Programme de
Transition
Le
manifeste du marxisme révolutionnaire à l'époque de l'impérialisme – celle des
guerres et des révolutions. Rédigé par Léon Trotsky en vue de la conférence de
fondation, en septembre 1938, de la Quatrième Internationale, et adopté par
cette conférence. Paru dans le "Bulletin de l'Opposition numéro
66-67" de mai-juin 1938.
[...]
Les pays arriérés et le programme
des revendications transitoires
Les pays coloniaux et semi-coloniaux sont, par leur
nature même, des pays arriérés. Mais ces pays arriérés vivent dans les
conditions de la domination mondiale de l'impérialisme. C'est pourquoi leur
développement a un caractère combiné : il réunit en lui les formes
économiques les plus primitives et le dernier mot de la technique et de la
civilisation capitaliste. C'est ce qui détermine la politique du prolétariat
des pays arriérés : il est contraint de combiner la lutte pour les tâches les
plus élémentaires de l'indépendance nationale et de la démocratie bourgeoise
avec la lutte socialiste contre l'impérialisme mondial. Dans cette lutte, les
mots d'ordre démocratiques, les revendications transitoires et les tâches de la
révolution socialiste ne sont pas séparés en époques historiques distinctes,
mais découlent immédiatement les uns des autres. A peine le prolétariat chinois
eut-il commencé à organiser des syndicats qu'il fut contraint de penser aux
soviets. C'est dans ce sens que le présent programme est pleinement applicable
aux pays coloniaux et semi-coloniaux, au moins à ceux où le prolétariat est
déjà capable d'avoir une politique indépendante.
Les problèmes centraux des pays coloniaux et
semi-coloniaux sont : la RÉVOLUTION AGRAIRE,
c'est-à-dire la liquidation de l'héritage féodal, et l'INDÉPENDANCE
NATIONALE, c'est-à-dire le renversement du joug de l'impérialisme.
Ces deux tâches sont étroitement liées l'une à l'autre.
Il est impossible de rejeter purement et simplement le
programme démocratique : il faut que les masses elles-mêmes dépassent ce
programme dans la lutte. Le mot d'ordre de l'ASSEMBLÉE NATIONALE (ou
CONSTITUANTE) conserve toute sa valeur dans des pays comme la Chine ou l'Inde.
Il faut lier indissolublement ce mot d'ordre aux tâches de l'émancipation
nationale et de la réforme agraire. Il faut, avant tout, armer les ouvriers de
ce programme démocratique. Eux seuls peuvent soulever et rassembler les
paysans. Sur la base du programme démocratique révolutionnaire, il faut opposer
les ouvriers à la bourgeoisie "nationale".
A une certaine étape de la mobilisation des masses sur
les mots d'ordre de la démocratie révolutionnaire, les soviets peuvent et
doivent surgir. Leur rôle historique dans chaque période donnée, en particulier
leurs rapports avec l'assemblée nationale, est déterminé par le niveau
politique du prolétariat, par la liaison entre celui-ci et la classe paysanne,
et par le caractère de la politique du parti prolétarien. Tôt ou tard, les
soviets doivent renverser la démocratie bourgeoise. Eux seuls sont capables de
mener la révolution démocratique jusqu'au bout et d'ouvrir ainsi l'ère de la
révolution socialiste.
Le poids spécifique des diverses revendications
démocratiques et transitoires dans la lutte du prolétariat, leurs liens mutuels
et leur ordre de succession sont déterminés par les particularités et les
conditions propres de chaque pays arriéré, pour une part considérable par le degré
de son retard. Cependant, la direction générale du développement
révolutionnaire peut être déterminée par la formule de la RÉVOLUTION
PERMANENTE, dans le sens qui a été définitivement donné à cette
formule par trois révolutions en Russie (1905, février 1917, octobre 1917).
L'Internationale "communiste" a donné aux
pays arriérés l'exemple classique de la manière dont on peut causer la ruine
d'une révolution pleine de force et de promesses. Lors de l'impétueuse montée
du mouvement des masses en Chine en 1925-1927, l'I.C. ne lança pas le mot
d'ordre d'assemblée nationale et, en même temps, interdit la formation de
soviets. Le parti bourgeois du Kuomingtang devait, selon le plan de Staline,
" remplacer " à la fois l'assemblée nationale et les soviets. Après
l'écrasement des masses par le Kuomintang, l'I.C. organisa, à Canton, une
caricature de soviet. Après l'effondrement inévitable de l'insurrection de
Canton, l'I.C. entra dans la voie de la guerre de partisans et des soviets
paysans, avec une complète passivité du prolétariat industriel. Aboutissant
ainsi à une impasse, l'I.C. profita de la guerre sino-japonaise pour liquider
d'un trait de plume la "Chine soviétique" en subordonnant, non
seulement "l'Armée rouge" paysanne, mais aussi le parti soi-disant
"communiste" au Kuomintang lui-même, c'est-à-dire à la bourgeoisie.
Après avoir trahi la révolution prolétarienne
internationale au nom de l'amitié avec les esclavagistes
"démocratiques", l'Internationale communiste ne pouvait manquer de
trahir également la lutte émancipatrice des peuples coloniaux, avec,
d'ailleurs, un cynisme encore plus grand que ne l'avait fait, avant elle, la
II° Internationale. L'une des tâches de la politique des Fronts populaires et de
la " défense nationale " est de transformer les centaines de millions
d'hommes de la population coloniale en chair à canon pour l'impérialisme "
démocratique ". Le drapeau de la lutte émancipatrice des peuples coloniaux
et semi-coloniaux, c'est-à-dire de plus de la moitié de l'humanité, est passé
définitivement aux mains de la IV° Internationale.