvent être sapées et déformées dans leurs heurts avec le système capitaliste mondial, ou en négligeant de noter les contradictions contenues dans certaines de ces formes de protestation. L'un des éléments qui pourrait déterminer dans quelle mesure ces "formes quotidiennes de résistance" peuvent satisfaire les besoins et les intérêts des femmes est la façon dont elles peuvent être incorporées dans les luttes plus consciemment organisées pour le changement politique et économique qui sont dirigées par les travailleuses elles-mêmes.

 

Quoiqu'il y ait un certain nombre d'intellectuelles et d'organisations nationales de femmes (essentiellement les sections de femmes des parties politiques, les organisations sociales affiliées à ces partis et les organisations caritatives, il n'y a actuellement pas de mouvement féministe militant en Malaisie qui reprennent régulièrement des questions femmes ou parle dans l'intérêt de la majorité des femmes. Au contraire, la plupart de ces organisations (y compris la plus grande, Wanita UMNO, la section de femmes du parti malais au pouvoir), ont "pour effet de réduire les femmes au rôle de soutien dans les organisations et institutions dominées par les hommes". La situation actuelle résulte en partie de la répression gouvernementale qui décourage toutes les formes d'organisation à la base, et qui utilise des mesures de répression périodiques comme celles de 1987-88 pour viser des groupes qui ont des positions avancées sur des questions concernant les femmes.10

 

Bien que le mouvement ouvrier souffre d'une répression similaire, il semble qu'il y ait eu récemment des tentatives de reconstruction d'un mouvement ouvrier plus militant ayant notamment des liens avec les syndicalistes des pays voisins.11 Toutefois, les femmes ne jouent pas dans les syndicats un rôle proportionné à leur nombre élevé et croissant dans la main-d'oeuvre salariée. Cela tient probablement à plusieurs facteurs dont la domination masculine traditionnelle sur les structures syndicales et aux postes de direction, le manque d'intérêt que les syndicats portent aux questions et préoccupations des femmes, et leur incapacité à prendre des dispositions spéciales (comme la garde d'enfants) qui permettraient aux femmes de participer plus activement. Il y a aussi le problème de la division sexuelle selon les emplois qui confine les femmes aux secteurs des services, de la vente et des bureaux, traditionnellement sans organisation, ou encore à l'industrie électronique qui interdisait la syndicalisation jusqu'à très récemment.

 

Malgré leur manque de participation dans les organes officiels des syndicats, les femmes semblent prêtes à s'engager dans les organisations et les luttes ouvrières. A la fin des années 70 par exemple, une étude du comité de recherche de la Fédération des syndicats de Malaisie a montré que les femmes des zones franches sont extrêmement désireuses d'adhérer à des syndicats ou d'en former. Durant la vague de licenciements massifs du milieu des années 80, les ouvrières se sont organisées en piquets de grève et pour protester devant les usines qui venaient de les renvoyer. Cela semble indiquer que les changements récents dans la politique officielle qui permet la syndicalisation dans l'électronique et la pression croissante du mouvement ouvrier international pour autoriser les travailleurs à s'organiser véritablement, sur une base nationale et non par entreprise, pourraient avoir une signification particulière. Cette évolution pourraient offrir des ouvertures donnant aux travailleuses la possibilité de créer leurs propres organisations avec leurs propres revendications.

 

Même s'il faut encore organiser plus consciemment des efforts visant au changement, les stratégies de résistance des Malaises fondées sur le maintien et l'adaptation de différents aspects de leur culture traditionnelle sont et resteront fondamentales. Continuer à pratiquer l'agriculture de subsistance, organiser les fêtes communautaires, être possédée par un esprit, sont des réactions créatives à de nouvelles formes d'exploitation qui permettent d'atténuer certaines des conséquences les plus dures pour les femmes du développement du capitalisme dépendant. Et si ces "formes quotidiennes de résistance" ne peuvent en elles-mêmes apporter les changements requis pour en terminer avec l'exploitation des femmes ou des travailleurs, elles peuvent contribuer au développement de mouvements politiques forts et cruciaux qui soient fermement enracinés dans les traditions et perspectives culturelles locales. Seule une telle convergence peut permettre la construction d'un mouvement qui exprime vraiment les besoins et expériences des femmes et les fasse participer activement à une lutte pour préserver ou changer leurs sociétés comme elles l'entendent.

 

 

Mexique: l'ALENA et les droits de l'homme

 

Carmen Valadez Prez

 

A la veille du XXIe siècle, les femmes sont toujours victimes de discrimination et/ou de marginalisation. Nous continuons à affronter le sexisme sous toutes ses formes. Ce qui caractérise la fin de ce millénaire, c'est que les femmes forment aujourd'hui un contingent organisé et en augmentation, capable d'élaborer ses propres propositions, enraciné dans tous les secteurs de la société, malgré la féminisation de la pauvreté et ce qu'elle implique.

 

A la frontière nord du Mexique, dans ce que l'on appelle "la zone franche" - l'ancien nom de ce qui s'appelle "modernisation" dans le traité de libre-échange nord-américain (ALENA) - l'exploitation de classe se combine de façon dramatique à l'oppression sexuelle. La région frontalière montre clairement ce que signifie être une femme dans une économie capitaliste, patriarcale en crise.

 

Le Mexique a désormais plus de 2.000 "maquiladoras", 84% de ces usines étant situées à la frontière nord. Grâce à un programme lancé en 1965, les maquiladoras ont pu importer des produits industriels semi-finis hors taxes, pour les traiter, les assembler et les réexporter vers les Etats-Unis. Plus d'un demi-million d'ouvriers travaillent dans ces usines, dont 70% de femmes. L'industrie des maquiladoras au Mexique représente la principale source de devises fortes et l'une des principales sources de profit des Etats-Unis.

 

Si l'on définit la violation des droits de l'homme comme le refus de tous les droits élémentaires qu'ont les êtres humains, et ce, avec participation directe de l'Etat ou d'une de ses institutions, alors les droits des femmes sont en permanence violés dans les maquiladoras. La mise en oeuvre du traité de l'ALENA au Mexique va élargir ces violations à l'ensemble du pays.

 

Les gouvernements du Mexique, des Etats-Unis et du Canada, ainsi que les multinationales, ont planifié la surexploitation des femmes. Lorsqu'ils ont envisagé d'établir ces usines, ils ont étudié quelle en serait la meilleure main-d'oeuvre, et sont parvenus à la conclusion que cette main-d'oeuvre serait formée de femmes jeunes, célibataires, sans expérience professionnelle ni syndicale, et avec un niveau d'éducation faible ( la majorité n'ayant pas terminé l'école primaire).

 

Ils croyaient au mythe selon lequel les femmes sont "naturellement" soumises, délicates et patientes, et pensaient qu'elles accepteraient sans protester la monotonie des chaînes de montage, le travail intensif, les cadences rapides, et les longues journées de travail.

 

L'actuel gouvernement de Carlos Salinas de Gortari a tenté de convaincre le pays que le Mexique va entrer dans le monde industrialisé en tant que "partenaire" du Canada et des Etats-Unis, avec l'arrivée d'investissements étrangers incontrôlés. En réalité, notre pays semi-colonial a été choisi comme "partenaire" en raison du faible coût de sa main-d'oeuvre: bas salaires, mauvaises conditions de travail et de sécurité, et absence pratiquement totale d'investissements dans les services publics.

 

Lorsque la journée de travail passe à 12 et 14 heures par jour, cette main-d'oeuvre bon marché produit davantage. Les femmes sont sélectionnées pour ces emplois simplement parce que ce sont des femmes. Tout ceci représente une violation de la constitution et du droit du travail mexicains. Cela va également à l'encontre de la déclaration univerrselle des droits de l'homme, de la convention pour l'élimination de toutes les discriminations contre les femmes et les accords internationaux soutenus par l'Organisation internationale du travail (OIT), pour ne mentionner que quelques-uns des documents signés par les trois pays du traité. Tous établissent clairement que l'Etat est l'organisme responsable du respect des droits des femmes.

 

L'Etat mexicain et son administration non seulement ne garantissent pas ces droits ni les conditions qui permettraient aux femmes de s'épanouir en tant qu'êtres humains, mais ils sont allés jusqu'à offrir au capital étranger les meilleures conditions possibles de réalisation de profit en plaçant la production avant la santé et le bien-être des femmes et de leurs familles.

 

La responsabilité du gouvernement mexicain est clairement illustrée par les plans de "développement" des maquiladoras depuis 1965, du "programme pour utiliser la main-d'oeuvre excédentaire sur la frontière nord avec les Etats-Unis", de 1966, à l'ALENA, en passant par le "programme d'industrialisation de la frontière".

 

L'Etat a préparé le terrain afin que les femmes parviennent à ces projets en tant que main-d'oeuvre bon marché et sans protection. C'était soi-disant pour empêcher ce résultat que les amendements au droit du travail fédéral du Mexique a établi "l'égalité" des droits et des obligations sur le lieu de travail entre hommes et femmes, tout en interdisant aux femmes d'accomplir des travaux dangereux ou malsains durant la grossesse et en leur interdisant le travail de nuit. L'industrie des maquiladoras enfreint en permanence ces dispositions, ainsi que d'autres, mais les fonctionnaires du gouvernement s'abstiennent de toute intervention. Le traité de l'ALENA met en danger l'existence de ces lois, en pratique et même sur le papier.

 

Conditions des femmes dans les maquiladoras

 

Dès qu'une femme cherche du travail dans une maquiladora, elle subit une violation de ses droits. La plupart des usines exigent un certificat médical prouvant qu'elle n'est pas enceinte. Un bon nombre des employeurs offrent des contraceptifs par voie orale ou intraveineuse à la femme, ou même exigent qu'elle les prenne. Beaucoup exigent également tous les trois mois une preuve selon laquelle les travailleuses ne sont pas enceintes. Des syndicats jaunes signent des accords sur les conditions de travail, dans le dos des travailleurs, contenant des clauses telles que l'obligation qu'a l'employée de déclarer sa grossesse à l'entreprise. C'est le cas de l'accord de Glen de Mexico signé par la Confédération révolutionnaire des travailleurs mexicains (CROM), qui va à l'encontre du droit de la femme de choisir, puisque les ouvrières perdent leur emploi dès qu'elles tombent enceintes.

 

Avec un salaire minimum moyen de 150 nouveaux pesos par semaine (soit environ 45,5 US$), auquel s'ajoutent des primes à la ponctualité et productivité sous forme de bons de supermarché valables seulement pour des produits alimentaires et dans certains magasins, le salaire réel est extrêmement bas. Les primes à la productivité encouragent également une concurrence sauvage parmi les travailleurs. Beaucoup de femmes "choisissent" de travailler en équipe de nuit - souvent pendant plus de 12 heures - afin de pouvoir s'occuper de leurs enfants dans la journée. Elles doivent souvent faire des heures supplémentaires, qui ne sont payées qu'au tarif normal, pour être libres le samedi et pendant les vacances de Noël et de Pâques.

 

La plupart des avantages des travailleurs sont limités à l'inscription au système national de santé et de retraite mexicain, l'Institut mexicain de sécurité sociale (IMSS). Cependant, avec la "modernisation"", la plupart des entreprises ont désormais leurs médecins ou infirmières, ce qui permet d'interdire aux travailleurs de quitter l'usine pour se rendre chez le médecin et de gagner du temps de production.

 

Les conditions de travail sont insalubres. Les femmes manipulent des produits chimiques et des solvents sans gants ni protection. Elles travaillent dans de grandes salles sombres, semblables à des entrepôts, soumises à des bruits intenses, à la chaleur, à des chaînes de production rapides et à des mouvements répétitifs et incessants. Les façades peintes de couleurs pastel et les "jolis" jardinets des usines ne sont qu'une tentative de masquer les atteintes à la santé des femmes et le stress provoqué par les conditions de travail.

 

A divers degrés, les femmes sont soumises au harcèlement sexuel tant de leurs collègues masculins que de leurs contremaîtres et directeurs. Quoique le harcèlement sexuel soit considéré comme un délit, les ouvrières n'ont en pratique aucun recours légal. C'est le harcèlement sexuel qui a déclenché certaines des luttes de femmes dans les maquiladoras, comme dans le cas de la tentative de viol à l'usine Solitron en 1983, qui a provoqué une lutte qui a abouti à la formation du premier syndicat indépendant de Tijuana.

 

Certaines équipes s'achèvent au milieu de la nuit. Les femmes quittant leur travail sont alors vulnérables au vol, au viol et à d'autres types d'attaques. Les routes ne sont pas éclairées et il n'y a ni transport public ni transport organisé par l'entreprise.

 

La triple journée de travail

 

Comme toutes les ouvrières du monde, les travailleuses des maquiladoras effectuent une double journée de travail. Mais cela devient souvent une triple journée parce qu'elles doivent accepter des heures supplémentaires ou même doubler leur temps de travail pour gagner un peu plus. Après l'usine, elles doivent encore rentrer chez elles, faire le travail ménager, s'occuper de leurs enfants et de leur mari. Elles en viennent à travailler jusqu'à vingt heures par jour. Souvent, une femme qui travaille en équipe de nuit se terminant à 2 heures du matin se lève à 5 ou 6 heures pour préparer le repas de son mari, lever les enfants, les habiller, les nourrir et les amener à l'école, nettoyer la maison, laver le linge, faire le repas de midi pour le reste de la famille et quelquefois préparer de la nourriture à vendre... puis, retourner au travail.

 

Même quand elle ne sont pas chez elles, ces femmes continuent à devoir s'occuper de leurs enfants. La plupart des ouvrières des maquiladoras sont chefs de famille, qu'elles aient ou non un mari. Etant donné la pénurie de centres de garde d'enfants, les femmes (dont la majorité ont entre 16 et 24 ans) doivent abandonner leurs enfants sans supervision ou les laisser à un voisin. Cela implique une inquiétude qui, ajoutée au stress auquel elles sont soumises dans le travail, met en danger leur santé physique et mentale.

 

Bidonvilles et déchets toxiques

 

Les femmes transforment les collines poussiéreuses et craquelées en espaces habitables en construisant des maisons et en plantant des arbres et arbustes qui nécessitent peu d'eau, puisque la plupart des quartiers pauvres ne disposent d'aucun service public comme l'eau courante, l'électricité ou un système d'égoûts. Les hommes et femmes du secteur des services, des maquiladoras et du secteur informel (comme les vendeurs des rues) vivent dans ces bidonvilles.

 

En plus de ces conditions difficiles, les habitants des bidonvilles connaissent le problème des déchets toxiques. Des données récentes montrent que les 2.000 maquiladoras du Mexique produisent chaque année 200 millions de tonnes de déchets toxiques et que, actuellement, 100 millions de tonnes sont stockées de façon insatisfaisante. Différents responsables de la protection de l'environnement au niveau fédéral ou de la région frontalière ont déclaré que plus de 60% des maquiladoras enfreignent la législation sur l'équilibre écologique. Elles violent en particulier les réglements qui les obligent à renvoyer les déchets toxiques ou dangereux dans leur pays d'origine ou à empêcher que ces déchets ne soient rejetés dans l'environnement, spécialement dans les communautés avoisinantes et les bidonvilles où vivent la majorité des populations frontalières.

 

Des mandats d'arrêt ont été lancés contre les propriétaires de maquiladoras qui ne respectent pas les lois sur l'environnement, et qui, de ce fait, mettent en danger la communauté et causent des dommages irréversibles à la santé des populations, incluant des malformations à la naissance et même des décès.

 

A Tijuana, l'usine Alco Pacifico, à capitaux américains, a abandonné 50.000 tonnes de scories de plomb. En plus des dommages causés à la santé des travailleurs, qui, à la date de rédaction de cet article, n'ont toujours reçu aucune compensation, Alco Pacifico a provoqué des dégâts pour l'environnement qui coûteront 20 millions de dollars à la communauté en frais de nettoyage. L'entreprise n'a versé que 2 millions de dollars après avoir totalement pollué une vallée qui produisait des produits laitiers.

 

La commission sur l'écologie du Congrès de l'Etat de Basse-Californie a déclaré en juin 1993 que la contamination par le plomb avait gravement affecté la santé de la population. La commission a rendu la contamination responsable de décès et a affirmé que bien de ses conséquences n'avaient pas encore été étudiées ou révélées.

 

Il y a tous les mois des accidents dans les usines de la frontière. Beaucoup ne peuvent être masqués en raison de leur importance. Mais beaucoup d'autres ne font l'objet d'aucun rapport. Au cours des dernières années, les accidents et la contamination répandue des usines de Mexicali ont entraîné l'exode des populations voisines. Rien n'est fait pour satisfaire ou suivre les besoins des résidents en matière de santé.

 

En décembre 1991, José Alfredo Cardiel Cordero, ouvrier de l'usine Chromizing est mort en raison de ces conditions. Un mois plus tard, en janvier 1992, 10.000 résidents des localités voisines de El Polvorin, Gonzlez Ortega, Condor, Casas Eternas et Villa Verde ont dû être évacués à la suite d'une fuite de gaz de chlorure et de la fumée de l'incendie d'une usine Qulmica Orgnica. Aujourd'hui, Ubaldina, 22 ans, auparavant résidente de Mexicali, doit vivre dans une auberge de jeunesse du gouvernement pour être proche du centre où l'on traite le cancer qui s'est développé à la suite de l'accident de janvier 1992. L'IMSS (système de sécurité social) lui a refusé le droit à un traitement.

 

Dans les trois mois qui ont précédé la rédaction de cet article, juste avant le vote du Congrès américain sur le traité ALENA, plusieurs accidents ont eu lieu à Tijuana. Etant donné le manque de précautions adéquates pour les travailleurs et la communauté, ils ont eu des conséquences tragiques.

 

Le 10 septembre 1993, une fuite de chlorure de méthylène à l'usine de Calinor a entraîné la mort par empoisonnement de deux ouvriers qui ne disposaient d'aucun équipement de protection. L'usine appartient à la famille Camarena Salinas, parents du président Salinas, et l'un de ses membres a été récemment nommé directeur de l'IMSS de Basse-Californie. L'accident a mis en lumière le fait que les ouvriers de Calinor n'étaient pas suffisamment couverts auprès de l'IMSS, en violation claire de la législation sur le travail. Les résidents des alentours sont préoccupés par les odeurs bizarres qui émanent de l'usine. Ils craignent un autre accident qui menaceraient non seulement les ouvriers de Calinor, mais également la population.

 

Une étude scientifique récente a montré que l'eau, l'air et les sols du Cañon del Padre de la région de Tijuana sont fortement contaminés. Il y a 25.000 habitants dans le cañon. Dans l'ancienne commune rurale (ejido) de Chilpancingo, qui a 250 puits contaminés, l'étude a trouvé diverses maladies de la peau et du cuir chevelu chez les habitants, ainsi que 10 cas d'anacépalies (enfants nés sans cerveau) et d'autres malformations congénitales provoquées par la pollution. Rien qu'en 1993, dans la région d'Ensenada en Basse-Californie où les ouvriers utilisent régulièrement des pesticides, on a enregistré 17 cas d'anacéphalies. Le Mexique a actuellement le taux le plus élevé du monde, avec 18 cas d'anacéphalies pour 10.000 naissances, encore que les chercheurs croient le chiffre réel plus élevé.

 

Le 12 octobre, une explosion dans l'usine Industrias Marqueras de California à Tijuana a fait trois morts chez les ouvriers qui manipulaient les solvents et diluants de peinture sans protection.

 

Le 14 octobre, 90 employés ont été intoxiqués à l'usine Fisher Plant de Tijuana par la nourriture servie à la cantine.

 

Il est également prévu de construire une décharge nucléaire dans la Ward Valley, aux Etats-Unis. Le site envisagé stockerait des déchets nucléaires dans des fossés irréguliers en surface, au-dessus d'une rivière souterraine et à juste 32 kilomètres de la rivière du Colorado qui passe au Mexique. La décharge est située au milieu d'une zone de protection des tortues du désert de Mojave.

 

La maquiladora Candados Presto, située dans la ville frontalière de Ciudad Juarez dans l'Etat de Chihuahua a été mentionnée comme usine polluante, tandis que l'usine Sonland Parck de la ville de Nuevo Mexico possède une décharge de produits chimiques qui affecte toute la communauté voisine. A Reynosa, dans l'Etat de Tamaulipas, les maquiladoras et la compagnie pétrolière publique Pemex rejettent des déchets toxiques dans la rivière du Rio Grande. On trouve des cas semblables tout le long de la frontière.

 

Refus des droits, défense des droits

 

Plusieurs facteurs contribuent donc à la détérioration spectaculaire de la santé physique et mentale des habitants des régions frontalières et surtout des travailleurs des maquiladoras:

• la faiblesse des revenus, avec des salaires de 50 US$ par semaine ou moins;

• la malnutrition, puisqu'un panier d'aliments de base, sans tenir compte des dépenses pour l'habillement, les chaussures, les médicaments et naturellement, les loisirs, coûterait mensuellement sept fois le salaire minimum de 120 US$;

• les obstacles au droit de s'organiser, tant dans la communauté que sur le lieu de travail;

• les conditions de vie insalubres, la plupart des habitants ne disposant pas d'eau courante, d'électricité, d'égoûts ni de rues goudronnées. Les fûts contaminés éliminés dans les maquiladoras sont récupérés comme réservoirs à eau;

• le manque généralisé de soins médicaux, en particulier pour la grossesse et la maternité;

• la pénalisation de l'avortement, même dans des cas de malformation du foetus et de danger pour la santé de la mère.

 

Ces conditions représentent une atteinte au droit de la femme à la santé, notamment pour tout ce qui concerne la maternité. Elles expliquent l'augmentation du nombre de bébés nés avec des problèmes congénitaux allant d'un poids insuffisant à l'anacéphalie. On constate également une augmentation des dérèglements menstruels et d'autres problèmes d'ordre gynécologique.

 

Cet article ne cite que quelques exemples de la pollution à laquelle sont soumises les ouvrières des maquiladoras et leurs familles à cause des usines. Ces cas devraient faire l'objet d'une enquête sérieuse et suivie afin que les victimes reçoivent une aide et une compensation satisfaisantes.

 

Diverses organisations locales, des groupes de défense des droits des femmes et particulièrement les organisations naissantes des travailleurs des maquiladoras ont exigé un contrôle public de ces usines, de leurs propriétaires étrangers, de leurs gestionnaires mexicains et des différents responsables gouvernementaux impliqués dans ces affaires.

 

Le mécontentement croissant suscite la création d'organisation d'ouvriers et d'ouvrières, qui n'ont pas encore atteint leur plein développement. La résistance qui s'effectuait silencieusement à l'intérieur des usines jusqu'à il y a peu ne demeure plus silencieuse. Aujourd'hui, dans la zone frontalière, diverses tentatives sont faites pour organiser les travailleurs des maquiladoras, les membres des divers communautés et, plus récemment, pour organiser une résistance commune entre Etats-Unis et Mexique.

 

L'adoption du traité de l'ALENA a en fait donné un nouvel élan à la solidarité transfrontalière de classe, de sexe centrée sur les usines. Les luttes des ouvrières des maquiladoras reprennent maintenant des revendications de classe et forgent une identité entre femmes qui donnera à leur mouvement la dimension globale d'une lutte pour leurs droits en tant que femmes, travailleuses et êtres humains.

 



1 L'analyse présentée ici est basée pour partie sur les propres recherches anthropologiques de terrain de l'auteur dans plusieurs villages malais à la fin des années 70 dans la zone matrilinéaire traditionelle de Malaisie connue sous le nom de Negeri Sembilan (voir McAllistair, Carol, "Matriliny, Islam and Capitalism: Combined and Uneven Development in the Lives of Negeri Sembilan Women", Ph.D. Dissertation., University of Pittsburgh (1987), et "Uneven and Combined Development: Dynamics of Change in Women's Everyday Forms of Resistence in Nigeri Sembilan, Malaysia", Review of Radical Political Economics, Vol. 23, nos. 1&2 (1991)) mises à jour et complétées par les publications d'autres chercheurs pendant les années 80 et le début des années 90.

2 Margaret Scott, "Brave New World: The Lives of Malaysian, especially Malay, Women, Transformed by Factory Work", Far Eastern Economic Review (Dec. 21, 1989),32.

3 Ibid., 34.

4 Ibid., 32; Vatikiotis, "Where Has All the Labour Gone", Far Eastern Economic Review (April 16, 1992).

5 Jusqu'à récemment on empêchait les travailleurs de l'industrie électronique de se syndiquer en rejoignant un syndicat existant ou en formant leur propres organisations (Rohana Ariffin, "Women and Trade Unions in West Malaysia", Journal of Contemporary Asia, Vol. 19, no. 1 (1989)). En partie à cause de la menace des Etats-Unis de supprimer des privilèges commerciaux, la Malaysie a annoncé maintenant qu'elle acceptait les syndicats dans l'industrie électronique, du moins en principe. Cependant seuls les syndicats-maison sont autorisés et les véritables tentatives de former des syndicats entrainent des harcèlements et des menaces sérieuses aux travailleurs (Jim Stockton, "Poisoned Factories and Techno-Fantasies", International Viewpoint #214 (Oct. 14, 1991)). La pression internationale conduite par la Fédération Internationale de la Métallurgie agissant à travers l'OIT, se porte récemment sur le gouvernement malais pour lui faire changer sa politique (Vatikiotis, "Credibility Gap: Union Issue Mars Image as Third-World Leader", Far Eastern Economic Review (July 16, 1992).

6 Stockton, op.cit.

7 Pour prolonger la discussion sur les Fêtes et le développement capitaliste, voir Carol McAllistair, "Women and Feasting: Ritual Exchange, Capitalism, and Islamic Revival in Negeri Sembilan, Malaysia", in Research in Economic Anthropology, Vol. 12, Barry Isaac, (ed), Greenwich, CT: JAI Press, 1990.

8 Aihwa Ong, Spirits of Resistance and Capitalist Discipline: Factory Women in Malaysia (Albany: State University of New York Press, 1987) fournit le rapport le plus complet d'épisodes de possession parmi les ouvrières de Malaisie.

9 Zainah Anwar, "Pray Less, Play More: Malaysia's University Students Lift the Veil as Islamic Activism Mellows", Far Eastern Economic Review (Jan. 25, 1990). Un article récent indique que "facilement 30% des travailleuses dans la plupart des usines" ont décidé de porter le voile islamique (Scott, op.cit., 34).

10 Karim, Wazir-jahan Karim, "Malay Women's Movements: Leadership and Processes of Change", International Social Science Journal, Vol. 35, no. 4 (1983), 729; Barbara Wenthworth, "Malaysia: Protests Mount over Police Crackdown", International Viewpoint #132 (Dec. 21, 1987).

11 Arokia Dass, Not Beyond Repair: Reflections of a Malaysian Trade Unionist, Hong Kong: Asia Monitor Resource Center (1991).