(Résolution du Congrès Mondial de la Quatrième
Internationale, février 2003)
La fin des années 90 constitue un tournant dans la situation politique
mondiale. Une nouvelle phase politique s’ouvre qui met à l’ordre du jour un
renouveau radical de l’activité, du programme, de la stratégie et de
l’organisation du mouvement ouvrier et social. Ce tournant est la résultante de
trois facteurs :
— le développement des contradictions internes au nouveau mode
d’accumulation capitaliste globalisé ;
— les résistances sociales à l’offensive des classes dominantes ;
— l’émergence d’une nouvelle vague de radicalisation, au travers des
mouvements anti-globalisation capitaliste, particulièrement dans une série de
secteurs de la jeunesse ;
— en Amérique latine, une
radicalisation de paysans, d’amérindiens et de jeunes qui modifie les rapports
de force. Les nouveaux gouvernements du Brésil et Equateur ; la percée
électorale en Bolivie ; la radicalisation du gouvernement d’Hugo
Chavez ; les mobilisations en Argentine et au Pérou sont des preuves de
l’instabilité politique et sociale de cette transition vers de plus grands
affrontements de classe. Le paradoxe que nous devons résoudre est que cette
radicalisation se produit dans une situation de faiblesse de la gauche
révolutionnaire.
Ces facteurs n’annulent pas les tendances lourdes inaugurées, dans la
moitié des années 1970, par la défaite des montées (semi-)révolutionnaires et
le retournement de l’onde longue expansive du capitalisme : ces deux
éléments ont permis l’offensive néolibérale des années 80, une nouvelle
restructuration du monde par les classes dominantes, dite « globalisation
capitaliste », une nouvelle dégradation du rapport de forces de la classe
ouvrière, et, suite à l’écroulement de la bureaucratie stalinienne et la
restauration du capitalisme à l’Est, une crise sans précédent de la conscience
de classe, de l’organisation du mouvement ouvrier et des deux courants qui ont
dominé celui-ci tout au long du XXe siècle, la social-démocratie et le
stalinisme.
Mais la situation actuelle est déjà nettement
différente de celle du début des années 90. La relance du mouvement ouvrier et
social est inégale, elle prend des formes différentes selon les situations
politiques nationales, mais au-delà de telle ou telle conjoncture, il y a,
incontestablement, un changement de climat social, politique et idéologique.
Cette relance favorise l’émergence de courants anticapitalistes/anti-impérialistes,
tant sur le plan social et syndical que politique.
La situation internationale a connu un changement notable. Les traits
actuels de la période s’inscrivent dans les contradictions d’une situation
transitoire entre un système avec un rôle important de l’État, la collaboration
de classe institutionnalisée, un mouvement ouvrier dominé par les réformistes
sociaux-démocrates ou d’origine stalinienne et un nouveau capitalisme, de
nouvelles institutions politiques, un nouveau cycle organique du mouvement
ouvrier et de nouveaux mouvements sociaux. Cette situation est transitoire et
caractérisée par :
— la volonté hégémonique renforcée de l’impérialisme américain,
manifestée par une succession de guerres et d’interventions visant à contrôler
la planète ;
— la poursuite de l’offensive des classes dominantes, mais qui bute
désormais sur des obstacles économiques et sociaux importants ;
— l’énorme croissance de la force économique et militaire de la
bourgeoisie qui se combine avec une crise des formes de sa domination
politique-institutionnelle, notamment sur le plan international ;
— une évolution contradictoire des rapports de forces : la remise
en cause d’acquis sociaux résultant d’une déréglementation combinée à des
résistances et des recompositions de luttes et de foyers de combativité ;
— une transformation social-libérale des
secteurs dominants du mouvement ouvrier et social traditionnel qui affaiblit
globalement ses positions, mais dont la crise historique dégage les premiers
espaces pour de nouvelles expériences en dehors du contrôle des appareils
sociaux-démocrates et d’origine stalinienne ;
— un nouveau radicalisme dans les
revendications, les formes de lutte et les mouvements, mais des difficultés
dans la formation d’une conscience anticapitaliste et dans la construction
d’une alternative politique.
Dans les anciens États bureaucratiques, le souci principal des masses
ouvrières c’est la lutte pour leur survie matérielle quotidienne, alors que le
mouvement ouvrier reste embryonnaire et fragmenté. Dans les pays de la
périphérie, des noyaux productifs relativement stables où une classe ouvrière
sans droits ni lois sociales se fait surexploiter, sont entourés de masses populaires
qui vivent dans une pauvreté extrême sans précédent, suite à la destruction des
rapports sociaux. Dans les
ateliers clandestins on préfère de jeunes femmes qui y souffrent de problèmes
de santé, de sécurité et de harcèlement sexuel continu. Les femmes y font deux
fois plus de fausses couches que des travailleuses dans d’autres secteurs, et
leurs bébés ont un poids trop léger et souffrent d’anomalies néonatales. En
vertu de la pénurie de travail salarié, les femmes de la classe ouvrière ont dû
recourir au secteur « informel » notamment la participation (surtout
involontaire) au commerce sexuel interne et international. Un aspect troublant
du travail des jeunes, notamment dans les pays périphériques, est la
participation des enfants. Plus de 110 millions de filles entre 4 et 14 ans
font partie de la main d’oeuvre. Elles sont plus vulnérables à tous les
problèmes auxquels les femmes font face: viol, harassement sexuel, conditions
de vie insalubres et dangereuses, violence domestique, vente éventuelle comme
esclave ou prostituée. Un million d’enfants sont recrutés annuellement dans la
prostitution, la grande majorité d’entre eux sont des filles.
Dans les pays impérialistes, et singulièrement dans l’UE, le capitalisme a
réussi pour la première fois depuis un demi-siècle à (re)créer une insécurité
sociale quasi-générale quant à l’emploi, le salaire et le revenu de
remplacement (chômage, maladie, invalidité), ainsi qu’à l’accès à un
enseignement de qualité et aux soins de santé. Les travailleurs qui ont un emploi,
subissent la remise en cause des acquis sociaux, des droits du travail et des
travailleurs, la généralisation de la flexibilité, de la précarité, l’austérité
salariale, l’individualisation des processus du travail et des salaires,
l’affaiblissement du nombre d’adhérents du mouvement syndical dans les
métropoles impérialistes, des millions de travailleurs ont enregistré ces
reculs partiels.
Les femmes
constituent 70% des pauvres au niveau mondial. Dans la plupart des pays
industrialisés, la participation féminine à la population active a dépassé – ou
dépassera sous peu – le 50 %. Bien qu’un petit nombre ait fait carrière, la
majorité des femmes restent renfermées dans les secteurs économiques mal
rémunérés. Aux Etats-Unis, les femmes sans allocations pour soins médicaux,
sans systèmes de transport public et sans accès aux crèches à un prix abordable
vivent sous le niveau de pauvreté même en ayant deux ou trois emplois à temps
partiel. Le différentiel salarial
entre les travailleuses et les travailleurs est en croissance et la revendication
de salaire égal n’a été réalisée qu’au salaire minimum. Les femmes constituent
la majorité de la main d’œuvre dans plusieurs emplois du secteur public et la
majorité de travailleurs à temps partiel ou contractuels. La plupart des femmes
sont victimes de harcèlement sexuel indépendamment que l’homme soit leur
patron, collègue ou même représentant syndical. Dans le marché de l’emploi
actuel, les femmes souffrent hors proportion du chômage depuis que la politique
néolibérale réduit les services publics ou les privatise. En plus, les femmes
ressentent plus la perte des services publics car elles ont en plus besoin vu
leur rôle et responsabilité au sein de la famille.
Mais plus globalement, les contradictions de la phase actuelle du système
capitaliste qui peut combiner baisse du chômage et précarisation de la force de
travail, débouchent sur des luttes et mouvements partiels pour la défense des
acquis sociaux, le refus des licenciements, l’augmentation des salaires, des allocations
sociales et des pensions.
Enfin — phénomène significatif — il y a l’arrivée dans le
processus de production de millions de jeunes qui, d’un côté, n’ont pas la
mémoire des luttes et de l’histoire du mouvement ouvrier mais qui, d’un autre
coté, « ne portent pas sur les épaules le poids des défaites
passées » et sont disponibles pour la lutte et l’organisation, selon leurs
propres méthodes.
Dans ce cadre, l’hypothèque du stalinisme est en
voie de disparition sans déjà relégitimer le projet socialiste. En même temps,
des milliers de militants et de cadres qui n’ont pas connu de défaites
historiques restent, dans les secteurs associatifs ou syndicaux, disponibles
pour relancer ou créer les conditions d’une recomposition du mouvement ouvrier
et des mouvements sociaux sur de nouveaux axes.
Une nouvelle vague de radicalisation et de politisation de la jeunesse a
pris son envol au travers des mouvements anti-globalisation. Elle constitue un
élément clé de la nouvelle situation politique et idéologique et du renouveau
du mouvement ouvrier et révolutionnaire.
La mobilisation spectaculaire à Seattle (novembre 1999) et la confrontation
sans précédent avec le G8 à Gênes (juillet 2001) ont marqué un tournant dans
les résistances contre la mondialisation néolibérale. Sa percée, à résonance
internationale, est le résultat d’une série de mobilisations, moins visibles
dans le climat de régression idéologique et de résignation militante des années
90, mais qui ont créé un nouvel internationalisme et de nouveaux mouvements, en
se confrontant systématiquement avec les sommets des institutions
internationales de l’impérialisme (Banque Mondiale, FMI, G7, UE, ) dans la rue,
lors des contre-sommets et par une ébauche de regroupements internationaux,
dont le Forum Social Mondial de Porto Alegre (janvier 2002) est l’apogée actuel.
Ce mouvement
influence dès aujourd’hui des cadres du mouvement ouvrier et social sur le plan
national, en offrant un début d’alternative quant à l’analyse de la situation
mondiale, aux revendications, à la perspective d’une « autre »
société. Elle est surtout la force motrice derrière la nouvelle radicalisation
et politisation de la jeunesse. Celle-ci n’a jamais cessé de s’engager et de
« s’occuper de politique » dans le sens le plus large, à travers
l’antiracisme/antifascisme, l’écologie, le tiers-mondisme, l’humanitarisme et
les grandes questions éthiques de l’humanité. Mais, elle était fortement
marquée par le rejet du politique en général, ne s’identifiait plus à la classe
ouvrière et au mouvement ouvrier, tournait le dos au marxisme et aux
organisations révolutionnaires.
En dehors des pays du centre capitaliste la jeunesse s’organise à l’intérieur des mouvements paysans, indigènes, étudiants, syndicaux et de sans-emploi en réponse aux mesures concrètes néolibérales. Une participation importante mais insuffisante pour déplacer les vieilles directions.
D’autres jeunes créent des formes
embryonnaires et le plus souvent locales de participation qui n’appartiennent
pas toujours au mouvement contre la mondialisation capitaliste et à travers des
propositions d’économie solidaire, des projets d’Ong liés à la lutte sociale
plus générale.
La jeunesse qui se radicalise aujourd’hui,
n’exprime pas seulement ses propres besoins et aspirations contre une société
injuste, elle manifeste aussi son engagement face à cette société pour la changer. D’où un bond en avant sur le plan de la
conscience (anticapitaliste), des formes de lutte (plus radicales), de revendications
(plus globales) et d’engagement (plus militant). Elle se trouve à la pointe de
la nouvelle phase.
La nouvelle phase politique est une mise à l’épreuve des projets et programmes
de la social-démocratie. Elle peut octroyer des marges de manoeuvres aux
équipes gouvernementales social-démocrates dans leurs jeux respectifs avec les
partis de la droite traditionnelle, mais elle confirme la profondeur du
processus de social-libéralisation des partis socialistes. Les PS ont renoncé à
toute politique keynésienne ou néo-keynésienne. Sous la crainte de tout
affrontement sérieux avec le patronat et les classes dominantes et dans le
cadre d’un profond changement politico-idéologique, les directions
social-démocrates ont épousé la politique néolibérale en y ajoutant un
accompagnement social réduit. Au-delà, il s’agit d’une profonde révision
politico-idéologique de ces partis.
En Europe, cela a pris un relief particulier par leur participation
gouvernementale, simultanément et pendant plusieurs années, dans 13 des 15 pays
de l’UE. A quelques nuances près, ils se sont inscrits dans le cadre des choix
stratégiques des classes dominantes, comme l’ont confirmé leurs orientations
socio-économiques et leur participation sans réserve aux trois guerres que
l’impérialisme a déclenchées ces 10 dernières années (Iraq, Yougoslavie,
Afghanistan).
Au-delà des spécificités évidentes, des considérations analogues s’imposent
à propos des partis de gauche ou de centre-gauche (populistes
anti-impérialistes) dans des pays d’Amérique Latine. Par ailleurs, les partis
de provenance stalinienne, dont l’approche stratégique et la pratique dans les
mouvements de masse ne se différencient le plus souvent aucunement de celle des
sociaux-démocrates, sont eux aussi entrés dans une crise existentielle.
Vingt ans d’une politique d’agression antisociale
ont profondément entamé les liens de ces organisations avec leur base sociale.
Le résultat c’est un recul sans précédent de leur prestige, leur contrôle
social et leur encadrement organisationnel du prolétariat et de la jeunesse
progressiste. D’où le dégagement d’un espace politique, social et électoral où
des courants, mouvements et partis radicaux/anticapitalistes peuvent s’affirmer,
acquérir une large audience dans la société et devenir un facteur important
dans le mouvement ouvrier et social.
Sur cet arrière-fond, une nouvelle
situation politique-idéologique est née, à la fin des années 90. Elle ne sort
pas du néant. Elle est le résultat d’une accumulation de mécontentements, de
prises de conscience, d’une relance de la solidarité et de luttes importantes,
mais qui toutes s’étaient terminées en impasse, échec ou défaite : aux
États-Unis, la longue grève des pilotes et celle de l’UPS ; en Europe, des
grèves générales -nationales ou sectorielles-, en Grande-Bretagne (mineurs
1984-85), au Danemark (grève générale 1986), en Belgique (1986, puis les
services publics en 1987, grève générale en 1993, grève larvée du secteur
enseignant étalée sur deux ans), dans l’État espagnol (grèves générales au
début des années 90) et en l’Italie (1992 et 1994); en Amérique Latine,
l’Équateur, le Brésil et la Bolivie; et en Asie, la Corée du Sud et l’Indonésie
ont connu des mouvements de masse et des luttes ouvrières importantes. La marche des femmes pour le Pain et les
roses au Québec en juin 1995 a démontré la capacité renouvelée du mouvement des
femmes de mobiliser autour de revendications féministes. La marche aura un
impact direct sur la radicalisation d’un secteur du mouvement des femmes
canalisé par les structures de l’ONU, sous forme d’ONG.
En Europe, la
mobilisation de masse des femmes, avec le mouvement de grève contre le
gouvernement Juppé en France qui allait de pair avec cette mobilisation, était la première manifestation de ce
changement. Avec la « Marche
européenne des chômeurs, précaires et exclus » vers Amsterdam (juin 1997),
il a commencé à changer l’état d’esprit dans les milieux militants en France et
en Europe. D’autres initiatives directes, déjà en cours, telle la campagne pour
l’annulation de la dette du Tiers-Monde, certains mouvements paysans très
combatifs (en Inde, Brésil, ...) vont s’y joindre. La confrontation à Seattle,
en novembre 1999, ouvre la voie vers « le mouvement contre la
globalisation » qui se rassemble à Porto Alegre, au premier Forum Social
Mondial, animé d’un esprit offensif, internationaliste et potentiellement
anticapitaliste, porté par une nouvelle génération. Cet esprit
d’internationalisme radical était également exprimé par la Marche mondiale de
femmes en 2000, dont la préparation avait commencé bien avant Seattle, à
partir d’une critique de la Rencontre des femmes de l’ONU à Beijing. En
Amérique du nord, « l’esprit de Seattle » a été suivi de la mobilisation
anti-ZLÉA à Québec, au mois d’avril 2001.
A Gênes, pour la première fois, ce mouvement réussit à fusionner avec les
secteurs combatifs du mouvement syndical de masse lors d’une confrontation
directe avec le gouvernement et sa politique néolibérale. Puis il s’est encore
élargi et renforcé. Après le 11 septembre, il a pu, sous des formes
particulières selon les pays, se convertir rapidement en un mouvement
anti-guerre avec des centaines de milliers de manifestants sur toute la planète
contre la guerre impérialiste en Afghanistan. Il a encore été un des supports
politique et organisationnel protagoniste de la solidarité avec le peuple
palestinien, écrasé par l’État d’Israël.
Une nouvelle conjoncture socio-politique se développe dans certains pays,
comme l’Italie et l’Espagne, où « le mouvement des mouvements » a stimulé
directement les luttes du monde du travail. Il a créé un nouveau cadre
politique, une volonté offensive, une nouvelle perspective et l’embryon d’une
alternative aux luttes sociales défensives qui n’avaient jamais cessé, tout au
long de la période antérieure. Il reste pour le moment le protagoniste de la
confrontation avec le capitalisme. Mais le mouvement syndical « traditionnel »
— organisationnellement affaibli et socialement isolé — continue à
organiser des millions de travailleurs et travailleuses, et des centaines de
milliers de militants. Les grèves générales et les gigantesques mobilisations
citoyennes en Italie, Espagne et Grèce, le redémarrage des grèves sectorielles
en Allemagne, mettent également sur le devant de la scène les salarié-e-s à
l’unisson avec d’autres couches sociales et des mouvements sociaux.
En Argentine, le processus révolutionnaire a surgi directement de la crise
d’effondrement de pans entiers de la vie économique, suite à l’application dans
la durée des recettes néolibérales. Dans ce cas, la bataille pour la survie a
poussé la classe ouvrière et les pauvres (ainsi que les classes moyennes) dans
la lutte et vers l’auto-organisation. Cette mobilisation contre la brutale
politique néolibérale se heurte directement à la globalisation capitaliste par
le biais des entreprises transnationales étrangères, du FMI et de
l’interventionnisme constant de l’impérialisme américain. L’Argentinazo est le
détonateur en Amérique Latine où l’essor du mouvement de masse affecte
plusieurs pays (Venezuela, Uruguay, Paraguay, Pérou, ...).
Le mouvement
paysan est un des acteurs les plus importants de cette mobilisation anti-capitaliste.
Le MST (Mouvement des Travailleurs sans Terre) brésilien, la CONAIE
(Confédération Nationale des Indigènes de l’Equateur), la Confédération
Paysanne française et d’autres mouvements organisés dans le réseau
international Via Campesina jouent un
rôle clé dans le combat contre l’OMC et l’ordre marchande néolibéral. Sans
parler du mouvement paysan et indigène de Chiapas, sous la direction de l’EZLN,
qui a été à l’avant-garde de la lutte anti-libérale en organisant, en 1996, la
Conférence Internationale contre le Libéralisme et pour l’Humanité.
Sur le continent
africain, la mobilisation contre le néolibéralisme et contre ses effets a
souvent pris la forme des rencontres larges comme le sommet Annuler la Dette à
Dakar en décembre 2000, le contre-sommet contre le G8 et contre le NEPAD à Siby
en 2002, et les grandes mobilisations sociales autour du Sommet mondial pour un
développement soutenable à Johannesburg en 2002.
La relance et la reconstruction du mouvement ouvrier et social international
relèvent de la « lutte des classes », du développement des luttes
ouvrières, mais aussi du « mouvement contre la globalisation »,
d’initiatives directes des citoyens, ainsi que des organisations
anti-impérialistes, anticapitalistes et révolutionnaires en leur sein. Les femmes ont joué un rôle majeur dans la
lutte pour la justice sociale dans une période d’inégalité et de brutalization
croissante. Les femmes se sont organisées dans toutes sortes de communautés de
d’organisations de femmes pour s’opposer à la guerre, la répression et un monde
où les relations capitalistes sont la seule possibilité. Par exemple, les
femmes ont joué un rôle central dans la lutte contre l’intégrisme religieux.
Notamment, des femmes en Inde se
sont mobilisées pour dénoncer les attaques contre des femmes musulmanes par des
organisations hindoues de droite affiliées au gouvernement de BJP au
Gujarât ; des femmes en Afghanistan se sont opposées au Taliban ; et
des femmes se sont mobilisées également contre le fondamentalisme chrétien en France,
aux Etats-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne en défense des cliniques pour
femmes et contre les « commandos
d’avortement ». Sans cette force sociale majoritaire dans le
pays qu’est la classe salariée, sans ses luttes de masse pour ses propres revendications
et aspirations, sans son auto-organisation croissante, on n’arrêtera ni la
globalisation marchande, ni la politique néolibérale, ni la politique de
guerre.
La reconstruction
du mouvement de masses et de la gauche doit prêter attention à la présence
décisive de paysans et d’indigènes dans des pays latino-américains dans des
pays d’Amérique latine comme le Brésil, le Paraguay, la Bolivie, l’Equateur et
le Mexique ; le Paraguay où l’on observe une montée de la mobilisation et
de la lutte pour la terre ; au Brésil, la présence du MST qui revendique
une réforme agraire radicale ; dans le cas de la Bolivie, la lutte des
paysans producteurs de coca et la percée électorale du MAS - Mouvement pour le
socialisme, en Equateur la CONAIE
(Confédération Nationale des Indigènes) par le biais de son expression
politique le Mouvement Pachaktik – Nouveau Pays qui fait partie du gouvernement
actuel et constitue un front de lutte contre le néolibéralisme.
Cette remontée spectaculaire de la confrontation
sociale et politique ouvre de nouvelles perspectives pour une gauche
anticapitaliste, tant sur le plan social que politique-partidaire.
(1) Suite à
l’attaque terroriste du 11 septembre 2001, l’impérialisme américain a lancé une
vaste contre-offensive qui marquera fortement la situation mondiale dans les
années à venir. Au-delà de ce choc apocalyptique, sa portée véritable
apparaîtra au fur et à mesure que « la longue guerre contre le terrorisme
international » se heurtera aux multiples obstacles, contradictions,
résistances et oppositions qu’elle trouvera sur son chemin.
(2) L’agression américaine, au départ un acte de
vengeance militaire contre tout un peuple au nom de la punition de sa classe
dirigeante, prend place dans la série de guerres impérialistes depuis 1991
(contre les peuples irakien et serbe), confirmant sa volonté hégémonique et
interventionniste dans l’après-guerre froide. En l’occurrence, elle visait à
éliminer le courant fondamentaliste du type Ben Laden, même si celui-ci défend
le capitalisme, en étant lié à des fractions bourgeoises et à des secteurs de
différents appareils d’État réactionnaires, tels la monarchie saoudienne et les
dictatures pakistanaise et soudanaise. Le discours de ce courant politique est
fanatiquement religieux, anti-occidental plutôt qu’anti-impérialiste, et
antisémite plutôt qu’antisioniste. Fondamentalement opposé aux droits
démocratiques fondamentaux et à l’égalité des femmes, il veut instaurer un
régime théocratique ultra-réactionnaire. Le pétrole a toujours été une
motivation essentielle de la politique impérialiste dans cette partie du monde.
Après la victoire militaire rapide sur les Talibans, la leçon tirée par la
« junte pétrolière » de Bush, comme on l’a appelée, c’est que les bombardements
sont efficaces et qu’il faut continuer à en faire. On a donc assisté donc à une
escalade des buts de guerre américains avec la déclaration de Bush sur « l’axe
du Mal » dans son discours sur l’État de l’Union, suivi par son discours aux Nations
Unies ou il a clairement et sans ambiguïté expliqué les buts stratégiques des
USA et a insisté sur le fait que non seulement la politique de
‘ changement de régimes » va s’étendre mais que les États-Unis
n’autoriseraient pas que leur supériorité militaire soit contestée ou
rééquilibrée. Dorénavant les États-Unis renverseront tous les régimes qui
feront obstacle à leurs intérêts.
L’Irak est le suivant sur la liste des invasions. Aucun lien avec
l’Al-Qaida n’a pu être établi car il n’en existe probablement pas. La
suppression des armes de « destruction massive », qui probablement
n’existent pas non plus, a été fixée comme objectif. Le contraire ne peut être
prouvé et cette exigence est présentée comme une raison de la guerre. Le
message adressé au monde est celui-ci : si vous nous n’avez pas cru après la
guerre en Afghanistan quand nous disions que nous allions changer le monde
conformément à nos intérêts, vous allez le croire après la défaite de l’Irak.
Les États-Unis ont l’intention d’utiliser leur puissance militaire immuable
pour réorganiser et redéfinir le monde selon les intérêts stratégiques et
économiques de l’impérialisme américain.
L’intérêt de l’invasion de l’Irak n’est pas seulement dans ses retombées
politiques mais aussi dans ses immenses réserves de pétrole. Même si le but
final de la guerre n’est pas le pétrole, il faut savoir que l’Irak dispose de
la deuxième réserve pétrolière du monde et que celle-ci est relativement
inexploitée. Contrairement au cas de l’Afghanistan, le pétrole est donc une
question importante pour en qui concerne l’Irak. On prévoit que les réserves
pétrolières des États-Unis seront épuisées dans moins de 50 ans. Le contrôle
des zones pétrolières clés dans le monde ainsi qu’une écrasante supériorité
militaire sont les éléments clés pour la domination mondiale visée par
l’impérialisme américain.
Il faut aussi prendre en compte les objectifs régionaux américains au
Moyen-Orient. Une occupation et une stabilisation réussies de l’Irak
transformeraient considérablement la région. L’Arabie Saoudite serait sous une
pression plus directe des États-Unis, l’Iran serait dans leur ligne de mire et
les Palestiniens seraient encore plus isolés. Le pouvoir d’Israël serait
considérablement renforcé et l’équilibre politique de la région changé.
La guerre contre le terrorisme représente une stratégie à long terme pour
l’impérialisme américain dans la mesure où il cherche à exploiter au maximum
son avantage. Les États-Unis se préparent à faire reculer les mouvements de
libération du Tiers-Monde, à soumettre le capitalisme européen à ses intérêts,
à redéfinir une « justice globale » et à utiliser sa force militaire pour
assurer la domination des firmes multinationales américaines. La souveraineté
nationale ne sera maintenant accordée qu’avec l’accord des Américains. Poutine
a maintenant les mains libres et de plus en plus brutales en Tchétchénie.
Pendant ce temps-là, des personnes sont détenues indéfiniment sans jugement aux
USA ainsi que dans d’autres « démocraties » et la CIA est autorisée à procéder
à des assassinats politiques comme ceux que commis par Sharon en Palestine.
À court terme, les victimes sont les pauvres et les opprimés dans les pays
envahis par les USA ou pour lesquels il prépare une intervention. Cela comprend
la Colombie et les Philippines où les Américains interviennent contre des
mouvements de guérilla de gauche. En Palestine, le gouvernement Sharon a le feu
vert pour lancer des assauts meurtriers contre la population palestinienne.
Mais ceci n’est que le sommet de l’iceberg. Des concentrations militaires
stratégiques se mettent en place en l’Asie centrale et dans le Sud-Est
asiatique. La guerre afghane a permis aux États-Unis de mettre en place des
bases militaires permanentes dans certains pays de l’ancienne Union Soviétique
ce qui était inconcevable avant le 11 septembre. Des bases ont été établies au
Tadjikistan et au Kirghizstan et même en Géorgie.
La position des USA se renforce en Corée du Sud et dans le Détroit de
Taiwan. Ce que cela implique est clair. Le pétrole de la Mer Caspienne est de
plus en plus sous influence américaine et la Chine est entourée militairement.
Cela ne signifie pas que la Chine soit sur la liste des pays qui seront
attaqués mais cela signifie que les USA recherchent un contrôle géopolitique de
la région avec un oeil sur ses immenses marchés.
Il s’agit bien sûr d’une stratégie à hauts risques qui présentent de
nombreux pièges. Plus la répression est forte, plus la justice est bafouée,
plus fort sera le retour de manivelle - ou le retour de flamme - comme Bush et
Cie le savent. La guerre contre le terrorisme a produit inévitablement plus de
terrorisme, avec de plus en plus de gens prêts à mourir pour contre-attaquer à
leur manière. Cela ne veut pas dire que nous soutenons leurs actions, mais que
nous comprenons ce qui les génère.
En même temps la préparation de l’invasion de l’Irak, qui va maintenant se
faire sous l’autorité de l’ONU, a créé un mouvement anti-guerre sans précédent,
avant même que la guerre n’ait éclaté.
Il y a eu une manifestation de 400.000 personnes en Grande-Bretagne et la
manifestation du Forum Social Européen à Florence a réuni environ un million de
personnes. Même aux États-Unis le mouvement anti-guerre est en croissance. La
Quatrième Internationale doit redoubler d’effort pour construire ce mouvement
anti-guerre à son maximum et faire en sorte que si l’invasion de l’Irak ne
puisse être arrêtée qu’elle soit combattue dans le monde entier par des
manifestations de rue et que les agresseurs soient forcés de payer le prix
politique le plus fort pour leurs actions.
(1) Un aspect totalement neuf,
c’est que cette guerre a frappé les États-Unis sur leur propre territoire,
alors qu’ils ont pu, depuis deux siècles, mener des guerres dans le monde
entier sans en subir les contrecoups chez eux. Cet événement extraordinaire
constitue une humiliation pour la plus grande superpuissance de l’Histoire dont
le territoire ne constitue plus un sanctuaire. Cela façonnera une conscience
aiguë d’insécurité et de vulnérabilité et pèsera à moyen et à plus long terme
sur tous les rapports sociaux à l’intérieur, notamment entre la classe
dominante et les classes exploitées, et sur la conscience très chauvine-impérialiste
(« the biggest in the world ») dans les secteurs majoritaires de la
classe salariée.
Dans l’immédiat, cette guerre a créé l’union sacrée
autour du président Bush. Celui-ci, mal élu (à l’intérieur) et déconsidéré (à
l’extérieur) au départ, a réussi un retournement spectaculaire, créé un
leadership énergique et lancé une puissante contre-offensive sur le plan
intérieur et international, affirmant une suprématie militaire sans égal dont
l’énorme croissance du budget militaire est le levier et le symbole.
(2) En conséquence, le mouvement social contre la globalisation
(« Global Justice mouvement »), aux États-Unis, a dû reculer
immédiatement. Il s’est affaibli par le retrait du mouvement syndical
(AFL-CIO), et par l’abandon de sa manifestation de Washington — planifiée
pour fin septembre 2001 — comme la plus grande et la plus offensive depuis
Seattle. Mais le mouvement n’a pas disparu. Grâce à la solidité de ses
militants, il a su se re-mobiliser rapidement et constituer un mouvement anti-guerre
qui, pour le moment, est très minoritaire tout en étant présent dans l’ensemble
du pays.
Mais l’alliance entre le mouvement contre la globalisation capitaliste et
le mouvement syndical — qui avait basculé dans l’opposition à cause du
« fast track » (le droit du président de négocier librement les
libéralisations liées à la FTAA) et des attaques contre le secteur
public — s’est brisée sur le climat chauvin suite au 11 septembre. Sa
reconduction autour de l’axe qui combine ces enjeux sociaux avec des
considérations politiques générales (« Jobs with Justice »), dépendra
du recul du sentiment patriotique.
« L’union sacrée » sera mise à l’épreuve
par la politique économique du gouvernement Bush brutalement pro-patronale, la
récession et les licenciements massifs qui continuent, ainsi que les faillites
spectaculaires des géants économiques, leurs conséquences antisociales -pour
l’emploi et les retraites/fonds de pension-, le banditisme financier des
patrons, et les liens corrupteurs avec l’establishment politique. Un
« ensemble économique » qui sème désormais le doute dans l’opinion
publique quant à la force du système et la probité morale de la classe
dominante.
Les conséquences de cette nouvelle politique se
sont fait sentir rapidement, en renforçant immédiatement toutes les tendances
réactionnaires déjà à l’œuvre :
(1) Le climat de volatilité et d’insécurité
mondialisée s’est brusquement renforcé, amplifié par une médiatisation
insistante ; cela a favorisé le renforcement et l’interventionnisme accru
des appareils d’État répressifs et coercitifs (armée, police, législation,
école, ). Ce qui à son tour favorise le développement de courants chauvins,
réactionnaires et xénophobes, visant en particulier les immigrés. Cette
évolution affecte toute la planète, pays par pays. En particulier, des projets
des classes dominantes restés bloqués sont relancés et parviennent à s’imposer
(Cf. l’encadrement militaire des États-Unis pour l’Amérique Latine,
réactivation du plan Colombie, la percée cette fois-ci des normes policières et
juridiques « antiterroristes » dans l’UE).
(2) La guerre comme moyen politique est banalisée
et désormais réintégrée dans les stratégies des États; le droit, réservé aux
seuls pays impérialistes, à « l’ingérence humanitaire » dans les
affaires d’autres États est désormais validé comme un concept de « bonne
politique » (« gouvernance ») ; ce droit s’est élargi, à la
discrétion de l’impérialisme (américain, en premier lieu), à d’autres États, au
nom de la « lutte contre le terrorisme » (Russie dans le
Caucase ; Israël en Palestine, et, en Afrique subsaharienne, l’Ouganda, le
Rwanda et l’Angola dans les guerres du Congo). Il en résulte la multiplication
des foyers de tension et de conflits, augmentant le chaos, la misère et la
barbarie.
(3) Les dépenses militaires, qui s’étaient
stabilisées pendant les quelques années suivant la fin de “la guerre froide”,
ont repris leur envol depuis 1999. La militarisation massive des États-Unis,
contenue dans le budget 2002, relance une militarisation qu’aucun autre pays
n’est à même d’imiter ou de suivre. La logique politique de cette nouvelle
course aux armements est différente de celle de « la guerre froide ».
Il ne s’agit plus de se préparer à une guerre nucléaire avec l’URSS, au nom
de«l’équilibre de la terreur », mais de déclencher des guerres effectives
pour imposer leur suprématie politique incontestée (avec tous les avantages sur
le plan économique et monétaire). La re-formulation en cours d’une stratégie
politique mondiale exige une redéfinition des priorités militaires, eu égard
aux moyens financiers disponibles : régner dans l’espace qui sert aussi à
encadrer militairement la planète ; protection « totale » du « home
land » (territoire national) ; capacité de mener plusieurs guerres
d’envergure en même temps (notamment en Asie orientale) ; lancement et
maîtrise des guerres « asymétriques » (type Afghanistan),
interventions militaires ponctuelles (Amérique latine ; Balkans). Cette
relance aggravée de la militarisation exerce une très forte pression sur les
États du monde, en particulier au sein de l’OTAN. Ce « keynésianisme
militaire » états-unien, remarquable par l’ampleur de l’intervention de
l’État et la relance de l’endettement public, soutient la demande intérieure et
les secteurs stratégiques de l’économie américaine qui travaillent aussi
massivement pour les exportations.
(4) La lutte internationale « contre le
terrorisme » menace les libertés démocratiques, l’activité des
organisations populaires et la société civile en général. Selon la situation
locale, il s’agit de réprimer ou d’éliminer physiquement toute dissidence ou
opposition, à criminaliser les mouvements de masse, à réduire leur impact
politique. La démocratie bourgeoise -dans la mesure et dans les pays où elle
existait- comporte désormais la possibilité légale de passer à « l’État
d’exception », en fonction des circonstances. L’objectif stratégique est
limpide, car il était annoncé dès avant le 11 septembre : étouffer le
mouvement « anti-globalisation » de masse qui conteste, pour la
première fois depuis les années 1968, le règne du capitalisme et de
l’impérialisme, et signale la renaissance du mouvement organisé des exploité-e-s
et des opprimé-e-s à l’échelle internationale.
5. Les effets spécifiques
sur les femmes en temps de guerre
Bien que le viol soit dorénavant reconnu officiellement comme crime de
guerre devant le tribunal criminel international, les violeurs, les soldats et
donc le pays responsable ne sont presque jamais jugés. En outre, la guerre
oblige les femmes à recourir à tout travail disponible, y compris la
prostitution bien souvent, pour assurer la survie de la famille qui reste, à
cause de la mort ou la disparition de l’homme.
La mondialisation détermine la configuration
actuelle du capitalisme à l’échelle planétaire. Elle se traduit par une
extension radicale du marché mondial, une libre circulation sans frein des
capitaux et des marchandises, ainsi qu’un processus impressionnant de
concentration du Capital. Elle tend à unifier le monde en un gigantesque marché
sans entraves.
Tendance inhérente au capitalisme, cette nouvelle étape de
l’internationalisation du Capital est étroitement imbriquée à la conjoncture
économique et sociale des années 70 et 80. La faible croissance et la récession
ont provoqué la réponse néolibérale mise en oeuvre dès la fin des années 70
sous Thatcher et Reagan et rapidement étendue à l’ensemble des pays
industrialisés. Cette offensive de grande ampleur contre la classe ouvrière et
ses acquis sociaux des 50, voire des 100 dernières années, débouche sur une
augmentation drastique de l’exploitation des classes ouvrières des métropoles
impérialistes et une augmentation de la masse et du taux des profit. Dans les
pays de la périphérie (« le Sud »), la loi impérialiste c’est de les
déposséder du droit à imposer quelque obligation que ce soit aux mouvements des
marchandises, mais aussi des capitaux. Les pays de la périphérie sont mis en
concurrence afin d’attirer les capitaux par le bas niveau des salaires, une
absence presque totale de fiscalité, de protection sociale ou de législation
sur l’environnement.
Cette nouvelle étape de la mondialisation
capitaliste n’est pas le fruit d’un pur déterminisme économique ou
technologique. Elle est le résultat d’une lutte de classes acharnée de la part
des classes dominantes et leurs États contre le prolétariat mondial.
Elles mènent une guerre ouverte contre toute velléité de contrôler leur
action. Cette nouvelle structuration de l’économie mondiale leur permet de
drainer des surprofits, de garantir des débouchés à leur produits, de faire
pression sur les prix des matières premières, et de préserver leur monopole
technologique. Elle est le résultat d’un mouvement sans précédent de
concentration par fusion ou acquisition n’épargnant aucun secteur ni aucune
région du globe. Elle accroît la puissance des grands groupes du Nord.
Ce nouveau statut leur confère une puissance accrue
vis-à-vis des gouvernements et des États dans lesquels s’exerce leur activité.
Ceux-ci ont accepté d’abandonner les contrôles étatiques des opérations
financières de contrôle des changes et des mouvements de capitaux. En même
temps les grands trusts du monde s’appuient sur la puissance de leurs États
pour faire prévaloir leurs intérêts dans les négociations internationales, la
diplomatie et parfois, la présence militaire. Disposant du marché mondial comme
arène, ces grands oligopoles industriels ou financiers jouissent d’une liberté
d’action et de décision sans précédent.
La mondialisation est
également commerciale. Forum informel visant à la levée progressive des
barrières au libre échange, le GATT s’est transformé en Organisation Mondiale
du Commerce (OMC) le 1 janvier 1995. Dans un contexte de forte croissance des
échanges internationaux, cet organisme, ni élu ni contrôlé, arbitre désormais
le commerce mondial à l’aune de critères strictement libéraux où pays riches et
pays pauvres se retrouvent sur un pied d’égalité. L’échec de la Conférence de
l’OMC à Seattle en novembre 1999 n’est que provisoire. Déjà, un nouveau cycle
est lancé qui vise à faire basculer dans le secteur concurrentiel des activités
comme la santé ou l’éducation, avec libéralisation totale de l’investissement
privé. Provisoirement écartées, elles ne tarderont pas cependant à faire
l’objet d’une nouvelle offensive. Malgré les discours sur le libre-échange, les
pays du Tiers-Monde se voient opposer des barrières à l’entrée de leurs
produits sur les marchés des pays les plus riches, alors que ceux-ci font
sauter, sous pression de la dette et du FMI, les obstacles à l’invasion de
leurs produits industriels et agricoles ; le résultat en est l’éviction
des petits producteurs des pays en développement concurrencés par
l’agro-industrie du Nord et la destruction de leur capacité d’autosuffisance
alimentaire.
Le poids actuel des « marchés
financiers » résulte des mesures de déréglementation généralisée prises au
cours des années 80 en conjonction avec le niveau alors très élevé des taux
d’intérêt. Les institutions financières, à côté des banques traditionnelles, se
sont multipliées et diversifiées, disposant pour certaines, telles les fonds de
pension anglo-saxons, d’une puissance financière considérable, qui a été un des
moteurs des politiques d’investissement. La force de frappe ainsi accumulée
permet de peser sur les décisions des firmes ou sur les politiques économiques
publiques, dans la mesure où les États (pour ce qui est de la dette publique)
et les entreprises lèvent des fonds sur le marché financier. Cette
structuration a donc augmenté l’autonomie relative de la sphère financière.
Elle n’en reste pas moins dépendante du secteur productif. D’abord parce
qu’elle ne fait que recycler une part de la plus-value extraite au niveau de la
sphère productive, part énormément accrue du fait de l’accentuation de la
répartition inégalitaire des revenus entre les classes ; ensuite parce que
sa liberté de manoeuvre résulte d’une volonté politique et d’un choix délibéré.
La mondialisation implique une avancée radicale dans l’internationalisation
productive placée sous le commandement des grandes multinationales, ce qui
provoque une spécialisation et une hiérarchie accrues. Elle renforce
l’accaparement des ressources de la périphérie par le centre. Cette
restructuration fonctionne aussi, pour le centre, singulièrement aux États-Unis
comme un amortisseur de ses cycles dépressifs et comme facteur d’allongement de
ses phases de prospérité. Elle facilite stratégiquement la reproduction
mondiale du Capital.
Établir une différence entre l’ensemble des pays du centre impérialiste et
la périphérie dominée et sous-développée constitue le point de départ pour
déterminer l’insertion de chaque région et pays dans le marché mondial, en
tenant compte ensuite des situations variables au sein de la périphérie. Le
continent latino-américain se situe à un niveau supérieur à l’Afrique ramenée à
un territoire de pillage, mais inférieur à l’Asie de l’Est. Par continent, une
hiérarchie analogue se reproduit de pays en pays (ex. les processus
d’industrialisation partielle). Cette hiérarchie existe également à l’intérieur de chaque pays et chaque
classe ouvrière puisque différentes couches de celle-ci ont accès à différents
niveaux de sécurité d’empli, de services publics comme la santé et l’éducation,
ce qui donne lieu à une hiérarchie entre les femmes et les hommes, les jeunes
et les plus âgés, les immigrés et les travailleurs originaires du pays. Ces bouleversements affectent profondément les
structures des sociétés, notamment les liens entre les classes dominantes et
l’impérialisme, et partant la configuration de la lutte des classes.
L’oppression systématique des femmes apparaît dans la vie quotidienne dans
une société qui nourrit la dégradation et la violence contre les femmes en
maintenant en même temps des rôles très rigides de genre. Il en résulte que les
femmes sont des êtres socialement dévalués, économiquement marginalisées et que
leurs corps sont convertis en marchandise. La famille patriarcale est toujours
l’unité économique centrale domestique dans la société actuelle, et soutenue
par d’autres institutions patriarcales comme les hiérarchies religieuses et les
bureaucraties d’Etat, renforce de façon idéologique et pratique la puissance
des hommes sur les femmes. L’idéologie patriarcale, un ensemble d’idées qui
définit les rôles féminins comme distincts et subalternes par rapport à ceux
des hommes – traverse l’ensemble des institutions et donne lieu aux résistances
de la part des mouvements des femmes, partout au monde. Pour beaucoup de
femmes, leurs relations émotionnelles intimes sont également la source du plus
grand danger qui les menace - plus de femmes meurent assassinées par leur mari
actuel ou ex ou par un ami que par toute autre cause de décès. Les vigiles « La
nuit, la rue, sans peur » et des manifestations sont des actions annuelles que
traduisent de manière dramatique la situation de violence exercée contre les
femmes.
Comme conséquence
de l’offensive néolibérale, nous constatons une augmentation des différentes
formes de violences à l’encontre des femmes. Le recours aux violences
domestiques, dont les crimes d’honneur, le viol incestueux, l’infanticide des
fillettes, les viols conjugaux, et les coups, a atteint des niveaux jamais
atteints auparavant. Une guerre culturelle vise les femmes : Elles constituent
les cibles des partisans du statu quo ainsi que des intégristes qui imaginent
un monde meilleur fondé sur l’imposition de rôles sexuels rigides. En réaction
aux tensions du monde néolibéral, ces forces visent la mainmise sur les femmes
par l’imposition de politiques d’état notamment en ce qui a trait aux questions
liées à la reproduction féminine.
Règle générale, les sociétés partout au monde deviennent plus violentes
parce que le néolibéralisme accroît l’exploitation par le biais des augmentations
de cadences, une journée plus longue, etc. Même des politiques de travail
établies sont revues pour assurer une plus grande souplesse aux sociétés
(l’engagement de travailleurs et travailleuses à temps partiel, moins de droits
pour les travailleurs licenciés). La concurrence interne entre les travailleurs
se traduit par une augmentation des violences physiques et psychologiques en
milieu du travail. Sans solidarité
ouvrière, il n’y a pas de contestation du pouvoir patronal. Les sweatshops (ateliers de misère) et le
travail à domicile sont exemplaires de l’assujettissant de la main d’œuvre dont
l’écrasante majorité est féminine aux bas salaires, aux conditions de travail
humiliantes, violentes et injustes, y compris le harcèlement sexuel et les
punitions corporelles. Le discours du « libre commerce » dissimule les
mécanismes violents du système capitaliste.
L’instauration du « nouvel ordre
mondial » impérialiste, en particulier sa hiérarchisation globale et
rigide, a eu besoin de deux guerres (Iraq, Balkans) et deux interventions
militaires (Panama, Haïti) pour se mettre en place. L’initiative en revient à
l’impérialisme américain qui a fait valoir non seulement sa puissance
économique mais aussi sa suprématie militaire. Artisan principal de la victoire
de la « guerre froide », les États-Unis ont réussi à déclencher la
guerre contre l’Iraq. Ayant écarté l’opposition ouverte ou cachée de l’URSS et
ses alliés traditionnels, des pays de l’UE (à l’exception de la
Grande-Bretagne), et de la grande majorité des pays du Tiers-Monde, ils sont
d’autant plus apparus comme la seule superpuissance militaire et politique de
la planète. L’UE, incapable de contenir les contradictions devenues explosives
aux Balkans, a dû faire appel aux États-Unis. Ceux-ci ont utilisé cette
opportunité pour faire la démonstration de leur supériorité en technologie
militaire et se sont affirmés comme une puissance européenne avec des visées
sur la Russie. Avec la force de leur « nouvelle économie » et du
dollar, ce sont les facteurs militaires et culturels (médias, musique,
communication) qui ont imposé les États-Unis comme la clé de voûte du
capitalisme mondialisé.
La mondialisation
capitaliste est à l’origine du développement planétaire de l’industrie du
commerce sexuel. Ce secteur de l’économie mondiale, en pleine expansion, qui
produit des déplacements très importants de population (les flux migratoires
sont de plus en plus féminisés) et qui génère des profits et des revenus
mirobolants -les troisièmes en importance après ceux du trafic des armes et de
la drogue- concentre les caractéristiques fondamentales et inédites de ce
nouveau stade de l’économie capitaliste.
La dynamique et
la pression sont telles que, depuis 1995, des organisations internationales
adoptent des positions qui, après analyse et malgré un discours dénonçant les
pires effets de cette mondialisation du marché du sexe, tendent à la
libéralisation de la prostitution et des marchés sexuels.[1]
Cette
industrialisation, à la fois légale et illégale, rapportant plusieurs dizaines
de milliards de dollars, a créé un marché d’échanges sexuels, au sein duquel
des millions d’êtres humains, notamment de femmes et d’enfants, sont devenus
des marchandises à caractère sexuel. Ce marché a été généré par le déploiement
massif de la prostitution, par le développement sans précédent de l’industrie
touristique, par l’essor et la normalisation de l’industrie pornographique, par
l’internationalisation des mariages arrangés et par les besoins de
l’accumulation du capital.
La prostitution
et les industries sexuelles qui lui sont connexes (bars, clubs, bordels, salons
de massages, maisons de production de pornographie, etc.) s’appuient sur une
économie souterraine massive contrôlée par des proxénètes liés au crime
organisé. L’industrie touristique profite largement de l’industrie du commerce
sexuel. Au même titre que les gouvernements (60 % du budget du gouvernement thaïlandais
en 1995).
La prostitution
est devenue une stratégie de développement pour certains États. Devant
l’obligation de remboursement de la dette, de nombreux États d’Asie, d’Amérique
latine et d’Afrique ont été encouragés par les organisations internationales
comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale à développer
leurs industries du tourisme et de divertissement, ce qui s’est traduit par
l’envolée de l’industrie du commerce sexuel.
A. La fin des années 1980 marque un tournant
historique vers la restauration capitaliste en URSS et en Europe de l’Est qui
résulte de causes internes et de facteurs internationaux marqués par
l’offensive néolibérale et impérialiste des années 1980.
(1) Ce tournant historique est le résultat à la fois :
— des impasses des diverses tentatives de réformes post-staliniennes
prolongeant pendant quelques décennies le règne du parti unique et des rapports
de production non capitalistes sans réussir à passer à un mode de croissance
intensif. Les contradictions se sont accrues entre les valeurs et aspirations
des travailleurs liées à la propriété collective des moyens de production,
d’une part, et d’autre part sa gestion par la bureaucratie, sur leur dos.
L’absence de démocratie ouvrière à l’échelle de la société a vidé de substance
et de cohérence les éventuels droits d’autogestion accordés aux collectifs
d’entreprise par un parti/État cherchant à préserver ses privilèges de
pouvoir ;
— de l’aggravation de ces contradictions dans le contexte capitaliste
international des années 1970-1989 sous pression de l’endettement extérieur en
devises fortes de plusieurs pays d’Europe de l’Est et de la course aux
armements ;
— de la remise en cause populaire des dictatures bureaucratiques
symbolisée par la Chute du Mur de Berlin et la fin du règne du parti unique
mais sans que les résistances et aspirations sociales des travailleurs n’aient
les moyens de déboucher sur une alternative socialiste cohérente ;
— du basculement de secteurs significatifs de la bureaucratie vers le
capitalisme dans les années 1980 pour briser les résistances ouvrières tout en
cherchant à consolider leurs privilèges de pouvoir dans ceux de la
propriété ;
— de la généralisation des rapports marchands et de la propriété
privée des moyens de production, la réapparition du chômage de masse, l’abandon
de l’ancienne idéologie dominante légitimant les aspirations socialistes au
profit du discours néolibéral, la remise en cause des acquis sociaux qui
constituent une défaite cuisante pour les travailleurs de ces pays et du monde
entier, permettant l’extension et l’intensification de l’offensif impérialiste
entamée à la fin des années 1970.
En même temps, dix ans de restauration capitaliste ont produit des
désillusions profondes envers les promesses d’efficacité qui ont accompagné les
recettes néolibérales. Mais la combinaison d’une considérable dégradation
sociale avec le gain de libertés syndicales et politiques a accru les clivages
entre générations et la confusion des consciences. Les formes de solidarité qui
avaient pu être associées à la crise du mode de domination stalinien se sont
dégradées au profit du redéploiement d’idéologies réactionnaires voire
néostaliniennes.
La recomposition d’un mouvement syndical et
politique anticapitaliste et démocratique se fraie difficilement son chemin
dans un contexte qui est bien plus difficile qu’en Europe occidentale. Elle
sera profondément tributaire de l’émergence d’une alternative crédible à (et
dans) l’Union européenne et du développement d’un nouvel internationalisme des
résistances à la mondialisation capitaliste.
(2) Quelles qu’aient été les variantes des réformes introduites en URSS et
en Europe de l’Est depuis les années 1950 jusqu’à la chute du Mur de Berlin,
elles ont toutes maintenu une dictature du parti unique et des rapports de production
bureaucratiques globalement à l’abri d’une logique de profit capitaliste et
d’une discipline de marché.
Après plusieurs décennies de rapprochement des
niveaux de vie avec les pays capitalistes développés grâce à une croissance
très extensive, les écarts ont commencé à se creuser à partir de la décennie
1970. Les gains sociaux qui se combinaient aux gâchis et à la répression bureaucratique
se sont détériorés, en même temps que les aspirations et besoins des nouvelles
générations, ainsi que les promotions sociales verticales, étaient de plus en
plus bloqués par le conservatisme bureaucratique.
(a) Mais l’offensive impérialiste des années 1980 a accentué les impasses
de la dictature bureaucratique et les écarts de développement entre l’Europe de
l’Est et de l’Ouest, creusés par la révolution technologique :
— les pressions de l’ultime phase de guerre froide et de course aux
armements au début de l’ère Reagan ont d’autant plus pesé sur l’URSS que sa
croissance était stagnante. La priorité aux industries d’armement s’est
réalisée au détriment des investissements industriels, de la modernisation des
équipements et de la consommation
— l’endettement de plusieurs pays d’Europe de l’Est en devises fortes
au cours de la décennie 1970 les a placés sous la pression des politiques
d’ajustement structurel du FMI produisant des réactions différenciées des
régimes en place, allant de l’austérité radicale et explosive imposée par le
dictateur roumain Ceaucescu à la montée des conflits nationaux et sociaux d’une
Fédération yougoslave paralysée, en passant par le choix des dirigeants
communistes hongrois de vendre leurs meilleures entreprises au capital
étranger. L’arrivée au pouvoir de forces de droite dans le cadre des premières
élections pluralistes a accentué radicalement l’acceptation par les équipes au
pouvoir des programmes de privatisation préconisés par le FMI. L’annulation
d’une partie de la dette polonaise et les moyens déployés pour corrompre les
porte-parole de Solidarnosc ont accompagné la thérapie de choc imposée en
Pologne.
— la construction de l’Europe de Maastricht a
relayé les critères du FMI comme accélérateur de la restauration capitaliste en
Europe de l’Est.
(b) Si la restauration capitaliste s’est appuyée
sur de puissantes institutions internationales et les pressions du marché
mondial, elle n’aurait pas pu progresser sans relais internes dans un contexte
de très grande confusion des consciences et faiblesse de l’auto-organisation
des travailleurs. La
conversion dans les années 1980 de la majeure partie des dirigeants des partis
communistes à un projet de restauration
capitaliste, après la répression systématique des forces socialistes
démocratiques au cours des décennies antérieures, a permis que l’éclatement du
parti unique donne le pouvoir à des forces restaurationnistes quelles que soit
leur étiquette.
B. La restauration capitaliste se réalise après l’explosion de l’ex-URSS et en
Europe de l’Est, pays largement
industrialisés, dans un contexte sans précédent historique marqué initialement
par l’absence de tous les attributs nécessaires au fonctionnement d’un marché
capitaliste et manquant de base “organique”, même si la grande masse des
bureaucrates de l’ancien régime aspire à se transformer en bourgeois ou à se mettre
au service du capital étranger.
(1) La soumission des nouveaux pouvoirs aux
programmes imposés par le FMI ou l’UE est passé par le démantèlement de toute forme d’autogestion, voire des
soviets pourtant bureaucratisés, de peur que les travailleurs ne s’en emparent, la transformation des moyens de production en
marchandises accompagné par l’extension des fonctions de la monnaie et la
généralisation des programmes de privatisations comme « preuve » de rupture
avec le passé et critères supposés d’efficacité universelle.
(2) Mais dans ces pays qui ont connu plusieurs
décennies d’industrialisation sans domination de rapports monétaires et sous
des formes de propriété hybrides appartenant « au peuple tout entier », les
privatisations se sont heurtées à la question : qui peut (légitimement et
pratiquement) acheter les entreprises. La privatisation des grandes entreprises
structurant parfois des régions entières et assurant dans l’ancien système une
distribution en nature de services sociaux et de logements est au coeur des
difficultés de la restauration capitaliste. Les risques d’explosion sociale se
doublent d’un coût considérable des restructurations face à l’insuffisance de
capital et de bourgeoisie nationale susceptibles d’acheter ces entreprises et d’y
imposer aux travailleurs une gestion capitaliste.
(3) Face à cette difficulté générale, les dirigeants hongrois ont choisi la
vente directe de leurs meilleures entreprises au capital étranger. Mais, en
dehors de ce cas, la plupart des nouveaux régimes dans l’ex-URSS comme en
Europe de l’Est ont inventé dans la première moitié des années 1990 diverses
formes de « privatisations juridiques » sans apport de capital, souvent au
bénéfice principal des nouveaux États devenus actionnaires. La distribution à
la population de « coupons » donnant droit à l’achat d’actions ou l’accès quasi
gratuit des travailleurs à une part substantielle des actions de leur
entreprise ont permis d’accélérer les « privatisations » aux yeux des
créanciers et institutions occidentales, piégeant les travailleurs dans l’actionnariat populaire. Quelles qu’aient
été les variantes dans les nouvelles formes prises par la propriété, la
restructuration des grandes entreprises a été ralentie ou « contournée »,
prenant plus souvent la forme d’une asphyxie par manque de financement et non-paiement
des salariés que celle d’un affrontement de classe par des licenciements. Ceci
a largement pesé sur les difficultés de résistance collective des travailleurs,
tout en les poussant vers la recherche de solution de survie individuelle
(culture des lopins de terre, petits boulots…).
La concentration progressive de la propriété juridique et des pouvoirs de
gestion réels aux mains des nouveaux
pouvoirs d’Etat bourgeois, des banques et des oligarchies – sous des formes
très opaques - a limité initialement la
vente au capital étranger.
(4) Les rapports de troc qui se sont étendus en
Russie dans la décennie 1990 en même temps que les privatisations et la «
désinflation » imposées par le FMI, ont été une forme de protection précaire
contre les nouvelles contraintes marchandes combinées à l’extension réelle des
rapports monétaires, de montages financiers mafieux et d’une subordination du
régime eltsinien aux préceptes du FMI et aux oligarques. L’absence de restructuration
et de financement des entreprises s’est accompagnée d’une fuite massive de
capital vers l’étranger et d’une intense spéculation des nouvelles banques
privées sur les titres d’État conduisant à la crise de l’été 1998.
(5) Dans l’ensemble des pays candidats à l’UE, les pressions pour
l’ouverture de l’économie et notamment des banques au capital étranger se sont
intensifiées dans la deuxième partie de la décennie 1990 : plus de 70% des
banques sont sous domination étrangère dans plusieurs pays d’Europe centrale,
dont la Pologne où le taux de chômage dépasse 17%.
La course à l’adhésion à l’Union européenne, qui reste l’alibi des
politiques impopulaires imposées par les dirigeants au pouvoir en Europe
centrale, a accéléré la dissociation des régions les plus riches se
débarrassant du « fardeau budgétaire » des autres pour tenter de s’insérer plus
rapidement dans l’UE.
Les candidats à l’adhésion ont radicalement orienté leur commerce vers
l’UE, subissant désormais les aléas de sa croissance et enregistrant des
déficits commerciaux assez systématiques. Les critères imposés par l’UE aux
pays candidats, en creusant la pauvreté et le chômage, rendent en fait
l’adhésion de plus en plus coûteuse - en même temps que le budget européen
reste étroitement plafonné. Il s’agira donc sans doute de réduire les
ressources données aux pays du Sud et de ne pas élargir aux paysans de l’Est
les subsides de la PAC...
Les échecs de l’UE face à la crise de
l’ex-Yougoslavie et à ses guerres ont favorisé la redéfinition et l’extension à l’est de l’OTAN permettant
aux Etats-Unis de peser sur les futurs Etats membres de l’UE et sur ceux de sa
périphérie, notamment dans les Balkans, offrant à ces derniers un substitut à
l’adhésion à l’UE.
(6) L’alternance sans alternative s’est installée
derrière le pluralisme politique. Il y a une montée des abstentions, une
difficulté à dégager des majorités gouvernementales et la généralisation de
scandales financiers affectant tous les partis au pouvoir, quelle que soit leur
étiquette. Le retour rapide et général des ex-communistes par les urnes a
exprimé la désillusion profonde des populations envers les recettes libérales
et l’espoir de politiques plus sociales, vite déçu par la transformation
social-libérale de ces partis.
(7) L’arrivée de Poutine au pouvoir dans la foulée de la crise financière
de l’été 1998 a ouvert une nouvelle phase marquée par la mise en place d’un
pouvoir nationaliste (« patriotique ») et d’un État-fort sur plusieurs
plans : restauration de la puissance russe (notamment en Tchétchénie),
d’un certain ordre moral et économique, mise au pas des médias et des pouvoirs
régionaux... Le projet de nouveau Code du travail et les proches conseillers
sur lesquels s’appuie Poutine illustrent les objectifs socio-économiques
bourgeois de ce régime. La dévaluation du rouble qui a fait suite à la crise de
l’été 1998 a permis une reprise fragile de la production nationale et une
baisse du troc, mais les besoins de financement de l’industrie demeurent sous pression
impérialiste.
Le pouvoir russe cherche à reconquérir des traits de grande puissance dans
une négociation avec l’OTAN dont l’extension à l’Est crée une source de
tensions. Il a espéré conforter une résistance à la toute-puissance des
États-Unis en s’appuyant sur l’UE. Mais le cadre atlantique et néolibéral dans
laquelle celle-ci se construit limite ces velléités.
L’insertion de la Russie à la coalition « anti-terroriste » derrière les
Etats-Unis lui a laissé les mains libres pour mener sa sale guerre en
Tchétchénie. Mais les tensions entre les Etats-Unis et l’UE comme celles qui se
sont manifestées sur la question de l’Irak permettront de nouveau à la Russie
de tenter un jeu d’équilibres entre les
grandes puissances.
Du point de vue des grandes puissances, la Chine ne cesse de représenter un
facteur d’incertitude autant sur le plan géopolitique (questions de Taiwan, du
Tibet, de l’Asie centrale, etc. ) que socio-économique. Les groupes dirigeants
des États-Unis et de l’Union européenne, et à plus forte raison du Japon, sont
conscients qu’en tout cas de figure la Chine visera dans les prochaines
décennies à jouer un rôle de grande puissance et à faire valoir son hégémonie
en Asie. Elle a tiré, par ailleurs, les leçons de la guerre au Kosovo en
poursuivant une modernisation de son potentiel militaire.
Par comparaison à
la chute de production et qu’ont connu la Russie et tous les pays d’Europe de
l’Est au début des années 1990, avec un niveau de PIB en 2000 qui n’a rattrapé celui d’il y a dix ans que dans 5
pays d’Europe centrale, la Chine a connu depuis 20 ans un taux de croissance de
près de 10% par an, restant y compris à plus de 8% de croissance pendant la
crise asiatique. Ce sont les chiffres chinois de baisse du nombre absolu de
pauvres pendant ces vingt dernières années, qui permettent aux statistiques
mondiales de prétendre à la réduction des inégalités mondiales – alors qu’elles
s’accroissent, hors statistiques chinoises depuis 20 ans.
En même temps,
les écarts de revenus se sont creusés en Chine parallèlement à la remise en
cause des gains sociaux dans la santé et l’éducation et des protections dans
l’emploi : la logique de privatisation
capitaliste est à l’œuvre, de plus en plus légalisée. D’où la montée
d’explosions sociales protestant contre les inégalités et s’emparant notamment
de l’écart entre les discours « socialistes » et la réalité capitaliste en
développement…
C’est,
paradoxalement pour la rhétorique néo-libérale, le maintien d’un pouvoir
d’Etat/parti fort, à la fois répressif et soutenant la croissance, qui offre le
plus d’attractivité au capital étranger. Au tournant du millénaire, le stock
cumulé d’investissements directs étranger
(IDE) était ainsi de 300 milliards de dollars environ en Chine contre 12
pour la Russie. Mais l’ouverture chinoise a été jusqu’alors contrôlée et
massivement « chinoise », et les financements de la croissance n’ont pas été
principalement tributaires de financements étrangers – ce qui, avec ses
précédents commerciaux considérables, a
donné à la Chine un pouvoir de résistance aux préceptes néo-libéraux. Rapporté à la taille du pays, les chiffres
d’IDE sont davantage significatifs : ils sont en 2000 de l’ordre de 160 $ par habitant pour la Chine, contre 85$ en
Russie, mais 571 au Kazakhstan, environ 1000 pour la Pologne et de l’ordre de
2000 en Hongrie ou en République tchèque. En substance, la croissance chinoise
relève d’un néo-mercantilisme basé sur un interventionnisme et des protections
d’Etat plus inspiré par ce que furent la Corée du Sud et le Japon dans leurs
années de croissance forte, que par les préceptes néo-libéraux.
Jusqu’à la fin de
la décennie 1990, l’ouverture de l Chine aux échanges internationaux s’est
faite sur des bases extrêmement protégées (notamment par la non convertibilité
de sa monnaie et les limites étroites imposes aux financements par les non-résidents),
comme en témoigne le fait qu’elle a été largement épargnée par la crise
asiatique de 1997-1998.
L’adhésion à
l’OMC s’est accompagnée d’une radicalisation des réformes visant à transformer
de plus en plus les grandes entreprises en société par actions et l’ouverture
du système financier au capital étranger, accompagnant l’ouverture du PCC aux hommes d’affaire. Parallèlement le
démantèlement des anciennes protections sociales se poursuit.
Le processus en
cours est entravé par les résistances sociales croissants face aux creusements
des inégalités et au développement de la précarité.
Ce sont de telles
résistances dont l’origine remonte au mouvement de Tien Anmen, qui pourront
ébranler la façade unifiée du régime et déboucher sur la rupture du cadre
institutionnel de l’État-parti. La rhétorique socialiste doit évidemment être
contestée, à la fois face à des mesures d’extension des rapports de production
capitalistes, et face à toute aile « modérée » ou conservatrice qui ne mettrait
pas au cœur de la résistance anti-capitaliste nécessaire l’introduction de
droits d’auto-organisation et les droits de gestion des travailleurs sur la
propriété collective.
(1) La nouvelle structure du capitalisme mondialisé
porte en germe un approfondissement considérable des rivalités
inter-impérialistes entre les trois blocs économiques régionaux, chacun autour
d’une des trois grandes puissances économiques. Les USA, seule puissance
« globale », assurent la stabilité et la pérennité du système
d’exploitation, tout en abusant de cette position de force pour imposer leur
loi à leurs rivaux. Le résultat politique de la nouvelle guerre pourrait
modifier substantiellement les rapports de force politique et économique entre
les USA d’un côté, et de l’autre, les pays impérialistes (Japon, UE) et les
grandes puissances (Russie, Chine) en voie d’insertion dans le marché mondial.
La récession les aiguisera.
(2) Depuis dix ans, le Japon est frappé d’une
stagnation économique, liée à l’incapacité de surmonter les effets d’une bulle
spéculative et une gigantesque crise bancaire. Mais cette conjoncture cache
pour le moment la persistante puissance industrielle et financière du Japon,
épicentre d’une des zones (est-asiatique) les plus dynamiques de l’économie
mondiale. La « mondialisation » signifie l’ouverture du pays par une
série de dérégulations légales-institutionnelles et privatisations. La bataille
des grands groupes étrangers pour s’y implanter est en cours et les États-Unis
poussent à abattre les structures protectionnistes. Ces derniers pèsent de tout
leur poids dans la région par leur présence militaire qu’ils justifient pour
contenir la montée en puissance (économique et militaire) de la Chine face à
Taiwan. Dans une perspective à moyen terme, ils se préparent à affronter la
constitution d’une nouvelle puissance politiques et économique Chine/Hong Kong/Taiwan,
ce qui bouleverserait radicalement les équilibres en Asie et dans le Pacifique.
(3) Les bourgeoisies européennes ont remporté un succès incontestable par
l’adoption de la monnaie unique. A l’étape actuelle, l’Union européenne
s’efforce de mieux exploiter l’espace économique commun et de devenir plus
concurrentielle sur le marché mondial. Les opérations multiples de fusion et de
concentration des puissants groupes industriels, commerciaux, financiers et
bancaires se sont succédées. Le Marché Unique avance en particulier sur
l’harmonisation des marchés financiers. Depuis la guerre du Kosovo, l’UE se
fixe comme objectif de constituer une force armée, indépendante des États-Unis.
Cela est directement lié à l’élargissement vers l’Est qui se heurte à de
nombreux obstacles, au sein des pays-candidats qui sont obligés d’introduire
dérégulations, privatisations et changements structurels. C’est en transformant
l’UE en forteresse (accord de Schengen) que l’UE essaye de repousser les
mouvements des populations en provenance du sud de la Méditerranée, d’Afrique
noire, d’Europe orientale et d’une partie de l’Asie.
La volonté des classes dominantes d’avancer vers une
« Europe-puissance » implique une réforme des institutions,
aujourd’hui très hybrides, débouchant sur une véritable direction politique
supranationale. L’UE est parvenue à se doter d’un embryon d’appareil d’État
supranational, entouré d’une série de coordinations inter-étatiques de plus en
plus cohérentes. Mais la construction est en transition et fragile. Elle est
parcourue par de fortes contradictions entre les (grands) États-membres. Elle
est en recul par rapport à la démocratie parlementaire. Sa légitimité reste
très limitée parmi les populations à cause de sa politique antisociale
virulente. En même temps, la dynamique se poursuit propulsée par la
globalisation capitaliste générale et les besoins du grand Capital européen.
Elle est obligée d’affronter les obstacles et d’avancer, car reculer mènera à
une grave crise qui mettrait en danger les acquis (en particulier l’union
monétaire).
La rivalité avec les USA est un important stimulant
pour l’édification d’un État européen. Le capitalisme américain dispose d’un
appareil d’État puissant et omniprésent sur tous les continents. Il constitue
le pilier indispensable à l’ensemble des bourgeoisies impérialistes. Mais en
même temps, il l’utilise pour favoriser ses propres entreprises multinationales
dans la lutte acharnée sur le plan de la concurrence économique et des sphères
d’influence politique. Le Grand Capital européen ne peut reculer dans sa
tentative de se doter d’un État européen impérialiste. Cela débouche
immanquablement sur une tentative de rééquilibrer la suprématie actuelle des
États-Unis. Ce qui n’ira pas sans frictions et conflits.
Les rapports contradictoires entre les États-Unis
et la Russie, produit de la « guerre froide », se placent aujourd’hui
dans le cadre de l’extension mondiale du capitalisme et de la transition de
l’ex-URSS au capitalisme. Ce processus n’est pas indolore.
(1) La désintégration de l’ex-Union soviétique a donné lieu à une grave
instabilité et à une série de guerres.
Dans le Caucase, où les conflits autour du pétrole ont été emmêlés avec la
politique intérieure russe, aucun pays n’est sorti de la crise économique et de
l’instabilité politique. La guerre en Tchétchénie fut initiée par Eltsine pour
renflouer sa popularité en déclin et pour faire élire son dauphin lors des
élections présidentielles consécutives. Par la suite, Poutine a poursuivi la
guerre avec plus d’énergie que son prédécesseur, et le conflit est devenu le
moyen de constituer la base de son pouvoir et de stabiliser son règne.
L’invasion s’est produite dans la foulée de la guerre de l’OTAN dans les
Balkans, et dans des conditions politiques différentes de l’invasion russe
antérieure - et désastreuse - de la Tchétchénie en 1994. Cette guerre, menée avec la complicité des
puissances occidentales – notamment les USA, au nom de la « guerre contre
le terrorisme » - se caractérise par les crimes de guerre, les massacres
des populations civiles, les viols, les tortures et les déportations.
La guerre fut également une tentative de remonter le moral et la capacité
offensive de l’armée russe; en 1994 l’état-major s’était opposé à l’invasion de
la Tchétchénie, mais en 1999 il l’a soutenue sans réserve. Elle a également
contribué à reconstruire le chauvinisme grand-russe, qui avait chuté avec
l’écroulement de l’URSS et encore après la défaite de 1994 en Tchétchénie. Par
ailleurs, elle a lancé un avertissement aux autres républiques autonomes ayant
des velléités d’indépendance.
Elle répondait en outre aux intérêts stratégiques russes, en particulier la
mainmise sur le pétrole, pour laquelle la Russie devait augmenter son influence
dans la région caspienne. Il n’y avait aucun projet de construction d’un nouvel
oléoduc qui contournerait la Tchétchénie et donnerait un accès à la Mer noire.
Pour que la Russie reste un acteur principal dans la région, il fallait assurer
la stabilité et le contrôle politique. Notre tâche est de mettre en évidence l’oppression
russe des Tchétchènes et de soutenir sans équivoque le droit de la Tchétchénie
à l’autodétermination.
L’Ukraine, qui a connu une régression économique
encore plus grave que celle de la Russie, est loin d’avoir établi un cadre
politico-institutionnel stable et reste menacée par une fracture entre les
régions occidentales plus tournées vers l’Europe centrale et orientale et les
régions orientales sous l’influence du voisin russe. Son sort représente un
enjeu majeur : l’équilibre de cette région du monde dans son ensemble
dépend dans une large mesure de l’évolution de ce pays qui pourrait soit
s’intégrer dans la zone d’influence des puissances de l’OTAN, soit entrer dans
le giron de la Russie en renouant des liens brisés par l’éclatement de l’URSS.
(2) La néo-bourgeoisie russe essaye de regagner son
statut de puissance internationale en s’appuyant sur son histoire, sa
conscience nationale, ses liens internationaux avec des pays traditionnellement
opposés aux États-Unis, sa force productive et ses ressources naturelles, sa
main-d’oeuvre qualifiée et, surtout, sa capacité de nuisance militaire. Mais sa
transition est fortement tributaire du grand capital international et de
l’impérialisme. Cette insertion dans le marché mondial est un processus heurté
et conflictuel où intervient à son tour la rivalité entre les États-Unis et
l’UE. Les deux visent à s’emparer de la propriété terrienne et industrielle,
ainsi que des matières premières, à partir d’un encadrement
institutionnel-financier et une pression systématique sur la transition au
capitalisme. L’UE, l’Allemagne, en tête, essaye d’opérer un rapprochement
diplomatique et économique dans une relation apaisée (étant donné la proximité
géographique, la politique d’élargissement vers l’Est, et sa propre faiblesse
militaire), tandis que les USA visent ouvertement à encadrer la Russie dans le
cadre de leur politique d’hégémonie mondiale.
L’Amérique
latine, plus particulièrement l’Amérique du Sud, connaît une situation
exceptionnelle. La profondeur de la crise socio-économique se conjugue à une
instabilité politico-institutionnelle croissante et à l’intensité d’une
résistance sociale large et radicale. Le processus de contre-réformes libérales
a perdu en légitimité, surtout depuis que la rébellion populaire secoue
l’Argentine. La crise de direction politique de la bourgeoisie s’approfondit.
Un climat d’insurrection et de désobéissance populaire a gagné de nombreux pays
de la région. L’élection de Lula au Brésil et de Gutiérrez en Equateur, ainsi
que l’ampleur du vote pour Evo Morales en Bolivie, sont la marque du recul de
l’influence des politiques néolibérales et de l’usure des partis bourgeois.
Cette nouvelle période de la lutte des classes a un caractère indiscutablement
transitoire dans la mesure où l’évolution du rapport de forces entre les
tendances révolutionnaires et contre-révolutionnaires reste ouverte.
Il est encore tôt pour dresser un bilan de
l’impact, à l’échelle du continent, de la victoire électorale de Lula et du PT
au Brésil. Il y a, d’un côté, le fait que Lula et le PT incarnent depuis des
années le mouvement social organisé au Brésil, ce qui soulève des espoirs et
peut contribuer, au Brésil et au-delà, à impulser un cycle de luttes sociales.
Il y a, de l’autre, la « modération » affichée par le nouveau
gouvernement brésilien, les alliances avec de larges secteurs des classes
dominantes, le parti initial de rechercher des changements sans ruptures, dans
la continuité de nombre de choix politiques du gouvernement Cardozo, l’appel
des électeurs à la « patience », qui sont susceptibles de jouer en
sens inverse. On pourrait ainsi connaître une démobilisation si la politique de
« modération » se confirme et qu’une déception profonde se manifeste
vis-à-vis du gouvernement de Lula.
Pour sa part, l’impérialisme nord-américain réorganise sa stratégie avec deux
objectifs : d’un côté l’instauration d’un processus de libre-échange à
l’échelle continentale et la recolonisation économique (ALCA, Plan Puebla-
Panamá, dette extérieure, subordination complète au FMI et à la Banque
mondiale) ; de l’autre, un développement de forces militaires et de
répression pour écraser les résistances et les luttes populaires (Plan
Colombie, bases militaires, intervention de la DEA et de la CIA). La stratégie
continentale de contre-insurrection s’accompagne d’opérations multilatérales
dans la perspective d’une force d’intervention latino-américaine – une sorte de
bras armé « antiterroriste » de l’OEA en tant que telle. Cette
réorganisation prend effectivement aussi un aspect institutionnel. On redonne
vie à l’OEA et on construit un paradigme de « solidarité
démocratique » pour les pays du continent (Charte Démocratique
Interaméricaine adoptée à Lima après le 11 septembre) qui articule la
« défense des droits humains » et une bonne « gouvernance
régionale ». On modernise dans le même temps les moyens de répression, on
garantit l’impunité du terrorisme d’Etat et du « nettoyage social »
des « rebuts sociaux» (Argentine, Colombie, Guatemala, Chiapas,
Brésil...). Cette « gouvernance » interaméricaine prétend instaurer
un droit d’ingérence en jetant aux ordures les principes de non-intervention et
de respect de la souveraineté nationale, profondément enracinés dans les pays
dont l’histoire entière est marquée par les luttes anti-impérialistes et contre
l’intervention étrangère.
La crise
socio-économique du « modèle néolibéral » tout comme la crise des
projets d’intégration régionale subordonnée (MERCOSUR, CAN-Communauté Andine
des Nations, Marché Commun Centraméricain) se sont accélérées après le krach
financier de 1997-1998 et l’offensive pour instaurer l’ALCA. Ce « nouveau
pacte colonial » implique un transfert gigantesque de divers types de
ressources vers les grands groupes impérialistes (trusts
industrialo-commercialo-financiers) et vers une minorité de leurs associés
locaux. Ce projet nourrit une corruption monstrueuse et un parasitisme typique
d’une classe dominante qui a plus confiance dans un compte bancaire ouvert aux Etats-Unis,
en Suisse ou dans un quelconque paradis fiscal que dans son propre pays. Il
implique un transfert de richesses tel qu’il signifie la destruction de couches
sociales entières, un niveau de concentration inégalé des richesses, un
désastre social, des crises économico-financières et des récessions toujours
plus profondes. Sous le choc se produit une destruction de l’industrie de pays
qui, comme l’Argentine, connaissaient un développement relatif. Les coups
portés par la mondialisation du capital qui obligent les pays
« sous-développés » à brider leur économie dans la logique de
« l’ajustement structurel » et du paiement de la dette extérieure,
pour satisfaire les exigences des pays impérialistes et des groupes
transnationaux, ont détruit le potentiel
de cette région. Pratiquement tout a été privatisé et ce qui ne l’est pas
encore est mis en vente : réserves d’eau et de pétrole, électricité,
terres, mines, ports, services de santé... La pauvreté touche 46 % de la
population en Amérique latine et le chômage et le sous-emploi plus de 40 %.
Dans le même temps, la crise de légitimité et
de gouvernabilité des élites bourgeoises impose des mécanismes et des
législations de contrôle social et de restriction des droits démocratiques de
la « société civile ». L’Etat « démocratique » oppose
chaque jour davantage ses attributs policiers, autoritaires et répressifs à
toute manifestation de protestation et de d’opposition. L’un des facteurs clés
de cette perte de légitimité et de cohésion du discours dominant réside
justement dans la crise du « paradigme néolibéral » caractéristique
de la phase actuelle de la mondialisation capitaliste et dans l’échec de la
« modernisation du sous-développement ». Au sein même des classes
moyennes, seuls des secteurs restreints peuvent encore être séduits par des
promesses consuméristes et la majorité passe à l’opposition militante sous la
forme de mobilisations, de vote de protestation ou d’abstention. Cette crise
atteint le niveau de la ligne de flottaison de la « démocratie représentative ».
Les institutions ont été mises à mal par les luttes démocratiques de masse qui
ont fait chuter, ces trois dernières années, nombre de présidents élus, réélus
ou imposés par les assemblées parlementaires.
Dans ce cadre,
les objectifs que se fixe Washington apparaissent clairement : écraser le
mouvement populaire qui se développe, les manifestations massives de
désobéissance civile et les luttes sociales radicales ; renverser le cours
de la rébellion populaire qui touche l’Argentine ; gagner ou neutraliser
le gouvernement de Lula au Brésil ; écraser la résistance armée et mettre
la main sur les ressources pétrolières en Colombie ; déstabiliser le
gouvernement de Chavez, coupable d’un discours nationaliste et de son alliance
avec Cuba ; écraser la résistance des zapatistas au Chiapas et des
communautés indigènes, des paysans, des « pobladores » et des
syndicalistes qui s’opposent au pillage qu’implique le Plan Puebla-Panamá ;
maintenir le blocus et infliger une défaite définitive à Cuba ; créer les
conditions d’une « stabilité démocratique » qui favorise les
investissements de capitaux américains, en concurrence sur ces marchés avec
l’Union européenne.
On assiste simultanément à une relance des luttes populaires de masse, à la
réorganisation des mouvements sociaux, à la reconstitution d’une conscience de
classe. La période la plus difficile est donc dépassée. Même s’il existe encore
des situations de fragmentation et de confusion, ce processus incontestable de
redressement, avec la socialisation de diverses expériences de lutte, revêt un
caractère large et radical, porteur de revendications et de programmes qui
associent des éléments économiques, sociaux, politiques, démocratiques,
écologiques, culturels et ethniques. Ce processus n’a été bloqué ni par
l’intoxication idéologique au lendemain des attentats contre les Tours
jumelles, ni par la campagne terroriste de l’impérialisme et des médias. Au
contraire, la polarisation sociale s’est renforcée après le 11 septembre.
L’ « argentinazo » et le soulèvement populaire contre les
putschistes au Venezuela, le développement des protestations, des grèves et des
« caceroleos » massifs en Uruguay, les luttes toujours plus larges et
plus radicales au Paraguay, en Bolivie, au Pérou, en Equateur et en Colombie
confirment qu’il s’agit bien d’une nouvelle période de la lutte des classes.
Les luttes de ces
mouvements sociaux se font autour de revendications et de plates-formes à
caractère « anti-néolibéral » mais elles s’inscrivent dans une
dynamique concrète de résistance anti-impérialiste et anticapitaliste. Il en
est ainsi des mouvements et des luttes comme celles organisées par la
Coordination de défense de l’eau et de la vie à Cochabamba, celles des
cultivateurs de coca du Chapare et les marches paysannes en Bolivie, celles de
la CONAIE en Equateur et du MST au Brésil, des zapatistas au Chiapas, la
mobilisation impulsée par le Conseil Démocratique du Peuple au Paraguay, les
coordinations régionales qui comme celles d’Arequipa et du Cuzco ont empêché
les privatisations, les enseignants, les étudiants et les indiens mapuches au
Chili, les « pobladores » de Vieques, les employés du secteur public
et les mouvements populaires en Colombie. Les innombrables mobilisations
syndicales, paysannes (dont Vía Campesina a été un moteur fondamental), de
chômeurs (le mouvement « piquetero » s’est étendu à divers pays), du
mouvement des Noirs, des femmes, des militants pour la défense des droits
humains et contre l’impunité, des étudiants et des « pobladores », des
radios communautaires, sont autant d’éléments qui articulent les différentes
dimensions de cette résistance dont les caractéristiques – encore partielles –
sont celles d’une véritable contre-offensive. La « résurgence » des
peuples indigènes qui se sont dressés contre la commémoration du 500e
anniversaire de la Conquête de l’Amérique, de leurs organisations et de leurs
revendications est un élément marquant de cette nouvelle situation. Marquant
également le fait que se poursuive la lutte armée en Colombie alors qu’elle
doit faire face à une guerre sans répit où les victimes se comptent en dizaines
de milliers.
Toutes ces luttes
ne se limitent nullement aux secteurs périphériques victimes d’« exclusion
sociale » et ne sont pas le fait d’une « multitude » amorphe et
éclectique sans référence de classe. Elles touchent au contraire des secteurs
de plus en plus larges des classes exploitées, elles font la jonction avec un
mouvement de résistance à la mondialisation capitaliste en plein essor, elles
rejoignent les réseaux de solidarité, les campagnes et les grands affrontements
avec les institutions financières internationales et confirment par là même un
renouveau de l’internationalisme qui s’est manifesté massivement, à Seattle et
jusqu’au Forum social de Porto Alegre. Dans ce mouvement d’opposition, cet
essor de la lutte de classe, se forge une nouvelle gauche sociale radicale qui
agit dans ce processus, impulse les mouvements de rébellion, pèse dans les
rapports de forces et œuvre quotidiennement à la construction de « contre-pouvoirs »
latents. L’« argentinazo » a accéléré cette recomposition du
mouvement populaire et sa radicalisation. Il s’agit d’un événement historique
décisif dans l’histoire de la lutte de classes en Amérique latine. Il ne faut
certes pas sous-estimer la capacité de la bourgeoisie et de l’impérialisme à
imposer une issue contre-révolutionnaire (ou à recourir à la répression comme
au mois de juin en Argentine), mais la force du mouvement populaire permet de
consolider, lentement, de nouvelles formes d’auto-organisation et de démocratie
de base.
Les luttes de
masse en Argentine et dans l’ensemble de l’Amérique latine convergent avec les
révoltes de Seattle et de Gênes, le mouvement contre la mondialisation
capitaliste, les rébellions, la désobéissance civile, les protestations et plus
encore la formidable radicalisation d’une frange toujours plus large de la
jeunesse à l’échelle mondiale. Dans le cas de l’Amérique latine, la
mobilisation des femmes, qu’elles aient un emploi, qu’elles soient chômeuses ou
femmes au foyer, joue un rôle essentiel dans la recomposition d’une gauche
sociale radicale.
Cette polarisation extrême de la lutte de classe exacerbe les rapports et les
débats au sein de la gauche en Amérique latine sur la question de la stratégie
à adopter. Elle ouvre une brèche manifeste dans l’édifice qui sépare résistance
sociale et projet politique alternatif. La question de l’articulation de la
résistance sociale avec une perspective stratégique de pouvoir revient avec
davantage de force et d’évidence. Le parti pris unilatéral de « réforme ou
révolution » cède le pas aujourd’hui à l’urgence de combiner réforme et
révolution pour « transformer l’ordre établi » comme le proposait
Rosa Luxemburg. Entre la gauche radicale, incontestablement investie dans la
confrontation et la rupture avec l’ordre existant, et l’autre gauche qui se
situe dans un horizon stratégique réduit à la conquête des institutions et à
des changements sans rupture, le fossé apparaît chaque jour plus évident. Cette
contradiction traverse le gouvernement de Lula au Brésil, le gouvernement de
Gutiérrez en Equateur, voire celui du Frente Amplio en Uruguay, si cette
hypothèse devient réalité, même si à cette étape la dominante de ces
gouvernements reste l’option néo-libérale.
Pourtant, l’espace disponible pour le « progressisme » se trouve
considérablement réduit en Amérique latine par la dimension exceptionnelle de
la crise, de la dépendance externe des capitalismes de différents pays et de la
toute-puissance de l’impérialisme. C’est ce qu’illustre l’expérience
désastreuse du gouvernement de l’Alianza en Argentine. Le Venezuela en est un
autre exemple : face à un processus timide de nationalisme et de populisme
social, la droite, les secteurs réactionnaires de l’Eglise, les militaires et
les multinationales, appuyés en sous-main par l’impérialisme, ont organisé la
déstabilisation, ce qui a finalement conduit à une radicalisation du processus.
La néo-libéralisation de l’Afrique subsaharienne s’avère particulièrement
brutale et meurtrière. Car elle aggrave la situation générale déjà
catastrophique de cette partie de la périphérie capitaliste. Les programmes
d’ajustement structurel favorisent, à travers la privatisation des entreprises
d’Etat ; la libéralisation des marchés … La mainmise des
multinationales sur les secteurs les plus rentables des économies locales.
Processus de recolonisation accentuée qui prend dans certains cas la forme de
guerres par procuration. Des fractions néocoloniales locales, liées aux
intérêts impérialistes diversifiés se livrent à des guerres d’accumulation
primitive du capital, de pillages des ressources naturelles (minières ; énergétiques …),
de conservation des monopoles impérialistes traditionnels. Guerres dont l’ethnicisation déchirent les
tissus nationaux, créant des fiefs soumis à la loi des bandes
politico-mafieuses très criminelles (Angola, R. D. Congo, Libéria, Sierra
Leone, Congo-Brazzaville …). Ce qui dégrade davantage la situation des
populations, dans les zones en conflits, souvent contraintes à l’errance,
faisant de l’Afrique subsaharienne une grande région de réfugiés. En plus de la
situation des travailleurs subissant la restructuration des dépenses sociales,
les licenciements massifs, le gel des emplois … Malgré cette situation catastrophique ; les élites
dirigeantes, en adoptant le NEPAD, cautionné par le G8 (à Kananaskis, juin
2002) et les multinationales (Dakar 2002) demeurent attachées au Consensus de
Washington. Une promesse d’aggravation de la situation sociale pour une
majorité du peuple africain.
L’impact sur
l’Asie des évolutions mondiales en cours est particulièrement profond,
explosif. Il se fait sentir sur tous les plans : diplomatique, économique
et social, politique et militaire…
Les alignements
internationaux forgés à l’époque de la guerre froide ont été remis en cause, en
particulier en Asie du Sud et de l’Ouest, sans laisser place à un nouveau
système stable d’alliances. Dans le cadre du nouveau désordre mondial, les
tensions inter-étatiques se sont aiguisées au point de donner un coup
d’accélérateur à la prolifération nucléaire (face-à-face Pakistan-Inde,
chantage nucléaire de la Corée du Nord vis-à-vis des Etats-Unis, grande
puissance nucléaire occupante en Corée du Sud).
C’est en Asie
orientale que la première crise majeure, dite « financière », de la
mondialisation libérale a débuté, en 1997-1998, avec des conséquences
durables : processus de (re)colonisation économique et déchirement du
tissu social (Corée du Sud…), déstabilisation politique (crise structurelle de
régime en Indonésie…), déligitimisation des institutions internationales et en
particulier du FMI (marges de manœuvre temporairement gagnées par la
Malaisie…), stagnation prolongée (Japon…).
Par-delà
l’Afghanistan, le versant militaire de la mondialisation capitaliste a lui
aussi des implications très graves pour l’Asie. L’impérialisme étasunien
redéploie ses forces dans l’ensemble de la région. Il implante de nouvelles
bases dans des zones où il n’en possédait pas (ex-républiques soviétiques…). Il
renforce à nouveau sa présence dans des pays où il avait dû la réduire ;
c’est en particulier le cas aux Philippines, leur ancienne colonie, où des
troupes US sont envoyées jusqu’y compris en zones de combats. Grâce au Visiting
Forces Agreement (VFA), le Pentagone a obtenu un accès illimité aux
installations militaires du pays. Washington poursuit ici, comme ailleurs, tout
à la fois des objectifs locaux –s’assurer un meilleur accès aux richesses
agricoles, pétrolières et minérales du sud philippin…– et régionaux :
surveiller l’Indonésie, se préparer à la possibilité d’agir en mer de Chine du
Sud, contrôler les détroits entre océans Indien et Pacifique par où transite le
pétrole du Moyen-Orient vers le Japon…
Washington veut
reconstituer et compléter en Asie orientale, face à la Chine, l’ancien cordon
sanitaire de la guerre froide allant de Séoul à Manille en passant par Tokyo et
Taipeh. Ici encore, les ambitions impérialistes des Etats-Unis sont tout autant
économiques (contrôle des réserves en pétrole et gaz et de leurs flux
commerciaux…) que géostratégiques (consolider des éléments clefs d’un
redéploiement militaire d’envergure proprement mondial).
Du Cachemire à la
péninsule Coréenne en passant par Mindanao et l’archipel indonésien, la
nouvelle doctrine interventionniste de Washington et l’idéologie
« antiterroriste » ajoutent un obstacle de plus à la recherche de
solutions politiques aux conflits territoriaux ; solutions fondées sur la reconnaissance
du droit à l’autodétermination des peuples concernés. Ils contribuent à
criminaliser les mouvements populaires et révolutionnaires, ainsi qu’à éroder
les libertés démocratiques les plus fondamentales. La globalisation capitaliste
tend dans cette région aussi à aggraver les oppressions de genre et les
tensions intercommunautaires, à favoriser la montée en puissance de courants
communalistes et fondamentalistes d’extrêmes droites. C’est le cas même dans
des pays où la pression de la mondialisation économique ne s’est fait sentir
que relativement tard, comme en Inde : une fraction significative de la
bourgeoisie s’est tournée vers le BJP pour imposer les contre-réformes
libérales, permettant aux courants hindouistes de l’hindutva de menacer les
fondements laïques de l’Etat.
La guerre que
prépare Washington en Irak et l’occupation militaire qui s’en suivra vont
encore accentuer les contradictions au sein de la région, que l’intervention en
Afghanistan avait déjà aiguisées. Les conséquences d’une telle guerre ne sauraient
être sous-estimées, à l’heure où l’Asie comprend un ensemble de foyers de
crises majeures : rapports sino-américains (y compris Taiwan), péninsule
Coréenne, Afghanistan-Pakistan-Inde, Indonésie-Philippines-mer de Chine du Sud…
Face à une telle situation, les partis progressistes et révolutionnaires en
Asie tendent, pour bon nombre d’entre eux, à tisser des rapports solidaires
plus étroits que par le passé. Les mouvements sociaux, associations et
mouvements pour la paix coordonnent de plus en plus efficacement des campagnes
conjointes contre les dynamiques de guerre et pour les droits des peuples. La
réunion en Inde, en janvier 2004, du Forum social mondial peut donner à ces
convergences militantes une dimension nouvelle.
(1) L’émergence d’un capitalisme
mondialisé exigerait un gouvernement mondial pour dominer les contradictions,
qui, depuis la fin de la guerre froide, sont plus nombreuses, plus aiguës, plus
contagieuses, moins contrôlables. Mais un tel État/gouvernement reste en dehors
de la portée de l’impérialisme.
Néanmoins, la tendance lourde de la dernière
décennie est l’émergence et l’affirmation d’une série d’institutions
internationales de type étatique. Les classes dominantes, malgré leurs
rivalités, sont acquises à l’idée de mettre en place un « nouvel
ordre » impérialiste. La globalisation économique, très volatile, a
« spontanément » poussé et valorisé des organes de régulation, aussi
bien sur le plan régional-continental que mondial. La clé de voûte en est le
FMI (+BM) et l’OMC. L’OTAN a amendé sa Charte et s’impose désormais comme le
bras armé du capitalisme global. Le G7 (+Russie) essaye d’assurer une direction
politique commune. Le processus de mondialisation institutionnelle s’élargit
sur le plan de la Justice (Cour de La Haye, Cour Pénale Internationale, ...),
et d’autres très puissantes institutions moins médiatisées (OCDE, Banque de
Règlements Internationaux).
(2) La tentative de stabiliser et de légitimer ses institutions largement
inter-étatiques se heurte à des contradictions importantes : les rivalités
économiques et politiques entre les grandes puissances mêmes (y compris les
blocs économiques régionaux) ; l’iniquité sociale de leurs politiques
(contre le Tiers-Monde) ; l’absence de légitimité démocratique
électorale ; le caractère ouvertement partial face aux conflits majeurs
(Iraq, Ruanda, Palestine, Serbie,..). Dès le départ, leur légitimité populaire
a été limitée. Leurs contradictions ont été mises en évidence par les
mobilisations « contre la globalisation ». Leur capacité de gouverner
la planète sera mise à rude épreuve devant les turbulences qui se profilent à
l’horizon par la politique de guerre, menée par le gouvernement américain, et
la maîtrise de la récession économique en cours.
Par ailleurs, l’affirmation prépondérante de ces institutions non élues où
dominent les organes exécutifs, et la stratégie unilatéraliste des États-Unis
ont accentué la marginalisation de l’ONU (y compris son Conseil de sécurité),
alors que l’ONU (son Assemblée et ses organismes annexes) avait fourni un cadre
institutionnel où les pays impérialistes pouvaient être interpellés et
« conditionnés », et certaines politiques « progressistes »
mises en oeuvre.
Le facteur qui subjugue l’ensemble de cette
architecture institutionnelle est la suprématie de l’impérialisme américain
jouant de plus en plus un rôle à la fois international et unilatéral.
(3) La politique arrogante, activiste et
unilatérale des USA, y compris dans leurs rapports avec leurs alliés, sécrète
sa propre limite en ce qu’elle a besoin d’une division du travail, de partages
d’influence et de ressources ainsi que de la construction de coalitions avec leurs
principaux alliés-rivaux et des puissances régionales secondaires. Mais les
processus de concentration et d’internationalisation économique en cours
frappent aussi, dans le cadre d’une concurrence de plus en plus féroce, des
secteurs des classes dominantes. D’où les divergences au sein de celles-ci sur
les moyens, les rythmes, les objectifs concrets, le timing, et les structures à
mettre sur pied pour atteindre le but commun ; ce qui se reflète au niveau
des groupes dirigeants politiques, en provoquant des querelles multiples, des
luttes sourdes et des déchirements récurrents. L’hégémonie américaine sur la
planète est incontestable, mais son contrôle direct de la situation s’avère
hautement difficile.
La fin du cycle dit de la « nouvelle économie » aux Etats-Unis a mis un
terme aux illusions sur la naissance d’un nouveau capitalisme. Les gains de
productivité enregistrés n’ont été obtenus qu’au moyen d’un effort
d’investissement très élevé et d’une augmentation de l’exploitation prenant la
forme d’un allongement de la durée du travail. Loin de fonder un modèle stable
et d’ouvrir une nouvelle phase de croissance, cette suraccumulation de capital
est venue buter sur une contrainte très classique, celle de la rentabilité. Ce
retournement a permis de faire apparaître les éléments fondamentaux
d’instabilité du capitalisme contemporain.
Le dynamisme de la croissance aux Etats-Unis a été soutenu par un déficit
commercial qui ne serait toléré dans aucun autre pays que la puissance
impériale dominante. C’est la plus-value accumulée en Europe ou au Japon qui
est venue financer le boom de la haute technologie. Un tel modèle ne peut donc,
par définition, s’étendre à l’ensemble
de l’économie mondiale. Au contraire, il accentue les contradictions
interimpérialistes qui se manifestent souvent au niveau monétaire. La
croissance japonaise est à peu près nulle depuis dix ans, en partie parce que
le yen est surévalué. La montée récente de l’euro n’est pas le signe d’une
force particulière mais plutôt le reflet d’un changement d’orientation des
Etats-Unis qui programment une baisse du dollar en vue de rétablir la
compétitivité de leurs produits.
L’éclatement de la bulle financière qui s’était constituée avec l’essor de
la « net-économie » est un rappel brutal de la loi de la valeur: ce n’est pas
la Bourse qui crée de la valeur et les profits financiers sont des revenus
dérivés de l’exploitation du travail. L’envol des cours n’avait plus aucun lien
avec l’économie réelle et il ne pouvait durer éternellement. Le krach rampant
est une formidable leçon de choses quant aux illusions de la finance. Les
salariés du monde entier doivent méditer la faillite d’Enron qui signifie pour
des milliers de travailleurs la perte, non seulement de leur emploi mais aussi
de leur retraite placée en actions de l’entreprise.
Plus largement, on peut considérer que les orientations néo-libérales sont
aujourd’hui confrontées à des expériences de masse permettant de constater leur
nocivité. Ce n’est pas aux millions de travailleurs de nombreux pays de
l’Argentine à la Corée, de l’Indonésie à la Côte d’Ivoire que l’on peut faire
aujourd’hui miroiter les avantages de la mondialisation heureuse.
L’impossibilité d’appliquer une politique mondiale de santé publique qui
prendrait les moyens de lutter contre le Sida et d’autres pandémies démontre
que l’OMC fait passer les règles de la marchandise avant l’urgence sociale et
sanitaire. Partout dans le monde, les populations se rendent compte que les
privatisations n’obéissent à d’autre motif que la rentabilisation. En Europe,
les salariés ont pu constater que la reprise récente ne leur a pas profité et
que les fruits de la croissance continuent à être captés par les revenus
financiers. Loin d’être un mauvais moment à passer, un ajustement nécessaire,
l’austérité salariale apparaît pour ce qu’elle est, à savoir une nouvelle
règle, profondément injuste, de répartition des revenus.
Le capitalisme mondial se trouve donc confronté à une situation difficile
qui combine ses sources internes de tensions et une perte considérable de
légitimité à l’égard de la majorité de la population de la planète pour
laquelle ce système apparaît de plus en plus comme un pur et simple obstacle
sur la voie de la satisfaction des besoins sociaux.
Ces deux questions vont dominer la situation
mondiale dans les prochains 12, 24 mois et influencer la vie de millions
d’êtres humains et l’activité de toutes les forces politiques et sociales.
(1) Le
gouvernement américain a gagné la guerre en Afghanistan au moindre coût et
renforcé sa position dominante. Certes, il a montré qu’il avait le monopole
diplomatique sur la situation au Moyen-Orient (la guerre d’Israël contre le
peuple palestinien). Mais il n’a pas pu exploiter cette victoire pour
déclencher dans la foulée une nouvelle guerre contre l’Iraq. L’administration
Bush continue à affirmer publiquement sa volonté de tout faire pour renverser
Saddam Hussein. Entre temps, le gouvernement américain a réussi imposer à tous
ses alliés (grand et petits) le cadre idéologique et politique de « la
guerre contre le terrorisme » et, jusqu’à un certain point, à en faire une
ligne politique-militaire. En Palestine, Cachemire, Tchétchénie, Géorgie,
Philippines, Colombie, Venezuela… il soutient ou intervient militairement pour
créer une atmosphère de guerre permanente, justifiant une hégémonie de plus en
plus arbitraire.
(2) 1. La Palestine est à nouveau au centre de la politique mondiale du fait de l’intensité renouvelée de l’agression sioniste et de la résistance continue du peuple palestinien. L’expansion de facto de l’Etat sioniste par les colonies, les routes de contournement et le mur, les attaques contre les droits des Palestiniens d’Israël et le succès des forces d’occupation israéliens dans leur effort pour rendre la vie intenable dans les territoires palestiniens occupés - arrestations et assassinats quotidiens, démolitions incessantes de maisons, d’établissements commerciaux d’usines ou par le saccage de plantations ou autres cultures – ont créé un climat de désespoir qui affecte en profondeur les formes de résistance du peuple palestinien.
2. L’occupation brutale et la colonisation intensive des territoires palestiniens, combinées avec le contexte mondial de « guerre contre le terrorisme » et la faillite de l’option travailliste d’Oslo, créent les conditions pour la frange la plus radicale du sionisme, au pouvoir à travers Sharon et ses alliés, pour mettre à l’ordre du jour le projet de « transfert » (déportation massive) des Palestiniens hors de leur patrie. La menace de guerre qui pèse sur l’Irak pourrait fournir à la direction sioniste une occasion inespérée pour mettre ce projet en œuvre, à l’ombre des bombardements américains.
3. Avec la protection des USA, Sharon a été capable d’ignorer sans souci les résolutions de l’ONU et en même temps d’assassiner les habitants palestiniens. Bush espère qu’une victoire des USA en Iraq lui permettra d’imposer une solution sur les Palestiniens qui les mettra totalement a la merci d’Israël et les enlèvera comme obstacle à la politique des USA dans la région.
4. Nous devons affirmer une résistance tenace à l’axe Bush/Sharon/Blair. Nous devons placer la Palestine au cœur de notre activité anti-guerre et la Quatrième Internationale doit être au centre de la solidarité avec la lutte des palestiniens dans nos propres pays et en Palestine à travers des organisations en voie de développement comme le Mouvement de solidarité internationale qui a donne une occasion unique pour une participation personnelle.
5. La Quatrième Internationale met tout en œuvre pour renforcer le
mouvement de solidarité internationale avec le peuple palestinien, pour sa
protection, son droit à l’autodétermination et le droit au retour de tous les
réfugiés. Une campagne de solidarité
doit dénoncer tout projet de transfert, exiger le retrait des troupes israéliennes
des territoires occupés depuis 197, soutenir la revendication des Palestiniens
à constituer leur propre Etat, viable et souverain. Pour mettre un terme
au racisme et à toutes les formes d’oppression, la solution réside dans la
création d’un nouvel Etat laïque, unitaire ou binational, qui assure l’égalité
des droits (y compris à la terre) pour tous ses habitants.
(3) Mais la guerre contre l’Iraq pourrait devenir le test décisif pour les
rapports de force, les alignements politiques, les futures lignes de force,
constituant un « moment de redéfinition » de toute la situation
mondiale.
Dès lors, le tournant que l’impérialisme américain
veut imposer à la planète se fera sentir sur toutes les forces étatiques,
politiques et sociales. Il annonce une bataille politique internationale
prolongée et d’envergure. La question étant : les États-Unis sont-ils
capables d’utiliser leur écrasante suprématie pour imposer cette politique de
guerre, d’en prendre l’initiative, à la limite, seuls, d’obtenir des victoires,
d’accumuler un rapport de force, de gagner une assise populaire internationale
et continuer jusqu’à infliger une défaite « finale », qui serait
aussi la défaite des aspirations sociales des masses populaires et de leurs
organisations ?
(4) Pour pouvoir déclencher la guerre, le gouvernement se heurtera à trois
obstacles principaux. D’abord, il y a les contradictions au sein des
principales classes dominantes qui pèsent sur la capacité d’initiative du
gouvernement américain. Celui-ci aura une bataille politique à mener (« on
fixe l’objectif, ensuite on compose la coalition »...). Car, à côté de sa
ligne antiterroriste, le gouvernement Bush construit aussi le NMB (National
Missile Defence), autre projet global militaire qui lui donnerait un avantage
énorme sur les plans militaire, technologique, politique et économique.
Ensuite, le peuple américain qui vit sous une forte campagne d’intoxication
« antiterroriste » acceptant « l’autodéfense » du
territoire national et de sa vie, est-il prêt à aller à une guerre meurtrière
au Moyen-Orient ?
Finalement, il y a un grand écart entre la
suprématie matérielle et la faiblesse morale (sociale et idéologique) des
États-Unis. A l’échelle mondiale, la méfiance voire la haine vis-à-vis du
gouvernement des États-Unis a rarement été aussi forte et répandue. Cet
« handicap » pèsera très fortement sur les gouvernements, mis sous
pression américaine, qui auront à légitimer une telle
« crise-guerre » devant leur opinion publique. La bataille contre la
guerre américaine et ses alliés constitue une priorité à l’échelle
internationale.
Les classes capitalistes poursuivent leur offensive
néolibérale tout en adaptant leur politique aux nouvelles difficultés et
résistances.
(1) La politique néolibérale des années 80-90 a
amené un succès éclatant pour le Capital. Par la suite, la décennie de
croissance aux États-Unis, la reprise économique des dernières années en
Europe, l’insertion partielle de la périphérie n’ont en rien profité aux masses
populaires appelées à faire « des sacrifices » pour relancer la
machine. Surfant sur ce rapport de force, la classe capitaliste n’a aucune
intention, au moment où la récession arrive, de partager « les fruits de
l’expansion ». Au contraire, les « difficultés » économiques du
moment fournissent l’alibi pour continuer et renforcer pointe par pointe les
recettes du néolibéralisme.
(2) La politique globale du néolibéralisme se heurte désormais à un
problème gigantesque de faisabilité et crédibilité. Non seulement la
globalisation capitaliste a débouché sur une guerre (Afghanistan) mais la
politique néolibérale menée jusqu’au bout par les multinationales et les
institutions internationales (FMI, OMC et BRI, G7+1) a provoqué l’effondrement
de l’économie (et de la société) argentine, le gouvernement américain étant
directement impliqué. La faillite d’ Enron, la plus grande de l’Histoire et au
coeur de la citadelle du capitalisme mondial, implique une révision drastique
des structures mêmes du capital financier ainsi que des règles de la
« corporate gouvernance » (sans parler du désastre social que
constitue la perte totale des retraites par capitalisation des travailleurs).
Tout en affichant un pragmatisme obstiné et
cynique, les dirigeants du capitalisme mondial ne peuvent assister passivement
au délitement de leur doctrine et aux impasses de leur politique économique. A
moins de laisser s’installer un chaos prétendument maîtrisé (ce qu’ils font
déjà pour l’Afrique), ils sont acculés à ouvrir le débat qui étalerait
l’insanité de leur politique.
(3) La récession a un impact contradictoire sur les
rapports de force (sociaux, idéologiques, organisationnels) entre les deux
classes fondamentales. Objectivement, elle pousse le prolétariat sur la
défensive avec le risque d’un nouveau recul dramatique de ses conditions de vie
et de ses capacités de se réorganiser. De l’autre côté, elle a certainement
déjà détruit toute illusion qu’après 20 ans de néolibéralisme ininterrompu et
trois phases conjoncturelles (récession, redressement, nouvelle récession), le
capitalisme serait prêt à améliorer le sort du prolétariat. Cela pousse déjà à
des batailles sociales acharnées, même sans la garantie d’une alternative,
d’une perspective et d’une organisation solide. On est entré dans un nouveau
cycle de luttes plus dures et plus amples mais aussi plus difficiles, autour
des revendications immédiates et partielles, mais qui suscitent
quasi-spontanément la nécessité de solution d’ensemble et qui relancent la
« question politique » (le gouvernement, le rôle des partis
politiques). Cette expérience prolongée avec la politique néolibérale, et avec
les forces politiques et sociales qui l’ont imposée, jouera un rôle-clé dans la
clarification politique à l’échelle de masse et sur la renaissance d’un
mouvement ouvrier et social, réorganisé et revigoré à tous les niveaux (nombre,
engagement militant, activité, auto-organisation, revendications et programme
anticapitaliste).
(1) Face à cette offensive générale du capitalisme,
qui a marqué de nombreux points ces dernières années, des résistances
multiformes se développent. L’échec du sommet de Seattle de l’OMC, après
l’abandon du projet d’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI), a constitué
un véritable événement politique. Pour la première fois, une campagne
internationale, et à bien des égards internationaliste, a contribué à faire
perdre une bataille aux maîtres de la mondialisation. Cet échec est le résultat
de contradictions multiples qui se sont combinées pour aboutir à l’échec de la
négociation : contradiction entre les intérêts capitalistes européens et
américains, notamment sur les subventions à l’agriculture et les barrières
commerciales qu’ils s’opposent mutuellement ; contradiction avec les
intérêts des pays en développement, qui réclament un traitement spécial et
différencié, incapables de rivaliser avec la compétitivité des économies
développées compte tenu de leur faible productivité et du poids de la
dette ; contradiction avec le développement massif, dans les opinions
publiques, d’une prise de conscience des méfaits du libéralisme à tous crins,
symbolisée par les manifestations de syndicats et associations réussissant à
perturber le déroulement de la conférence de l’OMC.
(2) La crise écologique sans précédent est directement liée à la
marchandisation du monde et à la mondialisation capitaliste. Elle détériore
l’environnement, c’est-à-dire les conditions de vie sur l’ensemble de la
planète mais elle frappe d’une manière inégalitaire les régions et les couches
sociales les plus faibles et les plus pauvres. Les dégâts causés à
l’environnement pèsent désormais sur la survie de l’humanité. La transformation
du vivant en marchandise ne cesse de progresser. Elle s’appuie sur la mise au
point de nouvelles techniques dont l’impact écologique n’est souvent pas
maîtrisé ni parfois même connu. Elle risque également de s’accompagner d’une
dépendance accrue des pays du Sud tant au niveau technologique qu’alimentaire.
L’offensive des grandes firmes de l’agro-industrie pour imposer à la planète
les organismes génétiquement modifiés (OGM) est symptomatique de cette
situation.
Des conférences internationales successives n’ont
donné que des résultats dérisoires : la responsabilité en incombe surtout
aux grandes puissances et en premier lieu aux États-Unis. L’approche résolue
des problèmes de l’environnement, de même que des problèmes de l’alimentation
et de la santé à l’échelle mondiale, sont des motivations puissantes pour la
mise en cause du capitalisme.
(3) Ce tableau d’ensemble doit nous conduire à prendre en compte les
tensions et les contradictions dont souffrent plus que jamais le système dans
son ensemble à l’échelle mondiale et de nombreux pays dans les différentes
régions.
L’économie mondiale a connu une conjoncture favorable prolongée dans le
sillage du long cycle expansif de l’ économie américaine. Mais l’émergence du
« nouveau capitalisme » ne débouche pas sur une longue phase de
stabilisation socio-économique, à l’instar de la période d’expansion
d’après-guerre. Au contraire, elle débouche sur une récession internationale
avec ses restructurations et ses plans de licenciements de l’industrie et les
mouvements erratiques de la Bourse. Plus généralement, le contexte mondial
reste caractérisé par des déséquilibres et des inégalités croissantes au
détriment de la grande majorité de la population de la planète. Le fossé se
creuse davantage à l’intérieur des pays les plus développés eux-mêmes. Une
telle situation au niveau socio-économique est, en dernière analyse, à
l’origine de la crise assez généralisée des directions politiques
traditionnelles, voire de leur éclatement, et des difficultés contre lesquelles
butent les tentatives de replâtrage de leurs institutions et États.
Les contradictions qui déchirent la société
contemporaine à l’échelle mondiale et provoquent des ravages croissants à tous
les niveaux, imposent à l’ordre du jour, plus que jamais auparavant, la
définition et la construction d’une alternative systémique.
(4) La principale contradiction qui traverse le
monde, et qui constitue en définitive l’obstacle principal à la politique de
guerre des pays impérialistes et à
l’offensive générale contre les acquis du monde du travail, est certainement celle-ci :
jamais dans l’Histoire, une classe dominante n’a eu une telle suprématie sur le
plan matériel (militaire, technologique, économique, diplomatique) alors qu’en
face des millions d’êtres humains, exploité-e-s et opprimé-e-s, humilié-e-s et
écrasé-e-s, subissent le système qui jamais n’a été aussi inique et barbare sur
le plan social et humain. Cette contradiction est à l’oeuvre au quotidien dans
tous les pays, dans toutes les sociétés. L’acuité et l’explosibilité de la
crise sociale mondiale, qu’a engendré la mondialisation du Capital sous
politique néolibérale, font certainement réfléchir les cercles éclairés des
classes dominantes.
(5) Mais c’est l’activité consciente et organisée de « ceux d’en
bas » qui seule pourra empêcher les désastres du capitalisme. Pour cela,
le dépassement de la crise historique du « facteur subjectif » au
sens large est notre tâche fondamentale.
Les réactions massives répétées de la jeunesse, des classes salariées et
populaires ont finalement débouché sur une première accumulation de forces et
d’énergie. Le « mouvement contre la globalisation » avait marqué un
court temps d’arrêt, mais, stimulé par le discrédit croissant qui frappe la
politique néolibérale et guerrière, il a repris son essor. Il apparaît plus qu’avant
comme une « alternative de masse » sur le plan de la société
(« post-capitaliste »), comme une nouvelle espérance et comme un
levier important dans le redressement radical du mouvement ouvrier et social
international. Cette confrontation internationale, symbolisée par Porto Alegre
contre Davos/New York, jouera un rôle déterminant sur l’issue de la phase
politique actuelle. C’est dans ce cadre général, que les forces sociales et
politiques, qui rejettent la « globalisation » prônée par les classes
dominantes, existent dans toutes les régions du monde et sont susceptibles de
lutter dès maintenant, indépendamment du rapport de forces au niveau national
et international à l’étape actuelle. Elles embrassent une grande diversité
d’analyses et de réponses politiques, allant d’un protectionnisme
nationaliste-bourgeois jusqu’à un internationalisme socialiste et
révolutionnaire.
C’est dans le cadre d’une telle mobilisation
internationale et d’une relance plus générale de la lutte de classes, qu’il
faut chercher le chemin de la reconstruction de fond en comble du mouvement
ouvrier et anti-impérialiste, de l’émergence de nouvelles forces
anticapitalistes faisant leurs expériences à l’époque nouvelle où nous vivons,
et d’une relance d’un nouvel internationalisme et d’une Internationale
révolutionnaire.
[1] Dans un rapport de 1998, l’Organisation internationale du travail, OIT, affirme que « la possibilité d’une reconnaissance officielle serait extrêmement utile afin d’élargir le filet fiscal et couvrir ainsi nombre d’activités lucratives qui y sont liées ».