Ce
rapport essaie de tracer les activités menées par le mouvement de libération
des femmes au niveau national mais il se concentre surtout sur les activités du
Parti, spécifiquement au Mindanao pendant la période révolutionnaire, dirigées
par le Parti Marxiste-Léniniste.
Bien que
ce rapport essaie de retracer les activités historiques à l’intérieur du
mouvement révolutionnaire, il ne s’y limite pas et il ne peut éviter de
mentionner les activités importantes et la formation d’organisations de femmes
indépendantes qui ne sont pas dirigées par un parti et qui ont contribué d’une
manière ou d’une autre au mouvement femmes du pays.
La
dernière partie de ce rapport parle plus en détail du travail femmes au
Mindanao, plus spécialement après la division dans le mouvement
national-démocratique au début des années 90. Cette partie parle donc des réalités
au Mindanao, dans lequel on est confronté au fait que le Mindanao est composé
de trois peuples – les Lumads (peuples indigènes), les Moro et les colons, en
majorité Chrétiens – ce qui a fortement influencé notre ligne de
marche/tactique dans le mouvement des femmes.
On ne
pouvait pas non plus éviter de comparer notre travail femme avec ce qui se
passe dans le mouvement des femmes au niveau national.
Le début
historique de mouvement des femmes aux Philippines est bien décrit par
plusieurs militantes des Philippines (spécifiquement Aida Santos, Sylvia, Estrada, Claudio dans “
Mouvements des Femmes et Mouvements Sociaux : conjonctures et divergences “ ) qui
ont d’abord, nous avons supposé, été très actifs dans le mouvement
national-démocratique et qui se révèlent très critiques par rapport au
comportement du mouvement des femmes dans le pays, son orientation, ses
approches, ses directions. En relisant ces écrits, et en regardant notre propre
expérience très limitée dans le mouvement des femmes, nous sommes en accord
avec les différents points discutés dans cet article.
Comme il
est écrit dans ce document, l’origine du mouvement des femmes se trouve dans la
période coloniale espagnole (18ème siècle) avec des personnalités
femmes proéminentes (comme Melchora
Aquino et Gregoria de Jesus) qui ont participé et soutenu le mouvement
révolutionnaire anti-espagnol. Pour citer,
“ces femmes n’étaient pas motivées par un sentiment pro-femmes ou un
féminisme cru … mais par un sens profond de patriotisme ou d’amour pour leur
pays.” Si on regarde de plus près ce
type de participation des femmes dans les luttes anticoloniales, ce sont les
femmes à la base représentée par la guerrière Gabriela Silang et par beaucoup
d’autres dont les livres d’histoire passent sous silence.
A cette
époque le Katipunan (l’organisation révolutionnaire) ne se préoccupait pas des
questions féministes. A partir de là, avec le début du développement du mouvement ouvrier, il y a
la formation d’un mouvement des femmes, avec des femmes travailleuses rejointes
plus tard par quelques femmes des élites. Elles se préoccupaient surtout de la
santé des femmes et des enfants, de la santé reproductive et du droit de vote
des femmes. Il y a peut-être encore beaucoup d’histoires hautes en couleur des
activités et des actions de protestation des femmes pendant cette période
féodale qui n’avaient jamais été rapportées à cette époque, comme le montrent
clairement les exemples de Maria Clara et de Sisa dans nos livres d’histoire
écrits par José Rizal.
Après
plus de 400 ans de domination féodale par la colonisation espagnole, les
relations familiales de genre entre hommes et femmes ont continué même après,
durant la reprise des affaires du pays par les Américains. Cette situation
existante est renforcée davantage par les enseignements de l’Eglise, les
Philippines étant le seul pays chrétien en Extrême-Orient grâce à nos maîtres
coloniaux.
Pendant
la période coloniale américaine, un mouvement pour le droit de vote parmi les
femmes philippines de l’élite, la plupart venant des classes moyennes et
supérieures, a été soutenu par les autorités américaines pour faire dévier les
luttes anti-américaines qui continuaient. Dans la discussion sur le droit de
vote, on discutait s’il ne fallait pas réserver le droit de vote des femmes aux
femmes éduquées de l’élite. C’était e mouvement national démocratique dirigé
par Katipunan qui avait réussi à mettre en avant le droit de vote universel.
Mais parce que la révolution du
Katipunan a été inachevée, les questions femmes ne se sont pas développées.
On n’a
pas beaucoup écrit sur le mouvement des femmes après l’affaiblissement de la
révolution démocratique nationale menée par Katipunan, ni suite à la Guerre
Japonaise (Deuxième Guerre mondiale), jusqu’à sa réapparition la fin des années 60 sous la direction du
Parti communiste philippin de l’époque. Les femmes militantes avaient le
sentiment que si la révolution de 1896 était inachevée, c’était également le
cas pour la libération des femmes.
Pendant
la dictature de Marcos, il y a eu une grande réorganisation du mouvement
national-démocratique, le Parti avait mis sur pied un Sécrétariat femmes,
responsable en 1969 pour la construction de MAKIBAKA (Malayang Kilusan nga
Kababaihan) une organisation femmes autonome, dans le but de s’occuper des
questions femmes de plus en plus nombreuses, elles ont organisé des crèches
pour les travailleuses surtout dans le secteur des services et dans le commerce
des grands centres urbains. La propagande anti-féministe et les accusations
d’être occidentalisées, bourgeoises, lesbiennes et anti-mâles ont alors fusé,
même de la part des camarades dans le mouvement révolutionnaire.
Mais cet
effort a été de courte durée, avec l’instauration de la loi martiale, MAKIBAKA
est entré dans la clandestinité. On a changé le nom de Malaya en Makabayan, ce
qui signalait une réorientation d’un mouvement autonome en une aile du Front
national-démocratique. Dans les statuts on affirme explicitement en ce qui
concerne l’orientation sexuelle, que les membres femmes peuvent avoir des
orientations sexuelles différentes.
Dans
d’autres formations politiques apparaissaient également des courants
féministes. En 1975, les femmes actives de HUKBALAHAP organisaient le Katipunan
ng Bagong Pilipina (KABAPA) avec une constitution teintée du féminisme du
tiers-monde et qui s’attaque aux questions nationales, de classe et de genre
avec comme objectif l’égalité, le développement, la paix, la liberté et le
bonheur des enfants. Elles menaient de grandes campagnes pour le retrait des
bases US des Philippines.
En 1981,
différentes travailleuses du développement social venant de partout dans le
pays, ont fondé une organisation autonome des femmes appelée PILIPINA.
L’autonomie provenait du constat que “les dictats des dirigeants mâles de
gauche affaiblissent les femmes et les mouvements des femmes”. Plus tard, les
dirigeantes de PILIPINA ont fondé le réseau de femmes d’action pour le
développement (WAND) et aussi le Abanse Pinay, le premier parti politique de
femmes à avoir un siège en tant que représentante de secteur au Congrès
Philippin.
En 1983,
au sommet de la dictature de Marcos, s’est constitué le Katipunan ng Kababaihan
Para sa Kalayaan (KALAYAAN). Son orientation rejetait la primauté de la lutte
des classes et appelait à la formation d’un mouvement autonome des femmes dans
le cadre national-démocratique, il se disait “féministe” et essayait d’avoir le
soutien du dirigeant du mouvement national-démocratique, José Maria Sison.
C’est devenu une coalition large de femmes provenant de courants politiques
différents y compris avec des positions politiques neutres. Les critères pour être
membres sont: s’opposer aux bases américaines et pour le droit à l’avortement
(« pro-choice »). En essayant d’avancer et de concrétiser leur
travail sur la “question femmes”, elles ont dû subir des critiques dures de la
part de camarades masculins, du genre : le féminisme c’est la politique
des classes moyennes et de la bourgeoisie, c’est très occidentalisé et pas
enraciné dans le mouvement démocratique local, l’appel pour l’autonomie allait
les faire dévier du but primordial de la lutte des classes, c’est anti-mâle et
diviserait le mouvement). Des accusations disant qu’il s’agissait simplement de
femmes et de camarades malheureuses étaient proférées envers les dirigeantes.
Des efforts pour garantir une ligne politique correcte étaient faits par le
mouvement national-démocratique, qui proposait la création d’un collectif politique au sein de
l’organisation, mais les dirigeantes de
celle-ci ont refusé de suivre.
GABRIELA
( Assemblée Générale des Femmes se Liant Ensemble) a été fondé en 1984 comme un
front unique large contre la dictature de Marcos. Là, le défi était d’articuler
les questions féministes, qui avaient besoin d’être précisées et approfondies,
plutôt que de seulement intégrer les questions femmes dans une perspective
politique dominante d’orientation de classe. Des questions sur les processus
organisationnels se posent et aussi des questions sur la façon dont la
coalition est dirigée. Il y avait des divergences non résolues et le nombre de
membres diminuait fortement, seules les organisations sectorielles de base des
paysans, des travailleurs et des pauvres des villes appartenants au courant
démocratique national sont restées.
A la fin
des années 1980 se sont formés d’autres groupes femmes, dont la plupart furent
initié de manière indépendante à partir de blocs ou des mouvements sociaux qui
se concentraient sur des thèmes spécifiques. Trois remarques générales sont à
faire en ce qui concerne cette tendance, qui se poursuivait, à se concentrer
sur des thèmes spécifiques:
1) il y avait un besoin de traduire la compréhension théorique
féministe
en actions
concrètes;
2) l’approche qui se
concentre sur des thèmes précis était nécessaire
parce que les femmes
voulaient mettre l’accent sur des questions
féministes;
3) l’intérêt de donateurs pour les questions du genre a aussi
poussé un
nombre de groupes
femmes à construire des programmes
s’adressant à ces
questions.
Le
résultat était la multiplication d’instituts et d’organisations femmes dans
tout le pays qui s’adressaient aux problèmes sectoriels tels que les femmes
dans les zones rurales, dans les communautés urbaines pauvres, les femmes
migrantes. Elles essaient de répondre aussi bien aux besoins économiques qu’au
demandes féministes.
En 1987
est fondé le DSWP (Femmes Socialistes Démocratiques des Philippines, Democratic
Socialist Women of the Philippines) qui est très actif contre la mondialisation
néolibérale. En 1994 a émergé SARILAYA qui se préoccupe des questions de
sécurité alimentaire et du développement durable. Une autre organisation est
SIBOL qui a élaboré et imposé le vote de lois contre le viol et la violence à
l’encontre des femmes et des enfants, appuyée par le soutien massif d’autres
groupes femmes.
Tous ces
groupes femmes se concentrent sur les questions femmes, certaines ont adopté
une analyse socialiste féministe de l’économie et affirment que la libération
des femmes de l’oppression patriarcale ne peut se réaliser sans la libération
du peuple entier de l’oppression impérialiste et vice versa.
Comparé
aux années 1960, l’intervention impérialiste rapide dans le pays dans le cadre
du projet néolibéral, a changé profondément le paysage socio-économique et
politique. Pour certains dirigeants du mouvement national-démocratique, surtout
des cadres au Mindanao, ces changements ont provoqué des questionnements sur
comment faire avancer la révolution dans la phase d’une intervention
impérialiste intense. Des débats sur le mode de production dans le pays et sur
ses conséquences stratégiques ont été avancés par certains cadres auprès de la
direction. Ceci a provoqué encore plus de questions et de débats à l’intérieur
des organisations du parti au niveau national, et finalement ceci a résulté en
une scission.
La mise
en question de l’orientation du Parti concernant une analyse, des stratégies et
des approches correctes sur la manière de faire avancer la révolution dans la
situation actuelle, ont été le point de déclenchement de la scission.
Nous-mêmes, membres d’organisations du Parti dans différentes régions du
Mindanao, nous étions d’accord pour poser ce type de questions au début, mais
nous ne nous attendions pas à cette scission au niveau organisationnel comme
résultat. On s’attendait à une approche professionnelle et mature de la part du
Parti. C’est peut-être pour cette raison que nous n’étions pas prêts à cette
époque à assumer une scission et une autre orientation. On s’attendait à ce que
le Parti (PCP, Parti Communiste des Philippines) finirait par comprendre
l’importance des questions posées à la direction. Mais le résultat a été tout
autre. En effet, un mémorandum “réaffirmant les principes de base et rectifiant
les erreurs” a circulé au niveau national et, ceux qui le ne suivaient pas,
seraient considérés comme révisionnistes et contre-révolutionnaires. Pendant
plus d’un an, plusieurs cadres ont exigé un débat démocratique mais la
direction a agi avec une poigne de fer sur ce point, ce qui a finalement été la
cause de la scission.
Ainsi,
en croyant toujours dans la justesse de la continuation de la lutte pour le
changement social, nous avons dû chercher les liens corrects et la solidarité.
On a essayé de se regrouper avec ceux qui avaient les mêmes questions et la
même vision. Mais cela a été un processus long et fastidieux. Beaucoup de
cadres étaient démoralisés et mécontents, ce qui a résulté en une perte massive
de cadres permanents dans tous les aspects du travail du parti. A la fin, on a
dû s’y mettre tous seuls et chercher la solidarité de ceux qui avaient la même
vision. C’est peut-être pour cela qu’on a bâti des liens avec la IV.
Pour
certains cadres révolutionnaires qui rejetaient le maoïsme du PCP, la période
de la scission a été une période noire. Pour autant qu’on s’en souvienne,
certains dirigeants du groupe étaient toujours à la recherche de l’analyse
correcte et des directions révolutionnaires. Cela nous donnait, comme militants
de base, la possibilité de lire d’autres livres que les ML, d’avoir des
lectures théoriques et des opinions à partir de différents points de vue.
Certains d’entre nous se réalisaient que certaines théories et certains
principes avaient été omis de façon implicite parce qu’ils étaient en
contradiction avec les stratégies formulées et l’approche pour faire avancer la
révolution national-démocratique.
Immédiatement
après la scission, toutes les sphères du travail du Parti avaient été affecté
profondément, y compris le travail femmes. A un certain moment, on ne savait ni
quoi faire, ni vers où aller, ni à quoi
s’attendre et comment continuer la lutte dans laquelle on avait été engagées et
à laquelle on avait consacré tous nos efforts. Ce stade, qu’on appelait “un tâtonnement dans le noir”, cherchant des
directions et des solidarités, a été vécu par nous tous. La cause en est
peut-être que, pendant la période de notre engagement direct dans la mouvement
national-démocratique, on n’était pas exposé à des écoles de pensée et des
orientations différentes ou peut-être parce qu’on ne pouvait pas le faire de
peur d’être taxé de révisionniste, diviseur, contre-révolutionnaire etc. etc.
et etc…
Mais la
lutte doit continuer. Il fallait continuer dans différentes sphères de travail
malgré le manque d’une orientation correcte et adéquate, également dans le
travail femmes.
Pendant
la période de la scission dans le mouvement national-démocratique, différents
groupes et organisations femmes ont émergé là où des ONG’s et des organisations
du peuple (OP’s) avaient travaillé sur des problèmes concrets. Il y avait des
efforts pour faire accepter des questions féministes à travers la formation de
comissions ou de secrétariats femmes. Au sein de la bureaucratie,
l’instauration d’études féministes dans certains collèges et universités et des
études sur le genre, sont devenu une stratégie. Un certain nombre de féministes
académiques et d’avocates des droits de l’homme devenaient conseillères des
programmes gouvernementaux sur le genre. Ces différents efforts dans le travail
femmes continuent jusqu’à maintenant avec des groupes et des blocs politiques
effectuant du travail femmes.
Des
questions comme la sexualité, les droits reproductifs, la violence contre les
femmes, le trafic sexuel, les prostituées,ont soulevé de larges débats et des
campagnes au niveau national avec différentes organisations femmes ont obtenu
des résultats positifs. On a même voté des lois en réponse aux demandes fortes
de ces groupes femmes concernant la violence contre les femmes et les enfants.
Le gouvernement a été forcé de créer des services et des instances pour
appliquer ces lois, malgré leurs faibles moyens. Mettre le genre comme question
centrale a été à l’ordre du jour même au niveau des bureaux et des
programmes du gouvernement.
5. Le Mouvement des femmes:l’expérience
du Mindanao, réalités et
perspectives
Le
mouvement des femmes au Mindanao est intimement lié au développement du
mouvement des femmes dans le pays et en même temps il est aussi fortement
influencé par le développement du mouvement au niveau mondial.
Le
Mindanao, avec une économie à prédominance agricole fortement contrôlée par
l’impérialisme, se compose de trois peuples – les Moros, les Lumads et les
colons/Philippins chrétiens, majoritaires – qui ont tous les trois leur propre
tradition, culture et affiliation religieuse dont il faut tenir compte pour
creuser la question des femmes. Vu son mode de production capitaliste inégal et
mal développé, le travail des femmes se situe également à des niveaux
différents de développement et de participation.
Pour
nous du RPMM (Parti révolutionnaire des travailleurs du Mindanao) l’orientation
et la conduite de notre travail femmes a été fortement influencé par
l’orientation et la direction proposé par le mouvement national-démocratique.
La présentation historique des expériences au niveau national ont été l’unique
expérience pour nous au Mindanao. C’est seulement après la scission qu’on a
appris et compris l’orientation socialiste-féministe après l’établissement de
liens avec la IVe Internationale et par nos études dans les années 1990.
Pendant un certain temps nous avions continué avec notre travail femmes, en
essayant de comprendre cette nouvelle orientation dans le contexte des réalités
et des perspectives du Mindanao.
Dans
notre travail femmes nous prenons en compte le fait qu’il y a trois peuples au
Mindanao. L’organisation sectorielle des femmes, plus spécialement parmi les
colons chrétiens, est aussi une de nos approches. Il y a des agriculteurs, des
pêcheurs, les pauvres des villes et le mouvement des femmes travailleuses que
ce soit dans les syndicats, parmi les travailleuses des services, les ouvrières
agricoles et les semi-prolétaires. Les types d’organisations vont des
organisations femmes non-mixtes, aux collectifs femmes dans les organisations
mixtes chez les trois peuples et dans les différents secteurs.
Les
objectifs immédiats et à long terme et les objectifs de la construction
d’organisations femmes à différents niveaux varient. Cela dépend beaucoup des
besoins et problèmes auxquels sont confrontées les femmes dans les régions, les
peuples, les secteurs et les types de travail
différents. Cela va des problèmes purement “femmes” aux problèmes de
l’écologie, des droits humains et des problèmes économiques qui sont pris en
main par ces organisations femmes. Les questions femmes comme la sexualité, les
droits reproductifs et l’avortement sont lentement intégrées dans notre travail
éducatif et nos campagnes tout en tenant bien compte des réalités de chaque
peuple. Pour pouvoir être acceptées et respectées chez les différents peuples,
les femmes organisatrices doivent dès le début
tenir compte de l’origine ethnique, des coutumes, des traditions et même
des affiliations religieuses.
Aujourd’hui,
le travail femme a dû s’orienter vers l’organisation des femmes travailleuses
migrantes, y compris leurs familles, dont le nombre augmente d’année en année.
A cause de la pauvreté et de l’augmentation du chômage, surtout à la campagne,
les femmes rurales et aussi celles des communautés urbaines, essaient par tous
les moyens d’aller travailler comme personnel de maison à l’étranger. Cette
tendance vers l’émigration et l’argent renvoyé par les travailleurs
émigrés représente en ce moment, selon
les estimations nationales, plus de 40% du PNB des Philippines. Ceci pose un
grand défi pour le Parti, comment organiser les migrants Philippins qui
travaillent partout dans le monde.
La
plupart des femmes du Mindanao travaillent comme aide ménagère au Moyen-Orient.
Des organisations de migrants ont posé les problèmes de la protection des
droits du travail et du bien-être de ces femmes travailleuses migrantes. Des
cas de viol, de mauvais traitements, différents cas d’harcèlement sexuel, des
salaires trop bas ou non-payés, ce sont des problèmes auxquels sont
confronté(e)s les travailleur(e)s migrant(e)s. Il y a eu même des cas célèbres
de viol, de mauvais traitement et de meurtre qui ont attiré l’attention du
grand public et des pays hôtes, ce qui a résulté dans des mobilisations. Cette
situation est devenue un grand défi pour le gouvernement et le mouvement des
femmes, c’est-à-dire comment creuser ces tendances et ces problèmes.
A côté
de la construction d’organisations femmes, les groupes femmes ont également
construit des institutions qui offrent des services aux femmes, par exemple des
refuges pour des femmes battues et leurs enfants, des services de conseil et
des services juridiques. Des programmes,
des services et des projets sur la santé, la nourriture, l’alphabétisation des
adultes, des campagnes contre la violence envers les femmes, le trafic des
femmes et des projets de survie économique sont les activités principales de
ces organisations femmes et de ces institutions.
La
guerre qui continue et les problèmes de la paix posés au Mindanao sont un grand
défi surtout pour les femmes qui sont
les plus touchées par cette guerre. Plusieurs organisations
révolutionnaires font la guerre contre le gouvernement. Il y a eu de temps en
temps des confrontations pas uniquement avec les groupes révolutionnaires mais
également avec des groupes de mécontents
que le gouvernement qualifie de « terroristes ». Dans une
situation de guerre, c’est le plus souvent les femmes qui ont la charge du soin
des familles (enfants) la recherche de nourriture et des moyens d’existence
pour ne pas parler de l’harcèlement subi surtout s’il s’agit de femmes de révolutionnaires.
Ces femmes sont violées lors d’opérations militaires. Il y a eu récemment le
cas d’un viol par un soldat américain qui participait au projet “Balikatan” –
des exercices conjoints du gouvernement des Philippines et de soldats
américains sous couvert de la lutte contre le terrorisme.
Les
organisations et groupes femmes participent sous différentes formes et à
différents niveaux aux problèmes politiques et aux campagnes. Des organisations
et des groupes femmes ont été très actives et certaines ont été à l’initiative
de mouvements pour la paix, de campagnes concernant l’environnement et d’autres
mouvements sociaux.
Il y a
eu des groupes femmes et des femmes individuelles qui ont participé aux
élections et au travail législatif.
Pendant des années l’arène électorale était réservée à l’élite et aux hommes.
Mais avec la participation directe des organisations de masse dans la lutte
électorale, des organisations ont réussi à proposer des candidates pour les
organes législatifs, comme Abanse Pinay, Gabriela et des femmes d’Akbayan.
Tisser des réseaux, faire du lobbying et mettre en avant les questions femmes et les problèmes de la paix et du développement,
voilà le travail qui est fait consciemment par ces organisations. En ce moment,
les organisations femmes sont très actives au sujet du Charter Change, où des
articles progressistes de la Constitution avaient été rayé dans le projet de
nouvelle Constitution. Il y a aussi la campagne pour le fédéralisme qui gagne
du terrain au Mindanao comme alternative au Charter Change.
Nos défis et nos perspectives.
Au
niveau idéologique, l’orientation et la formation socialiste-féministes sont
lentement intégrées dans notre capacité à construire des activités pour ces
groupes femmes. Pour l’organisation du Parti au Mindanao, le problème est
comment concrétiser et actualiser l’orientation socialiste-féministe dans les
organisations femmes qu’il influence et dont il s’occupe.
Même
après l’établissement de liens avec la IV, surtout dans ses apports théoriques
aux organisations du Parti au Mindanao, certains cadres ont eu des difficultés
à concrétiser ces apports théoriques, surtout en ce qui concerne la question
femmes. Des difficultés à discuter à fond sur la sexualité et sur le
patriarcat, surtout parmi les camarades hommes. Il faut avoir une bonne dose de
réflexion et d’ingéniosité pour organiser des discussions et mener des
campagnes sur ces sujets, surtout à la base, parce que la majorité des gens ne
connaissent pas ces idées et ces positions radicales ou parce que les pratiques
existantes interdisent ou empêchent la discussion libre. Les coutumes, les
traditions et l’affiliation religieuse doivent être pris en compte avec soin
quand on discute de ce type de problèmes.
Si un
des éléments majeurs de la libération des femmes est la question de la
sexualité et du patriarcat, alors l’organisation du Parti au Mindanao doit
redoubler ses efforts pour augmenter le niveau de conscience et pour
concrétiser cela dans la pratique et ceci doit commencer avec les membres en général.
Le défi
de la construction d’organisations de femmes autonomes, de groupes et de
collectifs dans une organisation mixte, reste constant de même que
l’incorporation de l’orientation féministe dans le programme de formation
théorique.
Un autre
aspect est le problème de l’émigration qui a fortement touché les trois peuples
du Mindanao.
Construire
des relations de travail et de coopération avec d’autres groupes féministes,
avec d’autres blocs et courants sur des thèmes féministes et des campagnes, c’est
le défi de tous les jours, comment surmonter une longue décade de désunion parmi les secteurs progressistes
de la classe ouvrière, ce qui a aussi un effet dans la progression de la lutte
anti-impérialiste et du mouvement pour le changement social.
Appendices
1. Femmes musulmanes pauvres et dans les régions de conflit armé.
-
au Mindanao 70% des naissances se passent à la maison
- 88% au ARMM (Autonomous Region of Muslim Mindanao – Région autonome de
Mindanao musulman)
-
84% dans la péninsule de Zamboanga
-
en 2005 il y a eu entre janvier et août 24.563 de familles déplacées soit
154.536 personnes
-
pendant que les femmes s’enfuient, il y a des cas de fausses couches et de
mortalité maternelle
-
le cas de Nur aina (voir plus loin)
-
abolition des hilots , sages-femmes traditionnelles
-
des cas de viol sur des femmes en prison
-
moins d’inscriptions dans les écoles cette année et ses implications pour les
femmes Moro
-
le chômage parmi les musulmans en général
-
en 2005, 4709 déportations du Sabah en tout juste trois mois
2. Questions sur les traditions culturelles et les croyances.
-
femmes en politique
-
mutilation sexuelle
-
codification des traditions Tausug
-
les morts d’honneur
-
questions du voile, l’expérience MSU
-
des scandales sexuels
-
la mortalité maternelle et la croyance qu’une femme qui meurt en couches
va directement au ciel
3. Les campagnes actuelles.
-
la fatwa sur le planning familial
-
les amendements à la Sharia: polygamie, Khuluq, héritage, wali
4. Questions et défis.
-
le commentaire de badjao
-
fausses idées sur le féminisme
Thèmes
et campagnes:
1. Avortement
-
création d’un réseau qui discute ouvertement du droit à l’avortement
-
problèmes après l’avortement, soucis par rapport aux prestataires de
service,des articles à sensation sur un fœtus
retrouvé, mais personne ne se
demande qui est la mère
-
affiche sur “le danger de l’avortement”
-
disponibilité des produits/herbes abortifs traditionnels
-
nécessité de différencier la position par rapport au droit l’avortement:
soins post-avortement, décriminalisation de
l’avortement, conditions pour
permettre l’avortement, l’avortement en tant
que droit absolu
2.Le cas de viol à Subic
- l’intervention
du gouvernement Arroyo
-
l’attitude les peuples de Zamoanga par rapport à ce cas
3. Violence contre les femmes
- les
barangays ont eux-mêmes adopté des mécanismes pour s’en sortir
- les
affiches
4. Commercialisation des corps des femmes et images
- les
vidéos musicaux des Philippines
-
les publicités “nakatikim ka nab a ng kinse anyos?” (avez-vous goûté à une qui
a 15 ans ?)
5. Contraception
- la
pilule du lendemain
-
vers le bannissement du stérilet
-
le manque de disponibilité des contraceptifs
-
la déclaration de Dayrit que le contrôle démographique n’est pas l’affaire du
gouvernement
-
la décision de l’Eglise de refuser la communion aux femmes ayant fait
poser un stérilet
6. Sur la question des LGBT
-
ils sont bien acceptés par la société
-
« coming-out » de célébrités
-
le show télévisé “Out!”
Présenté
à la 10ième conférence nationale de l’ICPD
4-6
octobre 2005, Manila, Heritage Hotel
La
province de Basilan est une île à 30 minutes par bateau de Zamboanga City . Sa
surface est d’environ 1.279 km2 avec une population totale de
332.828 personnes (chiffres de 2000). Malgré sa beauté, ses ressources et sa
culture, Basilan est surtout connue pour une seule chose: le groupe extrémiste
de Abu Sayyaf. Depuis qu’il sème la terreur à partir du début des années 90,
l’île autrefois sous-développée mais paisible et calme, est devenue une des
provinces les plus pauvres du pays et le champ de bataille entre les militaires et Abu Sayyaf.
Ce
sort tragique de la province est encore aggravé par la réponse du gouvernement
face à cette situation. La militarisation est déjà en soi une mauvaise chose
mais couplée à une diminution du budget attribué, cela donne une province qui
se meurt. Le Mindanao, dont fait parti Basilan, a reçu à peine 100,7 milliards
de Pesos soit 13,90% du budget national. En 2002, le chiffre tombe à 92,93
milliards ou 11,90% et finalement en 2003 Mindanao ne recevait que 84,86
milliards, un maigre 10,55% du budget national. Cette somme est répartie entre
les différentes villes et provinces de la région, dont beaucoup sont parmi les
plus pauvres du pays, déchirées par la guerre avec environ un demi-million d’évacué(e)s
à nourrir.
Bienvenu
à Basilan, bienvenu au Mindanao.
Les
femmes de Basilan ( Meh Karendehan Si Basilan)
Sur
base des chiffres de 2000, 60% de la population totale de Basilan est
constituée de femmes, et 69.894 de ces femmes sont en âge de procréer. La
majorité de ces femmes sont musulmanes et en tant que telles, elles doivent
mener une triple lutte.
Dans
la culture extrêmement patriarcale des Moros, elle lutte pour réaffirmer ses
droits en tant que femme. Dans une province accablée par la guerre, elle lutte
pour maintenir sa famille en vie. Dans un pays où les musulmans sont des
citoyens de seconde zone, elle lutte contre les discriminations tout en luttant
pour préserver son identité en tant que musulmane. En effet, la lutte est un
mot trop familier pour une femme musulmane du Basilan.
En
2000, au moins 3.207 familles ont été déplacées à cause des opérations armées
et des confrontations entre les militaires et des éléments sans loi dans la
province. En 2001 le nombre a augmenté jusqu’au chiffre énorme de 15.650
familles avec 74.630 de personnes dépendantes, ce qui veut dire 15.650 femmes
qui prennent soin de 74.630 enfants, en construisant un foyer dans le petit
espace assigné à sa famille dans les zones d’évacuation, en cherchant de la nourriture pour sa famille, soignant
enfants ou mari malades ou peut-être blessés, et les autres femmes pleurant la
perte tragique d’un être aimé. Finalement, c’est elle qui souffre le plus,
c’est elle qui paie pour les coûts misérables de la guerre.
En
vue de la situation décrite ci-dessus des femmes musulmanes de Basilan, on peut
comprendre que leur santé personnelle est le moindre de leurs soucis. Sa santé
reproductive est encore plus ignorée et souvent elle-même n’en est pas consciente.
Des
interview récentes de travailleurs de la santé dans la province ont pourtant
révélé une autre perspective sur comment les femmes musulmanes font face aux
problèmes de la santé reproductive. Même si on ne peut pas exclure l’hypothèse mise en avant, il y a une différence
significative avec ce qu’on attendait à priori. Elles sont conscientes des
problèmes et elles exigent des solutions.
Presque
tous les travailleurs de la santé, infirmières ou sages-femmes dans des centres
de santé locaux expriment la même opinion. La demande de méthodes de planning
familial est écrasante. Chaque jour un nombre croissant de femmes visitent les
centres de santé et demandent des préservatifs, la pilule, l’insertion du
stérilet, des injections de Depo (contraceptif) et autres méthodes.
Malheureusement, aucun de ces moyens contraceptifs n’est disponible dans ces
centres.
Comme
l’a affirmé récemment la secrétaire d’état au département de la santé, le
planning familial n’est pas l’affaire du gouvernement. Ceci a été entendu
clairement jusque dans la province du Basilan. Qui cela concerne-t-il alors?
Quelles sont les options pour ces femmes?
L’hôpital
général du Basilan a rapporté 15 cas d’avortement de janvier à juin de cette
année. Ceci est un chiffre choquant pour une petite province conservatrice
dominée par l’islam. Et nous n’avons pas encore regardé les cas non rapportés…
Comme
le disait une infirmière du bureau de santé de Lamitan: “ces jours-ci, les
femmes sont plus ouvertes à l’avortement”. Elle racontait qu’un jour, une femme
musulmane portant le hijab, venait vers elle et demandait de manière
décontractée ce qu’elle pouvait prendre comme substance pour avorter. Elle-même
musulmane, l’infirmière n’en croyait pas ses yeux! Quand elle refusait, la
femme insistait en expliquant qu’elle ne demandait pas le médicament mais seulement la prescription, ou sans
prescription, juste le nom de ce médicament.
A
Isabela City où il y a 23.213 femmes en âge de procréer, il existe un seul
centre de planning familial, tenu par une seule femme. Pour le second trimestre
de 2004, il a eu un total de 568 usagères régulières, en majorité des
musulman(e)s. Les services comprennent les orientations de planning familial et
les méthodes telles que la pilule, les préservatifs, DMPA, l’insertion du
stérilet et les spermicides. Elles font aussi des examens des seins et des
frottis vaginaux. Etant le seul centre de planning familial de toute la
province, il y a aussi des visiteurs d’autres municipalités. Elles visitent le
centre quand elles ou leurs maris vont à Isabela pour d’autres courses. Elle
racontait également un cas d’une femme musulmane qui demandait du cytotec en ajoutant sans détour qu’elle allait
l’utiliser pour un avortement. L’infirmière refusait. Le femme expliquait alors
à l’infirmière qu’elle ne devait pas se sentir coupable car ce serait de toute
façon son péché à elle.
Dans
la municipalité de Maluso, l’infirmière s’inquiète plus du nombre de maladies
sexuellement transmissibles. Maluso était une municipalité très conservatrice et
arriérée mais la vie nocturne y est devenu plus animée à cause des exercices militaires
« Balikatan ». On a ouvert des night clubs et la prostitution y est
devenue rampante. Aujourd’hui, même après Balikatan, les clubs continuent leurs
activités.
Il
n’y a pas encore de cas diagnostiqués de maladies sexuelles mais les
travailleurs de la santé ne peuvent pas les exclure. Personne n’est d’accord
pour subir des examens médicaux et même si on le voulait, les centres n’ont pas
les moyens pour les effectuer.
Dans
la municipalité de Lantawan, le plus grand problème est celui de
l’accessibilité du territoire. A part d’être un repaire d’Abu Sayyaf, elle
comprend aussi 10 îles-barangays. Sans prime pour le danger ni prime de
transport, les travailleuses de la santé louent des bateaux de pêcheurs avec
leur propre argent, elles bravent les tempêtes et les vagues pour atteindre ces
barangays. Et ce qui est encore pire, lorsqu’elles arrivent dans ces
territoires, tout ce qu’elles peuvent faire, comme le disait une sage-femme,
c’est “se regarder entre nous”. Cela
fait plus d’un an depuis qu’elles ont distribué des médicaments pour la
dernière fois au cours d’une camapgne médicale dans le barangay de
Lubukan , après un conflit armé. Quand les centres de santé ont-ils reçu
pour la dernière fois des médicaments? Elles ne se le rappellent plus.
Cette
situation a aussi empêché Lantawan d’avoir un médecin municipal. Après dix ans
sans médecin, Lantawan avait finalement obtenu un médecin grâce au programme de
Barrio. Il n’y est resté à peine pendant un an. Le Docteur Omar a abandonné, il
disait que rien n’est plus démoralisant qu’un médecin qui n’a aucun moyen.
En
2003, Lawantan a rapporté 4 cas de mortalité maternelle due à une rétention du
placenta et une hémorragie.
Des interviews avec des femmes
musulmanes et des travailleurs de la santé à Basilan montrent les données
suivantes:
A. Méthodes de planning familial
préférées:
1.
la pilule.
2.
le DMPA
3.
insertion de stérilet
4.
méthodes naturelles
-
symptothermale
-
méthode des journées standard
-
température basale du corps
5.
préservatifs
6.
ligature des trompes
7.
spermicide
B. Causes d’avortement induit:
1.
la pauvreté
2.
grossesse non planifiée
3.
travail à l’étranger
4.
le maintien de sa figure
C. Causes d’avortement spontané:
1.
pauvreté
-
malnutrition
-
le travail
-
absence d’accès aux soins médicaux en cas de risque
d’avortement
2.
maladie
3.
évacuation en cas de conflit armé
D. Causes de mortalité maternelle:
1.
accouchement pratiqué par des hilotes sans qualification
(sage-femme traditionnelle)
-
rétention du placenta
-
hémorragie
-
éclampsie
-
hypertension
2.
absence de soins prénatals
-
pas de diagnostic d’une maladie ou de la position du fœtus
-
malnutrition
3.
absence d’accès aux hôpitaux ou autres services en cas
d’urgence
-
pas de transports
-
distance
-
routes en mauvais état ou bloquées
1.
la santé reproductive n’est pas une priorité pour les
gouvernements locaux
-
pas de médicaments ni d’autres services
-
manque de gens qualifiés
2.
la culture et les traditions musulmanes
3.
la situation de l’ordre et de la paix
L’analyse
statistique des indicateurs de la santé reproductive est peut-être inadéquate
vu qu’il y a plus de cas non rapportés que rapportés. Mais elle peut être
utilisée comme point de départ pour d’autres études, bien qu’elle ne reflète
pas la situation réelle des femmes musulmanes à Basilan.
En
tenant compte de cette limitation, on a choisi de raconter l’histoire de trois
femmes musulmanes différentes pour essayer de décrire concrètement les réalités
auxquelles sont confrontées les femmes musulmanes à Basilan en général.
Elsa
était déjà institutrice à l’école primaire d’état à Basilan quand elle a
rencontré Rachid, un étudiant ingénieur en 3ième année au collège de
Zamboanga. C’était un musulman religieux, très impliqué dans le
fondamen-talisme islamique. Ce n’est qu’après plus d’un an de leur relation
qu’elle a eu connaissance de son implication dans le Harakatul Islaamiya mieux
connu comme Abu Sayyaf. Elle l’a appris quand elle a dit à Rachid qu’elle était
enceinte. Rachid n’était pas prêt pour la mariage. Ils décidèrent de ne pas
avoir le bébé, surtout de peur d’une humiliation publique considérant
l’influence spirituelle supposée de Rachid en tant que membre d’Abu Sayyaf et
le fait qu’avoir des relations sexuelles avant le mariage est très immoral
selon l’Islam.
Ils
décidèrent de se marier deux ans plus tard. Rachid abandonnait ses études et
entrait dans la jungle de Basilan en réponse à l’appel au jihad par Abu Sayyaf.
Elsa eut trois autres avortements, sans que Rachid ne le sache. Elle disait que
ce n’était pas vraiment pour des raisons économiques, bien que cela jouait
aussi un rôle. C’était plus par la peur de perdre son mari et de devoir éduquer
son enfant sans la présence du père. Chaque fois qu’on rapporte des opérations
militaires ou des rencontres avec Abu Sayyaf, elle est torturée par la pensée
que Rachid est peut-être mort. Elle ne s’imagine pas de donner une telle vie à
un enfant innocent.
A
la mort de Abdurajak Janjalani en 1999, Rachid décida de quiter. Ils ouvrèrent
leur propre affaire et essayèrent de commencer une nouvelle vie. Elsa n’en
demanda pas plus. Tout ce qui manqua, c’était des enfants pour avoir une vie
comblée. Mais cela n’arriva jamais. Rachid s’est marié avec une autre femme et
a maintenant deux enfants avec elle. Bien qu’il ne soit pas divorcé d’Elsa, il
ne la visite que rarement.
Elsa
se sent coupable. Elle pense que les avortements successifs sont la cause de sa
stérilité. Elle n’a pas voulu consulter un médecin comme le lui demandait
Rachid. Elle avait peur qu’il ne découvre la vérité sur ces avortements et elle
est persuadée qu’il l’aurait tuée. Elle a choisi de garder son secret et de
porter seule toute sa rancune.
Orpheline
à 19 ans, Nisar était impuissante quand sa famille l’a obligée de se marier
avec un oncle lointain. Ils disaient que le mariage avec un homme plus âgé lui
donnerait la sécurité financière et que puisqu’il s’agissait de son oncle, il
la traiterait correctement. Ils disaient tous que c’était le mieux pour elle,
bien qu’elle ne serait que sa quatrième femme.
Après
deux mois, elle était enceinte. Mais les affaires de contrebande de riz de son
mari n’allaient pas bien. Il disait qu’il ne pouvait pas se permettre d’avoir
encore un enfant en plus. Il avait déjà 4 enfants avec sa première femme, 6
avec la seconde femme et 4 autres avec la troisième femme. Alors il l’a emmenée
chez un “médecin” à Zamboanga City.
Tout
ce que Nisar se rappelle c’est la douleur terrible, mais elle n’a pas résisté.
Elle n’avait pas la force d’aller contre la volonté de son mari. Même si elle
décidait de garder l’enfant, elle croit qu’elle n’a pas les moyens pour
pourvoir à ses besoins. Elle n’arrête pas de pleurer et de s’excuser auprès de
son bébé qui aurait dû être son premier enfant.
Nur-aina
était la travailleuse de la santé du barangay d’Upper Manggas, Lantawan,
Basilan. En tant qu’infirmière, elle était consciente du risque de laisser les
accouchements dans les main d’une hilot (sage-femme traditionelle). Mais elle
n’avait pas les moyens pour se payer un accouchement à l’hôpital. Son mari
était un simple paysan et elle ne recevait en tant que travailleuse de santé
qu’une allocation de 500 Pesos par trimestre.
Babuh
était une hilot expérimentée mais avait déjà plus que soixante-dix ans.
L’infirmière municipale lui avait déjà interdit de pratiquer des accouchements
à haut risque à cause de son grand âge. Mais quand l’accouchement de Nur-aina
commençait, sa famille appelait Babuh, qui était de la famille.
Le bébé
naquit normalement sans problèmes mais le placenta restait trop longtemps à
l’intérieur selon Babuh. Elle s’impatientait et commençait à tirer sur ce
qu’elle croyait être le placenta. Elle le déposait dans un sac et l’emmenait
pour le rituel traditionnel Tausug. Mais après un bout de temps, Nur-aina
commençait à saigner fortement et à suffoquer. Elle transpirait et tremblait,
elle suppliait son mari de l’amener à l’hôpital situé à 20 km. Elle mourut pendant
le trajet. Le mari racontait que ses derniers mots étaient des instructions
pour emmener le bébé régulièrement au centre de santé pour les vaccinations.
Arrivés
à l’hôpital on découvrait que Babuh avait retiré non seulement le placenta mais
l’utérus entier.
Ces
histoires de femmes de Basilan sont le reflet de la totalité de nos conditions
dans la province. Notre lutte contre le chauvinisme religieux et culturel,
contre la guerre, contre la pauvreté, ne nous laisse pas le choix, nous ne nous
préoccupons pas de notre santé en général ni de notre santé reproductive.
Cette
situation déplorable de nos femmes est effectivement une violation de ce que
l’Islam garantit aux femmes. Une garantie qui est peut-être la mieux décrite
dans le Hadith:” Le meilleur parmi vous est celui avec le meilleur caractère.
Et le meilleur caractère est celui qui est le meilleur envers les femmes.”